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"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

lundi 2 juin 2025

Georges Brassens à l'Olympia - 1958-1960

C’est dans le N°39 de la revue Music-Hall, paru en avril 1958, qu’est relatée la soirée du 20 février de la même année, au cours de laquelle Gloria Lasso et Georges Brassens reçurent les Bravos de Music-Hall 1957 sur la Scène de l'Olympia devant 2000 spectateurs, à l’occasion d’un Musicorama, spectacle musical organisé et retransmis par Europe N°1, soit en direct, soit en différé, en partie ou dans son intégralité. La programmation musicale est assurée par Bruno Coquatrix, Lucien Morisse et Pierre Delanoë, alors directeur des programmes d’Europe N°1 (poste qu’il occupera jusqu’en 1960).

Plus de 20000 lecteurs de Music-Hall ont participé au vote pour désigner la chanteuse et le chanteur les plus populaires de l'année, faisant de Gloria et Georges les successeurs d’Édith Piaf et Gilbert Bécaud (lauréats en 1955) puis de Jacqueline François et Charles Aznavour (lauréats en 1956). Les deux mains de bronze leur sont remises par Roger Duquesne, éminent comme meneur de jeux d’Europe N°1, sous les applaudissements de la salle comble du music-hall de Bruno Coquatrix. S’ensuit un bref entretien avec Félix Vitry, directeur général de la revue, mensuelle (parution le 5 de chaque mois) à cette époque. Anecdote intéressante, le compte-rendu publié en avril 1958, richement illustré de photos, met en lumière Colette Renard et René-Louis Lafforgue (qui fait d’ailleurs la couverture de ce N°39), artistes montants arrivés respectivement 8e et 5e du classement.

On retrouve également le second dans une rétrospective intitulée Les nouveaux troubadours du XXe siècle, publiée dans le numéro de janvier 1958 de la revue Panorama du Monde. Georges Brassens, qui y figure lui aussi, entame une nouvelle grande tournée qui sillonne la France mais passe aussi par la Suisse (Zurich, 04/03 ; Lausanne, 05/03 ; Bienne, 07/03 ; Genève, 08/03 ; La Chaux-de-Fonds, 09/03), l’Italie (Rome, 29-30/03) et la Belgique (Bruxelles, 04-09/04). Le 22/10/1958, soit la veille de sa nouvelle rentrée à l’Olympia*1, le troubadour sétois fête ses trente-sept ans sur la scène du cinéma Cyrano à Versailles, avec Michèle Arnaud et Pia Colombo en première partie.

Sis au 7, rue Jean-Philippe Rameau, le Cyrano a été érigé entre 1924 et 1927 sous la direction de l’architecte Albert Rimbert. Inauguré l’année suivante, l’établissement comportait alors – et c’est toujours le cas dans les années 1950 – une unique salle de 2000 places avec deux balcons. Il avait été conçu à l’origine pour le théâtre et l’opéra. À la suite du premier spectacle qu'il avait monté début février 1954 avec Lucienne Delyle en vedette, Bruno Coquatrix s’était mis à rechercher un lieu qu’il destinait à être l’antichambre de l’Olympia, afin d’y accueillir ses avant-premières publiques. L’amitié qu’il avait nouée avec Jean-Charles Edeline, propriétaire du Cyrano, a alors joué un rôle important. Le fils de ce dernier, Jean-François, en témoigne au cours d’une interview le 01/03/2014 avec Éric Krasker qui effectuait des recherches approfondies au sujet du passage des Beatles sur la scène du 28, boulevard des Capucines du 16/01 au 04/02/1964.

Jean-François Edeline: "C’est mon père et mon oncle qui ont repris l’établissement en 1943. Ça a commencé en 1954. Mon père était copain avec Bruno Coquatrix qui cherchait une salle pour rôder les spectacles de l’Olympia ("la couturière") face au public. Bruno lui a dit: "La clientèle de Versailles est un peu pointue, ça serait bien qu’on teste le public là-bas (…)" [Krasker E., 2024. Les Beatles à l'Olympia - Trois semaines qui ont changé la face de la pop culture – p. 125]

De plus, cela pouvait permettre de procéder au filage de chaque spectacle pour en peaufiner les détails: bien connaître la position des artistes sur la scène, assurer la mise en place et le réglage des éclairages, puis vérifier l’enchaînement des chansons, contrôler le minutage. Tous les grands artistes de l’époque allaient venir à Versailles pour tester leur jeu de scène et se chauffer la voix avant leur rentrée parisienne. Ce passage au Cyrano, quelle qu’en soit l’issue, allait devenir une étape clé de leur carrière. Pour ce qui concerne Georges Brassens, sa première prestation versaillaise eut lieu le 02/01/1955 et n’était pas une avant-première. D’autre part, le succès était déjà venu à lui sensiblement plus tôt. En octobre 1958, il achève de roder ses nouvelles chansons en vue de son Olympia du 23/10 au 17/11. Il y en a six très exactement: À l’ombre du cœur de ma mie, Le vieux Léon, La ronde des jurons, La femme d’Hector, Le cocu et Le pornographe. S’y ajoutent des classiques maintenant bien connues du public: Marinette (J’avais l’air d’un con), Au bois de mon cœur, Oncle Archibald, Grand-père, Le testament et Le vin. En première partie du spectacle que présente Suzanne Gabriello figurent Les Ballets de Georges Reich, une séquence Actualités par Jean-Marie Proslier (Observateur de l’Olympia Music-Hall), Pia Colombo, La Compagnie des Marottes (d’André Tahon), Jean Bertola, Los Gatos, Marco et Michèle Arnaud. Dans Brassens au bois de son cœur (2001), Jean-Paul Sermonte publie, en plus de l’affiche, un visuel du programme ainsi que d’un des cartons d’invitation à la première en exclusivité, élaborés par Bruno Coquatrix avec le concours de la Société Internationale de Publicité Artistique (SIPA). 

Évoquant La Compagnie des Marottes et son univers feutré de la lumière noire, Roger Morizot nous fait partager ses souvenirs, tout particulièrement en ce qui concerne Jean Bertola qui deviendra bientôt directeur artistique et se rapprochera ainsi de Georges Brassens. Pia Colombo, mise en avant par Coquatrix en tant que nouveau talent, n’est pas non plus oubliée.

Roger Morizot: "(…) Avec sa voix très basse, Jean Bertola complétait le programme. Il arrivait sur scène en s’aidant d’une canne, car il avait eu la polio. Ce furent les débuts de Pia Colombo, et les premières apparitions de Jean-Marie Proslier et de Suzanne Gabriello qui présentaient le spectacle."
[Morizot D., 2021. Je les ai tous vu débuter – 30 ans dans les coulisses de l’Olympia – pp. 209-210]

Le succès est au rendez-vous pour Brassens, en particulier lorsqu’il chante Marinette (J’avais l’air d’un con) et Au bois de mon cœur, mais aussi, parmi ses nouvelles chansons, Le cocu et Le pornographe qui déclenchent les rires du public l’obligeant à s’interrompre. La seconde est d’ailleurs mise en exergue par Paul Carrière dans son compte-rendu intitulé À l’Olympia – Brassens et ses confidences, publié dans Le Figaro du 24/10/1958. Le journaliste souligne la spontanéité du tour de chant de Georges qu’il perçoit toutefois "sans nouveauté mélodique". À noter qu’il émet une opinion en demi-teinte au sujet des artistes de la première partie. Certains, à l’instar de Jean Bertola et Michèle Arnaud, ne semblaient pas être, selon lui, au meilleur de leur forme. L’Aurore du 24/10/1958, qui titre de façon acerbe Applaudi par le préfet de police, Brassens a fêté ses 37 ans sur scène, met en avant certaines des personnalités venues assister au spectacle de la veille et que l’auteur-compositeur du Gorille ne compte certainement pas au nombre de ses fréquentations: "(…) Cette première très parisienne du récital Brassens fut une surprise en ce sens que « l’anarchiste de la chanson » n’avait jamais eu jusqu’ici un auditoire aussi riche en personnalités officielles : MM. Edgar Faure, les généraux Petit, Corniglion-Molinier étaient là ainsi que le préfet de police Papon qui écouta avec le sourire le « François Villon de la guitare » ironiser sur les agents. Ces officiels étaient aux mezzanines, les vedettes se trouvant au parterre (…)"

Fait notoire: durant l’un des récitals de Brassens, une banderole est déployée depuis le balcon par des militants anarchistes, probablement. Elle porte la célèbre locution "Le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste", que l’on retrouve dans plusieurs œuvres de Louise Michel, telles que À mes frères (1871) (recueil), Mémoires (1886-1890), La Commune, Histoire et souvenirs (1898). Une photographie publiée dans l’ouvrage de Paulette Coquatrix Mes noces d’or à l’Olympia – L’album souvenir (2001) en témoigne. Néanmoins, aucune date précise n’est mentionnée. Était-ce lors de la première ? Je n’ai pu, à ce jour, en savoir plus. Les médias de l’époque ne font a priori pas mention de cette anecdote.

Citons, afin de compléter la revue de presse de la première de ce nouvel Olympia de Georges Brassens, l’intéressant article de Pierre Gascar, intitulé Un nouveau Brassens émule de Villon – Religieux et chantre de la mort et publié dans Arts en date du 29/09/1958. Un parallèle y est fait entre l’œuvre du sétois moustachu et celle de François Villon. Dans Le Monde du 29/10/1958, Claude Sarraute donne une opinion nuancée sur les nouvelles chansons de Georges: si La ronde des jurons et Le pornographe rencontrent ses faveurs, il en est autrement pour Le vieux Léon et La femme d’Hector. Dans son article ayant pour titre Quand Brassens fait du Brassens, elle dit ressentir la première comme présentant une forme un peu alambiquée, tandis que les refrains de la seconde lui apparaissent trop lancinants. Quant à Nicole Zand, elle publie en date du 30/10/1958 une interview que Brassens lui a accordé juste avant son tout de chant. Les chansons plébiscitées par Claude Sarraute lui ont visiblement permis d’axer le début de l’entretien sur le plaisir et la virtuosité de Georges à manier les gros mots pour faire rire son public. Brassens, polisson de la chanson, c’est le titre sous lequel nous pouvons lire le déroulé des échanges entre lui et la journaliste dans France Observateur. Toujours le 30/10/1958, Cinémonde met en avant, dans un encart dont le titre est "Nounours" l’ami des chats : retour à la scène, la présence de Brassens à l’Olympia pour un peu plus de trois semaines.

Le lendemain, le magazine hebdomadaire Radar se fait l’écho des nouvelles chansons que l’auteur-compositeur sétois fait résonner dans la salle du 28, boulevard des Capucines. Intitulée Troubadour "bourru", Brassens lance 10 chansons à l’Olympia, la série photographique que l’on peut découvrir dans cette revue est très intéressante à plus d’un titre. Outre une vue de Brassens sur scène, se retournant pour adresser un regard à Pierre Nicolas, elle en révèle deux autres qui le montrent dans le magasin d’Alain Vian, frère cadet de Boris, découvrant de vieux instruments ainsi qu’un phonographe à pavillon. Il s’agit du lieu où Jacques Aubert prit la série de photos dont est extraite celle qui illustre la pochette du 33 T 25 cm Georges Brassens - Volume 6 (Philips B 76.451 R), à paraitre courant novembre 1958. Enfin, un quatrième cliché pris le soir de la première à l’Olympia et sur lequel on le voit avec Édith Piaf à ses côtés. Bruno Coquatrix les a présentés l’un à l’autre après le spectacle, alors que la salle s’est vidée pour laisser place à une cérémonie entre amis au cours de laquelle Georges Brassens souffle ses 37 bougies sur un gâteau orné d'une guitare. À ses côtés se trouvent également Dawn Addams, Arletty, Marcel Carné, Dalida, Danielle Darrieux, Annie Girardot, André Luguet, Jean Marais (accompagné de Luchino Visconti, le metteur en scène du récent Nuits Blanches), Mick Micheyl, Monique Negler (Miss France 1958), Arlette Poirier, Jean Sablon, Théodore Valensi, Ray Ventura et Boris Vian. [Sermonte J.-P. - Brassens au bois de son cœur - pp. 79-80] Ce dernier complimente le tour de chant de son confrère: "Toutes ces chansons nouvelles sont sensationnelles. Quel beau boulot !" 

C’est également lui qui, souhaitant défendre les œuvres en question, publie le fameux À propos de Brassens - Public de la Chanson, permets que l’on t’engueule ! dans Le Canard Enchaîné. Le thème de la mort (Oncle Archibald, Grand-père) semble ne pas toujours avoir séduit, bien que de qualité soient les textes. L’album concerné ici est le 33T 25 cm Georges Brassens N°5 (Philips N 76.074 R), mis en avant dans la rubrique Disques du magazine trimestriel Jours de France le 01/11/1958*2. Cette problématique se retrouve dans l’argumentaire de l’article paru dans La Gazette de Lausanne (01-02/11/1958) sous le titre Rive Gauche, Rive Droite – Brassens - M. Arnaud – Marco – À l’Olympia. L’auteur, sous le pseudonyme du Promeneur de la Seine, encense particulièrement Marco mais fait part de la déception ressentie tant par lui que par ses confrères helvètes, à la découverte des nouvelles chansons de Brassens. Tant sur le plan musical que littéraire (référence est faite sur ce point précis au parallèle établit par Pierre Gascar avec les écrits de François Villon), leur préférence va aux plus anciennes. Citant le jeu de mots "la came de Jammes", que Gabriel Macé emploie dans son article à la fois élogieux et humoristique Brassens: Trente-sept berges fleuries, publié dans Le Canard Enchaîné à la fin du mois d’octobre 1958, le journaliste de La Gazette de Lausanne affirme des goûts bien différents de ceux de son collègue de l'Hexagone. La musique semblant être ici un point de divergence important.

Pour le reste, quatre autres articles font une rétrospective du tour de chant du sétois moustachu, sans oublier les artistes de la première partie. Tel en est-il de Jean Jouquey qui titre sobrement Georges Brassens à l’Olympia dans Le Parisien du 31/10/1958, de Lucienne Moray avec Brassens ne cherchait qu’un peu de charbon… pour son amie la bonne Jeanne, qui propose également un retour sur la jeunesse de l’artiste jusqu’au lancement de sa carrière par Patachou puis son accession à la célébrité. Le papier en question est consultable dans Détective et daté du 31/10/1958. On n’oubliera pas Jacques Charpentreau qui analyse les chansons de Georges dans un article intitulé Georges Brassens encore et toujours et publié dans Tribune du Peuple le 15/11/1958. Enfin, dans un organe de presse non identifié, Pierre Sebesi nous livre une courte interview de Brassens qui évoque son art et sa manière de créer une chanson. La publication porte le titre Le polisson de la chanson Georges Brassens, est ornée d’un encadré noir avec impression des titres dans le sens des aiguilles d’une montre.

Sur le tard, on notera un billet de Claude Page daté du 06/11/1958 et publié dans la rubrique Courrier des lecteurs de France Observateur: faisant référence à l’esthétique de la pochette du 33T 25 cm Georges Brassens N°5, il dénonce la photographie de l’auteur-compositeur du Pornographe – peu valorisante, il est vrai – qui illustre l’article de Nicole Zand évoqué plus haut. Signalons pour terminer le comparatif que l’on peut découvrir dans le magazine Marie-Claire en décembre 1958 : Du 23 octobre au 12 novembre, 80 000 parisiens ont payé 100 millions pour suivre le match de la chanson. Sur différents points, le spectacle de Georges Brassens à l’Olympia est confronté à ceux, respectifs, de Charles Aznavour à l’Alhambra et d’Yves Montand au Théâtre de l’Étoile

Le 05/02/1959 a lieu la captation à l’Olympia de la première participation de Brassens à l’émission Dimanche dans un fauteuil, produite et réalisée par Jean Chouquet puis diffusée sur Paris Inter le 08/02/1959. Quatre chansons sont interprétées par leur auteur-compositeur: Oncle Archibald, À l’ombre du cœur de ma mie, La marche nuptiale et La femme d’Hector. Les années 1960 approchent et s’annoncent perturbées pour le sétois moustachu. Si sa carrière continue d’avoir le vent en poupe, les crises de coliques néphrétiques le touchent de plus en plus souvent et vont compliquer ses apparitions.

Roger Morizot: "Dès 1960, quand il passa avec Lola Flores et Jean Valton, le problème se posa de savoir s’il pourrait continuer. Il souffrait tellement qu’il ne voulait plus faire de scène. Bruno Coquatrix parvint à le persuader qu’il pouvait surmonter son mal (…)" [Morizot D., 2021. Je les ai tous vu débuter – 30 ans dans les coulisses de l’Olympia – p. 210]

Après un récital au Cyrano à Versailles le 20/01/1960, Georges Brassens effectue donc sa rentrée le lendemain sur la scène de l’Olympia avec un nouveau spectacle. Il y restera jusqu’au 05/02/1960 (Roger Morizot indique de son côté le 10/02). Cinémonde annonce l’événement dans un article du 19/01/1960 intitulé Georges Brassens va servir son cru 60. Y sont citées des chansons nouvelles (détaillées plus bas) qui seront intégrées au 33T 25 cm N°7 - Georges Brassens et sa guitare, accompagné par Pierre Nicolas (Philips B 76.488 R) à paraître courant mars. Le jour de la première, une chronique d’Angèle Dailly Guller est publiée dans l’hebdomadaire féminin Femmes d’aujourd’hui sous le titre La chanson d’aujourd’hui. Avec Charles Trenet, Francis Lemarque, Maurice Chevalier, Patachou, Charles Aznavour, Catherine Sauvage et Gilbert Bécaud, Georges Brassens est mis en avant avec une locution qui caractérise bien son œuvre: "Il n’a pas peur des mots, mais « au bois de son cœur, il y a des petites fleurs…"

En première partie du spectacle présenté par Jean-Marie Proslier figurent Les Bedini (acrobates), Pierre Maguelon dit Petit Bobo, Danièle Rouillé (que le programme présente en annonçant qu’elle est "faite pour la chanson comme Anquetil pour courir à bicyclette et Simone de Beauvoir pour philosopher"), Les Hellos (cyclistes et jongleurs), Rudy Cardenas (jongleur), Les Brutos (quintette comique italien), Jean Valton et Lola Flores. [Lonjon B., 2021. Brassens l’enchanteur – p. 260]

René Fallet rédige une présentation très à propos pour son ami sétois et qui est insérée dans le programme: "Si, quelque jour, on vous le présentait ailleurs qu’au détour glacé d’un programme, c’est de bon droit que vous vous diriez « enchanté ». Car cet ours a du charme et du miel, et le pavé qu’il assène quelquefois est ficelé d’un ruban rose signé Margot. Et dans cet ours amoureux fou des sirènes de la chanson française vivent, inattendus, les yeux mêmes de l’écureuil. Cette bête débouche parfois de la forêt de Brocéliande pour se montrer sur scène où elle apporte le bouquet fauve des quatre saisons de son cœur. C’est l’anachronisme qu’elle représente qu’il convient d’aimer par ces temps d’infarctus, de pétrole, de myocarde et de Canaveral.
Notre ours-poète-écureuil vous amène cette fois ses nouveaux amis, une Pénélope suburbaine, un patron de bistrot suspect, un père Noël dramatique, entre autres. Vous les emporterez au paradis des simples, qui sont fleurs des champs, ou grelots de musique, ou morts de tous les jours de fête.
On ne saura jamais de quelle farine est faite l’émotion Georges Brassens. Ni vous ni lui. Mais laissez-la monter en vous. Voici que s’entrebâille la porte de l’Olympe de ce Jupiter à moustaches."
[Fallet R., 1967. Brassens – pp. 51-52]

La liste complète des chansons interprétées par Georges dans le cadre de cette nouvelle série de dates à l’Olympia n’est pas aisément reconstituable, aucune source fiable sur ce sujet et venant de lui-même ou de son entourage n’ayant pu parvenir jusqu’à nous à ce jour. Néanmoins, il m’a été possible de retrouver des informations en recoupant les différents articles de presse de l’époque avec les écrits des biographes et analystes de référence. Sept nouvelles chansons sont mises à l’honneur: Les funérailles d’antan, Le mécréant, Embrasse-les tous, Le père Noël et la petite fille, Le bistrot, L’orage et Pénélope. Parmi les autres, on peut citer, avec une extrême prudence, Bonhomme, Le gorille, Le pornographe et Le vieux Léon. Il est intéressant de mentionner également l’existence d’enregistrements radiophoniques attribués à l’émission Musicorama, retransmission ̶sur Europe N°1 d’un spectacle musical présenté le plus souvent à l'Olympia. Cependant, les dates
 enregistrement les 21 et 28/01/1960 pour diffusion les 21 et 28/02/1960  indiquées sur les boites contenant les bandes en question sont incertaines. Ce d’autant plus que six des chansons des chansons qui s’y trouvent conservées ont connu une interprétation en public et un enregistrement en studio nettement postérieurs à 1960. Il s’agit de Saturne, Le grand Pan, La guerre de 14-18, Les amours d'antan, Dans l'eau de la claire fontaine et Le temps ne fait rien à l'affaire. Enfin, notons que deux autres bandes issues de Musicorama ont été retrouvées. D’après les indications inscrites sur les boites, il s’agirait d’inédits de la saison interprétés par onze artistes. Les titres ne sont pas indiqués. Une date de diffusion à vérifier: le 02/06/1960. Il ne m’a pas été possible, à ce jour, d’écouter ces enregistrements.

Intéressons-nous à présent à la revue de presse sur ce passage de Georges Brassens dans la mythique salle de Bruno Coquatrix. Deux articles intitulés Rentrée de Georges Brassens et parus le 22/01/1960 nous donnent des précisions sur les invités à la première. Leurs auteurs respectifs sont Philippe Bouvard dans Le Figaro et Alain Spiraux dans Paris Jour. On apprend ainsi la présence de personnalités militaires et politiques telles que les Ministres d'État Roger Frey, Louis Jacquinot et Robert Lecourt, le député et secrétaire général du PCF Maurice Thorez ainsi que son épouse Jeannette Vermeesch, le diplomate soviétique Vladimir Vinogradov ainsi que le maréchal Alphonse Juin. Du côté des artistes de la chanson, du cinéma et de littérature on trouve Charles Aznavour, Guy Béart, Colette Renard, Henri Salvador, Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale, André Cayatte, Jean Delannoy, Abel Gance, Mireille Granelli, Juliette Meyniel, Danièle Rocca, Dany Saval, Charles Vanel, Louis Aragon et Elsa Triolet (dont Jean-Paul Sermonte publie une photo dans Brassens au bois de son cœur (2001)) ainsi que Françoise Sagan, au bras du danseur étoile Jacques Chazot. Alain Spiraux nous indique que Jean Anouilh, André Malraux et Roger Vadim n’ont pu honorer leur invitation.

Le 23/01/1960, de nombreux organes de presse écrite rendent compte de la prestation de la vedette du moment. À commencer par André Ransan dans L’Aurore. Sous le titre Brassens à l’Olympia …pas dans la meilleure forme, il exprime le sentiment d’avoir perçu des difficultés chez le sétois. Faut-il attribuer ces dernières au trac, ou bien à une crise de coliques néphrétiques qui pointe ? Nul ne le sait, bien que la seconde hypothèse soit plus que probable, compte tenu du témoignage de Roger Morizot cité plus haut. Du côté des artistes de la première partie, Jean Valton, Rudy Cardenas et les Brutos sont particulièrement loués. François des Aulnoyes titre Georges Brassens à l’Olympia dans Combat, tout comme le fait Yvonne Baby (par intérim) dans Le Monde. Les nouvelles chansons du répertoire du sétois sont très appréciées des deux journalistes, mais aussi de leur confrère de Paris Jour Maurice Ciantar. Dans la rubrique Music-Hall du quotidien, celui-ci- publie un court article dont le titre est À l’Olympia – Un grand Brassens et qui exprime le fait qu’il n’adhère pas forcément toujours à l’œuvre de Brassens sous tous ses aspects, mais approuve sa nouvelle cuvée, avec une mention spéciale pour Les funérailles d’antan, Le vieux Léon et Le mécréant. Les mêmes que Robert Chazal met en exergue dans son article de France Soir qui s’intitule À l’Olympia – Brassens (le Gorille vous resalue). De plus, il souligne la poésie de Pénélope et Le père Noël et la petite fille tout en nous apprenant que L’orage ouvre le récital. Dans L’Humanité, Gilbert Bloch y va de sa plume en pointant qu’un "humour mordant mais tendre, une poésie vraie font de la plupart de ses chansons autant de régals pour l’auditeur". Le retour de Georges Brassens à l’Olympia est le titre de son compte-rendu. Enfin, n’oublions pas les éloges de Paul Giannoli dans Paris Presse. Les mêmes chansons nouvelles ont les honneurs de son article Brassens à l’Olympia: sa hache est toujours bien trempée.

Le triomphe de Brassens est spécialement bien rendu dans L'Information du 26/01/1960: "Georges Brassens fait plébisciter une douzaine de ses œuvres dont la moitié sont inédites. Chacune est longuement applaudie et le compositeur-chanteur, s’il a livré bataille, l’a remporté avec les honneurs d’un public qui refuse de le laisser quitter la scène et l’ovationne longtemps encore après le baisser du rideau." [Sermonte J.-P. - Brassens au bois de son cœur - p. 79-80] Le Parisien du 27/01/1960 et son article intitulé À l’Olympia – Georges Brassens fait rire avec "les Funérailles" ne sont pas en reste, tout comme Le Canard Enchaîné qui met l’accent sur la communication instinctive entre l’artiste et son public, en particulier sur Le mécréant et Les funérailles d’antan qui déclenchent les rires de Georges – et l’enthousiasme des spectateurs –  cependant qu’il les chante. L’article en question, daté lui aussi du 27/01/1960, est en deux parties ayant pour titres respectifs Cher Brassens ! Comme on te retrouve chaque fois avec plaisir ! et Brassens: deux chansons (parmi d’autres) du tonnerre !, le tout signé "T.".

Deux autres papiers viennent, pour leur part, nuancer les propos encenseurs vus jusqu’à présent. Tout d'abord dans La Gazette de Lausanne du 30/01/1060 où le même journaliste que deux ans auparavant, toujours sous le pseudonyme du Promeneur de la Seine, déplore le côté sombre d’un certain nombre de chansons, comme l’indique le titre choisi: Rive gauche, rive droite – Les chansons noires de Georges Brassens. Pénélope et Le mécréant sont toutefois bien considérées. Claude Fachard s’indigne, lui, de l’usage de gros mots par le troubadour sétois et marque son sentiment jusque dans le titre de son article du magazine hebdomadaire Le Pèlerin: Brassens: la chanson scandale ! (à la date du 07/02/1960).

Pour terminer, on relèvera que Radar met Petit Bobo à l’honneur le 05/02/1960, avec une photo-portrait pleine page accompagnée d’une brève au titre évocateur: Brassens lance un ami: P’tit Bobo ! Le comédien labruguiérois a en effet été soutenu par Brassens avec qui il tisse des liens d’amitié. Avant de le faire inclure en première partie de son spectacle à l’Olympia, Georges lui avait écrit une préface qui servi à lancer la série de super 45T Les Histoires de Petit Bobo, destinée aux enfants. D’abord imprimée telle quelle à l’initiative de Pierre Maguelon au verso de la pochette du premier volume (Disques Vogue EPL 7.495 / Vogue Productions – EPL 7.495), paru en 1958, on la retrouve dactylographiée au verso de celle du second, arrivé dans les bacs la même année.

Ce texte d’encouragement a été réutilisé pour l’élaboration du programme de l’Olympia de Georges Brassens au début de l’année 1960. Petit bobo a été positivement remarqué tandis que son confrère et ami a reçu de chaleureuses ovations d’un public qui l’a applaudi tout rompre, le rappelant sans cesse après chaque récital… sans se douter que ses reins le font souffrir plus… Mais pour les nombreux  amateurs de ses chansons ainsi que par amitié pour Bruno Coquatrix, il reviendra l’année suivante…



*1Il existe un court entretien accordé par Georges Brassens à la journaliste Lise Élina à l'occasion de son prochain passage à l'Olympia. Il évoque son trac et sa timidité, évoque la Bretagne où il va se ressourcer, la chanson Le Vieux Léon qui a fait courir le bruit d’un accompagnement sur scène à l’accordéon, son peu de goût pour le cinéma malgré sa participation au film Porte des Lilas et enfin, sa préférence pour l'écriture de ses chansons plutôt que leur interprétation. Non diffusé, ce document est référencé sur le site de l’INA et daté du 01/11/1958. Pourtant, en fin de séquence, Lise Élina souhaite à Brassens le succès auprès du public du music-hall de Bruno Coquatrix avant d’ajouter "et même demain à Versailles", ce qui prouve que la captation a eu lieu le 21/10/1958 très exactement.

*2Le dernier paragraphe de l’article annonce un 33T 30 cm enregistré en public et intitulé Georges Brassens à l’Olympia. Ce disque n’a jamais vu le jour à l’époque et il s’avère, après vérification dans les archives discographiques du troubadour sétois, qu’il n’a a priori jamais été en projet.

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