A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

J'ai rendez-vous avec vous

"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

vendredi 6 octobre 2017

Et le troisième coup ne fut qu'une caresse...

Dans La fessée, chanson gaillarde de l'album Supplique pour être enterré à la plage de Sète (Philips P 77.854 L), Georges Brassens joue des convenances et transgresse finement les interdits au fil de neuf couplets d'alexandrins burlesques, rehaussés par des rimes triplées. Ici est mise en scène la veuve d'un ancien camarade d'école récemment décédé, à laquelle le narrateur - incarné par le sétois - rend visite et donne du réconfort dans la chapelle ardente où il lui tient compagnie. Il boit le champagne au décès de ce copain disparu et, l'excès aidant, les deux protagonistes glissent vers le jeu de la séduction puis vers l'acte sexuel insinué subtilement avec des doubles sens: Ma pipe dépassait un peu de mon veston. Aimable, elle m'encouragea: "Bourrez-la donc (...) Que diriez-vous d'une frugale collation ?" Et nous fîmes un petit souper aux chandelles (on relèvera la citation d'une célèbre chanson écrite par Paul Misraki en 1936). [Poulanges A., Tillieu A., 2002. Manuscrits de Brassens. Tome 3: Transcriptions et commentaires - p. 300]

La connotation de ces vers installe une ambiance qui se trouve être celle d'un salon ou règne un parfum d'érotisme, plutôt que d'une chapelle ardente. Au fil des six premiers couplets, d'autres alexandrins: Ainsi que des bossus, tous deux nous rigolâmes (...) Mais où diantre ai-je mis mon porte-cigarettes ? À minuit, d'une voix douce de séraphin (...) De noyer mon chagrin dans un flot de champagne (...) Quand nous eûmes vidé le deuxième magnum (...) Il y a donc ici transgression humoristique des codes sociaux d'un deuil, ainsi que le décrit René Fallet dans ses notes de pochette "Tous les humours, le noir, le rose, le britannique,  l'absurde, le mécanique et j'en passe font de La fessée ce monument délirant devant lequel un Desnos, un Breton, un Jarry auraient tiré leur chapeau. Là, Brassens s'amuse en liberté et je vois sans peine son sourire lorsqu'il écrit cette merveilleuse énormité: "Et nous fîmes un petit souper aux chandelles." Cette étonnante chanson porte une casserole distinguée sur la tête. En ces temps de messages, celui-là évoque ceux qui se lisaient sur les murs quand les murs ne s'étaient pas mis à penser, genre "M... pour celui qui le lira". On parle fort, aujourd'hui, de "démystifications". Cette démystification d'une veillée funèbre ressemble tout bêtement à une... mystification. J'ai lu pas mal de vers. Je n'avais pas encore eu un "Ainsi que des bossus tous deux nous rigolâmes" à me mettre sous l’œil."
 
 
Au Théâtre municipal de Lausanne (Suisse) le 02/03/1970

À travers ce fantasme, cette pensée renversant les normes culturelles toujours d'actualité, Salvador Juan explique dans son ouvrage Sociologie d'un génie de la poésie chantée: Brassens (2017) que l'on peut également voir une victoire de l'amour et de la vie sur la mort.

"Me voilà rassuré', fit-elle, j'avais peur
Que, sous votre moustache en tablier d'sapeur
Vous ne cachiez coquettement un bec-de-lièvre..."

Cette comparaison est ébauchée dans des notes prises le 16/07/1963 sur le journal de Georges: Une moustache pour cacher un bec-de-lièvre (...) [Brassens G. - Journal et autres carnets inédits - p. 34] Un tablier de sapeur est une toison pubienne abondante (chez la femme). Comme 'barbu', 'sapeur' désigne en effet la toison pubienne, par la métaphore des poils à laquelle s'ajoute celle du tablier (large et noir) que portaient les sapeurs sur le ventre. [Garitte J.-L., 2017. Brassens – Mais où sont les mots d’antan ? - p. 578] D'autre part, 'tablier de sapeur' est aussi le nom d'une spécialité culinaire de la région lyonnaise à base de gras-double. Mais dans sa chanson, c'est bien à la première que Brassens fait référence. Le narrateur - auquel il s'identifie - considère que ceci est un affront à sa moustache et mérite une punition: une fessée dont l'interjection 'paf' est la véritable bande-son. Et parce que même une bougresse peut avoir toute la sympathie voire la tendresse de Brassens, sa main vengeresse est retombé', vaincu' ! Et le troisième coup ne fut qu'une caresse... C'est la veuve, s'enquérant de savoir s'il a remarqué qu'elle a un beau postérieur, qui prononce le mot 'cul', émoustillée bien sûr par le champagne. On notera ici la technique humoristique consistant à utiliser un langage raffiné pour mieux faire ressortir le gros mot.

Le poète sétois évoque en filigrane La fessée lorsque, lors de l'émission Comme vous le savez, diffusée sur RTL les 13, 14 et 15/10/1969, il explique ce qui suit à Max-Pol Fouchet et André Sallée:

Georges Brassens: "Il m'est arrivé d'être saoul, mais il y a des choses que je ne fais pas. Par exemple, pincer le cul des dames qui passent. J'ai souffert d'être considéré comme un pince-fesses. Ce n'est pas de la pudibonderie, c'est une question d'esthétique: le geste me déplaît. Les fesses, on peut les mordre, se mettre à genoux devant, mais les pincer, non." [Sallée A., 1991. Brassens - p. 153]

Cette légende est à l'origine du Pince-fesses, chanson orpheline mise en musique et enregistrée en 1986 par Eric Zimmerman, puis reprise en 1988 par le Tonton Georges Trio. N'oublions pas non plus mouture que nous propose Bruno Granier en 2009 sur le tout premier disque des Amis de Brassens.

 
 Sans Vergogne, aux Brassensiades de Pirey (25) le 30/03/2014
 
Mais revenons à La fessée, dont un brouillon retrouvé n'est pas sans évoquer un fameux passage de Souvenirs de parvenue, chanson déposée à la Sacem le 04/03/1943 et qui, à l'époque de sa réquisition au STO à Basdorf, avait valu à son auteur le surnom de Bidet:

D'un magistral coup d'botte au cul

un p'tit défaut
Dans sa plastique

le pot de chambre

avec lequel elle m'a fendu
la boit' crânienne

Comme le note Alain Poulanges dans le cahier de transcriptions et commentaires des Manuscrits de Brassens (2002), la suite de cette ébauche, dans laquelle le mot 'cul' et le mot 'croupe' sont utilisés alternativement, voit Georges se concentrer progressivement sur la partie basse de l'anatomie du dos. Celle-là même qu'il a mise en valeur deux ans plus tôt dans Vénus callipyge !

Jean-Pierre Marielle dit La fessée - Théâtre de la Mer (Sète), 29/06/2006

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire