A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

J'ai rendez-vous avec vous

"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

dimanche 24 février 2019

Raymond Devos et "l’ours bien léché de la chanson française"

"Beaucoup de gens croyaient que Brassens était un ours. Mais c’était un ours bougrement bien léché. Il adorait les gens et la compagnie de ses amis. Homme terriblement secret, il ne lançait ses chansons qu’une fois parfaitement au point. J’avais beau le rencontrer très souvent, je ne découvrais ses chansons que lors des générales."

Cette pensée fut celle de Raymond Devos lorsqu’il apprit la disparition de Georges Brassens. Invité du Journal Télévisé de 13H du 31/10/1981 sur Antenne 2 avec Philippe Chatel, André Larue et Patachou, il apporta son témoignage sur celui qu’il eut surnommé "l’ours bien léché de la chanson française" et avec qui il eut tissé une grande amitié. Leur prise de contact remonte à la première moitié des années 1950 aux Trois Baudets, où Devos fit ses premiers pas officiels en partageant l’affiche de la deuxième année du spectacle Sans issue en 1951 avec Robert Lamoureux, Pierre Dac et Francis Blanche, Félix Leclerc et Darry Cowl. À cette époque, il se produisait en duo avec Robert Verbecke qui l’avait sollicité pour jouer, à la guitare (il avait suivi des cours avec Cyril Dives au Théâtre Mouffetard dit "La Mouffe"), les enchaînements musicaux de La perle du Colorado, pièce de théâtre montée par Michel de Ré au Vieux-Colombier, avec Michel Piccoli, Georges Wilson et Barbara Laage. Ainsi étaient nés Les deux Pinsons : Raymond Devos à la guitare et Robert Verbecke au ukulélé reprenaient humoristiquement des chansons traditionnelles de music country (notamment La vieille truie (The Old Sow), Clémentine (My Darling Clementine), Le dindon digne (Yankee Doodle) ou encore You Are My Sunshine), n’hésitant pas à user de figures de style qui préfiguraient les œuvres futures du saltimbanque des mots.

Ce numéro au ton burlesque, dont témoigne par exemple le super 45T Les Pinsons "Joyeux Cow-boys" jouent pour les enfants (Philips 432.318 BE) paru en novembre 1958, était d’abord présenté au Gipsy’s (devenu ensuite Les Folies furieuses, L’Arche de Noé puis Le Potofou) - sis au 20 de la rue Cujas (5e arrondissement) - puis repris dans une revue de l’A.B.C - Théâtre du Rire et de la Chanson du 24/03 au 10/04/1952, comme le montre le contrat daté du 22/02/1952 dont Jean Dufour*1 publie une reproduction dans son ouvrage Raymond Devos - Funambule des mots (2005). Les Pinsons intégraient ensuite le Psychanalitical show que proposaient Francis Blanche et Pierre Dac*2 aux Trois Baudets dans Sans Issue. Par la suite, Jacques Canetti les programma dans Allegro, de décembre 1951 à septembre 1952, avec Patachou, Félix Leclerc et Mouloudji, ainsi que Darry Cowl, Les Philippines et Les Garçons de la Rue.

Et Brassens, me direz-vous ? Il effectua ses véritables débuts sur la scène de l'établissement de la rue Coustou de suite après, lors de la première du spectacle Montmartre 81.98 le 19/09/1952. S’il est difficile de dater précisément sa première rencontre avec Raymond Devos, il est somme toute assez logique de la situer à partir de cette période, d’après le témoignage de Pierre Onténiente. [Vassal J. - Brassens, le regard de "Gibraltar" - p. 149] Par ailleurs, on peut repérer une annotation intéressante de Georges dans son agenda "L'homme moderne" [Brassens G. - Journal et autres carnets inédits - p. 325], pour le mardi 11/01/1955: "Pierre Dac. 9H - 13H". Ce rendez-vous put plausiblement être l’occasion pour les deux artistes d’évoquer entre autres le talent d’écriture de Devos qui finit par trouver sa voie en écrivant le sketch La mer démontée et en se lançant en solo. Ce texte utilise habilement l’absurde et le comique de situation, dont il découvrit par hasard les effets et le potentiel pendant un dîner dans une salle de restaurant à Biarritz (64), lors d'une tournée théâtrale des villes casinos avec la Compagnie Jacques Fabbri (fondée en 1953), au milieu des années 1950. Devos fit son retour aux Trois Baudets à la fin de l'année 1955 pour y tester sa nouvelle création, remplaçant Fernand Raynaud en plusieurs occasions. Le succès aidant, il se laissa convaincre de se lancer progressivement dans un tour complet pour le spectacle Nouvelles têtes… et …bonnes manières, de mars à décembre 1956. Raymond figura également à l’affiche de HI-FI (décembre 1956 à mars 1957) dont Pierre Dac et Francis Blanche sont les vedettes, de Discorama (mars à septembre 1957), toujours avec le célèbre duo d’humoristes mais aussi Marcel Mouloudji, puis de La réalité dépasse la fiction (septembre 1957 à novembre 1958). Jacques Canetti le programma une ultime fois en février 1959, sur la seconde affiche d’Opus 109, en vedette avec Guy Béart. Rien d’étonnant dès lors à ce que le texte de présentation imprimé au verso de la pochette du super 45T des Pinsons décrit plus haut soit issu de sa plume ! Son succès croissant l’amena à partager la tête de l’affiche du Festival du Disque 1957 avec Zizi Jeanmaire.


Pour en revenir à Brassens, un certain nombre de points communs dessinèrent une amitié soutenue entre lui et l’auteur de Caen qui, outre une admiration réciproque, ont dans leur métier la même exigence, la même rigueur dans la création et le même respect du public. À commencer par la passion de la littérature et des mots. L’inspiration vient facilement à Devos. Il exprime ce point de vue ainsi que son goût pour l’art de l’absurde dans une locution que Jean-Claude Lamy retranscrit dans son article Raymond, en chair et en Devos, publié le 15/06/2006 sur lefigaro.fr:

Raymond Devos: "Écrire n'a jamais été laborieux. C'est l'esprit qui joue sur les mots. Ce sont des jeux d'esprit où la sonorité des mots est primordiale. Brusquement, on franchit les limites de la logique. Ça tombe dans l'absurde. Faire croire aux gens qui m'écoutent que le vert est rouge. Ils doivent traverser avec moi cette frontière. D'où mon immense admiration pour Marcel Aymé et Antoine Blondin qui arrivaient à inscrire l'imaginaire dans le réel."

Les deux auteurs qu’il cite figurent aussi en bonne place dans la bibliothèque de Georges Brassens. Marcel Aymé, friand de music-hall et fréquentant souvent les cabarets, découvrit l’humoriste mouscronnois au cabaret Le Cheval d’Or et le poète sétois aux Trois Baudets. Puisque nous évoquons deux salles de spectacles, il est important de souligner que Brassens comme Devos baignèrent dans la musique dès leur plus tendre enfance. Le premier par sa mère qui, originaire de Marsico Nuovo, dans la Basilicate, en Italie méridionale, partagea avec les siens son inclinaison pour les chansons traditionnelles de son pays et pour les mélodies jouées à la mandoline. Instrument sur lequel Georges apprit les rudiments techniques qu'il développa plus tard à la guitare. N’oublions pas non plus le rôle que joua sa demi-sœur, Simonne*3 : sur son phonographe eurent régulièrement été joués des disques de Mireille, Jean Nohain, Tino Rossi, Jean Tranchant ou encore Ray Ventura et ses Collégiens. Ainsi la chanson fut-elle bien ancrée chez les Brassens ! Quant à Raymond Devos, son univers familial le prédisposa très tôt à jongler avec la musique : sa mère, dont il hérita la sensibilité artistique, eut une certaine vocation pour le violon et la mandoline en plus d’être amatrice de jeux de mots. Son père, ce fut l’orgue et le piano, son oncle, la clarinette. Instrument que le neveu se vit offrir et emporta avec lui lorsqu’il fut, contre son gré, réquisitionné dans le cadre du Service du Travail Obligatoire (STO), à l’instar de Brassens. Il créa des numéros basés sur la musique et le mime (art qu’il perfectionna plus tard à l’école d’Étienne Decroux, où il fit la connaissance de Marcel Marceau), lesquels furent joués devant ses compagnons (d’infortune) au camp, le soir, après le travail à l’usine. Georges, lui, écrivit nombre de chansons durant son séjour forcé en Allemagne. Quatre d’entre elles eurent l’honneur d’une interprétation par René Iskin en août 1944, lors d'un spectacle monté par André Larue.

Abordons à présent l’humour, forme d’esprit bien sûr indissociable de Raymond Devos, mais qui caractérise aussi son confrère. Celui-ci en utilise d’ailleurs très souvent les deux concepts : langage et moyen d’expression. Se glissant dans la peau de Devos, Robert Le Gresley y fait allusion de belle manière dans Pour vous Monsieur Brassens, d'affectueuses irrévérences (2011), énumérant les différentes facettes de l’humour qui déterminent une majorité des chansons de Brassens : comique de situation, dérision, exagérations rabelaisiennes, expressions détournées, fausse candeur, irrévérences, jeux de mots, rapprochements incongrus, rebondissements inattendus… Il n’oublie pas non plus de mettre en relief l’humour au quotidien chez Georges, appuyant sur son tempérament blagueur envers ses amis, son goût pour les surnoms donnés aux gens de son entourage, ses lectures de divers auteurs humoristes. Fait intéressant : à la suite d’une de leurs longues discussions sur ce thème, Georges chargea Pierre Onténiente de se procurer tous les livres sur le rire qu’il put trouver en faisant ses emplettes chez les bouquinistes ainsi qu’aux Puces de Vanves. Ce fut pour les offrir à Devos.

Autre point commun entre icelui et Brassens : le pianiste, compositeur et chef d'orchestre Oswald D'Andréa, qui fut accompagnateur de certains artistes des premières parties de spectacles et connut le sétois moustachu par ce biais. En tant que musicien, il fit également partie de la tournée du dixième anniversaire des Trois Baudets du 27/07 au 31/08/1959, mettant en avant Guy Béart et Raymond Devos, tous deux lauréats du Grand Prix de l'Académie du disque français 1958 pour leurs 33T 25 cm respectifs : Guy Beart ‎- Chante Avec Ses Amis - N° 1 (Philips ‎B 76.418 R) et Raymond Devos - N°1 (Philips - B 76.415 R). Débutée aux Sablettes à La Seyne-sur-Mer (83) pour se terminer au Touquet (62), cette série de concerts passa ensuite par la Belgique avec trois dates : le 29/08 à Bruxelles, le 30/08 à Knokke-le-Zoute et le 31/08 à Ostende. Quelques années plus tard, Oswald D'Andréa réalisa le 33T Oswald D'Andréa et son Orchestre ‎- Chansons sans paroles de... Georges Brassens, paru en 1963 sous les références Philips ‎P 77.221 L (mono) puis 840.549 PY (Hi-Fi stéréo).

L’auteur de La tour des miracles (1953) et celui de J’ai des doutes se fréquentèrent de plus en plus régulièrement, entre autres pour le plaisir d’échanger les mots. "Il peut m'appeler à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit sans m'incommoder !" Ces mots viennent bien sûr de la bouche de Georges au sujet de son compère qui s’installa à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (78) en 1963. Gibraltar se souvient des escapades yvelinoises de celui dont il fut le secrétaire et ami.

Pierre Onténiente: "(…) Devos habitait la banlieue ; Georges avait la chance de pouvoir y garer sa voiture dans le jardin. Il pouvait donc aller le voir sans avoir besoin de moi. Il y est allé très souvent, et, grâce à cela, ils se sont beaucoup fréquentés. D’autre part, Georges avait une grande estime pour l’écriture de Devos, lui aussi un maître de la langue française doublé d’un artiste plein d’imagination. Ça comptait beaucoup pour lui, car il appréciait tout à la fois l’écrivain, le musicien et l’homme. Georges lui avait fait cadeau d’un trombone et aussi, je crois, d’une guitare. Devos l’adorait aussi, bien sûr." [Vassal J., 2006. Brassens, le regard de "Gibraltar" - p. 150]

La guitare en question, une Favino, porte une dédicace en son intérieur: "Pour les 50 ans de Raymond Devos avec ma vieille amitié. G. Brassens. 1972, Paris." Exposée au Musée Raymond Devos à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, elle fut fréquemment utilisée en contrepoint d’un sketch. Au cours de ses spectacles, l’auteur de La mer démontée joua de nombreux autres instruments. Outre ceux présentés plus haut, il y eut par exemple la flûte traversière, la harpe, le concertina, mais aussi la clarinette "trompe d’éléphant" et la scie musicale qu’il imagina lui-même. Dans ce registre, il faut également compter un cor de chasse - que l’on peut découvrir au Musée Raymond Devos - constitué d’un pavillon et d’une embouche reliés par un tuyau souple de couleur dorée, ce qui permet de le dérouler. Utilisé lors du gala de l’Union des artistes en juin 1978, il naquit d’une pointe d’esprit de Brassens envers son ami humoriste : "Tu as un souffle à dérouler les cors de chasse !"

Étaient-ils croyants ? La réponse à cette question, semblable pour tous les deux, figura itou parmi leurs nombreux sujets de conversation. Devos, qui créa le sketch L'homme existe, je l'ai rencontré, apporta son témoignage à Jean-Claude Lamy.

Raymond Devos: "Georges savait que tout était mystère mais il ne cherchait pas à expliquer quoi que ce soit. Je crois, disait-il, à la lumière, à l’esprit. Il avait été frappé par une conversation avec Jean Rostand. Celui-ci lui déclara qu’avec son expérience de biologiste, toutes ses réflexions sur l’espèce humaine qui représente l’aboutissement d’une longue série de transformations, il ne pouvait pas en conclure que Dieu existe." [Lamy J.-C., 2004. Brassens, le mécréant de Dieu - p. 32]

L’auteur du Plaisir des sens gagna la consécration à l'Alhambra-Maurice Chevalier où il se produisit du 16/09 au 04/10/1960, dans un spectacle organisé par Jacques Canetti avec que l'on surnomma "Maurice de Paris" et l'orchestre de Michel Legrand. A ce titre, on peut retenir le super 45T 1 - Raymond Devos Raconte... : "J'en ris, j'en pleure" (Fontana 460.522 ME), dont le premier pressage est sorti en novembre 1956 et issu d’un enregistrement réalisé quelques mois avant dans la salle de la rue de Malte. Quatre sketches furent captés: La mer démontée, Le pied, Caen et J'en ris, j'en pleure. La préface est signée Boris Vian. Dans le second cahier de photographies du livre Georges Brassens - Histoire d’une vie (1991), Thierry Séchan et Marc Robine publient un cliché montrant Georges Brassens à la guitare et Raymond Devos jouant de la clarinette, tous deux dans les coulisses de l’Alhambra. Fréquemment, le poète sétois assista aux spectacles de son ami dans différentes salles parisiennes. Ainsi à Bobino, où une photo prise en 1963 et publiée dans le N°42 de la revue Les Amis de Georges (mars-avril 1998) les montre tous les deux dans une des loges de la célèbre salle de music-hall en compagnie de Jacques Canetti. Bobino, où s’installa Brassens du 12/09 au 07/10/1963 puis un an plus tard, du 21/10 au 10/11/1964, avec une brève reprise du 01 au 10/01/1965. Un cliché très connu paru dans un article du journal québécois Télé-Radiomonde du 13/03/1965 - Les dernières photos de Brassens - l’immortalise en compagnie de Joseph Kessel et Raymond Devos, venus l’encourager. Un autre, issu du même article, révèle la présence de Jean-Paul Belmondo avec eux. Le court texte situé juste en dessous indique que la première eut lieu après "quelques mois de silence" et parle plus loin de "nouveau tour de chant". La précédente date de Brassens à Paris se trouvant être le 09/06/1964 à l’hôtel de Sully, dans le quartier du Marais (4e arrondissement), ceci laisse à penser que les photos furent prises le 21/10/1964. Ce d’autant plus qu’un entrefilet de Cinémonde du 29/12/1964 nous informe aussi de la visite rendue par Joseph Kessel au sétois à Bobino. Il fallut donc un certain temps, à l’époque, pour que les prises de vues traversent l’Atlantique !

Pour la curiosité, c’est probablement dans le courant des années 1960 que fut édité un 45T publicitaire pour Végétaline, sous le titre La leçon de frites. Souvent sollicité pour enregistrer sur ce type de support, le chansonnier, imitateur et humoriste Jean Valton usa de ses talents pour faire participer "involontairement" Raymond Devos, Fernand Raynaud et Georges Brassens en face A, Jean Richard, Pierre Fresnay, Darry Cowl et Fernandel en face B. Voici le commentaire imprimé au verso de la pochette :

Nous avons demandé à l’inimitable… imitateur Jean Valton de prendre la voix des vedettes que vous préférez et de créer, avec ce disque, cette fantaisie sur la nouvelle méthode "Végétaline" pour les frites.
La "VÉGÉTALINE"


Est également connu un autre 45T du même genre, enregistré par Jean Valton avec Claude Véga: Les trois mousquetaires et leurs doublures, avec la participation "involontaire" de Pierre Fresnay (le Récitant), Maurice Chevalier (Athos), Raymond Devos (Porthos), Jacques Dufilho (Aramis), Charles Aznavour (D'Artagnan), Darry Cowl (le Masque de Fer), Brigitte Bardot (Milady), Jean Richard et Georges Brassens (les Valets), Eddie Constantine (le Duc de Buckingham), Pauline Carton (Constance Bonacieux) et Jean Rigaux (Richelieu)... qui vous diront en fin de disque: Si ce n'est "20 ans après" attendez-nous dans 6 mois !

En 1967, Georges prit part à une tournée à travers la France, la Suisse et la Belgique. Tournée qu’une crise de coliques néphrétiques interrompit brutalement à Sceaux (92) le 04/05. Entré à la clinique Jouvenet le 10, le sétois moustachu y sera opéré le surlendemain. Durant sa convalescence, il reçut de régulières visites d’amis, dont Raymond Devos, lequel exécuta quelques numéros pour le distraire tout en lui apportant un peu de poésie, sous les yeux amusés de René Fallet. Tout d’abord avec un numéro utilisant un violon, comme le montre une photo publiée par Pierre Berruer dans le cahier central de La marguerite et le chrysanthème (1981) :

Raymond Devos: "Regarde, Regarde, je t’ai apporté le violon qui guérit… qui gai rit !"

La scène est relatée dans un reportage de Jean Durieux et André Lefebvre pour un article de Paris-Match daté du 27/05/1967 : Brassens souffrait. Son ami Devos accourt. La photo en illustration montre Georges, fumant sa première pipe de convalescent tout en essayant de produire des notes sur le violon de son ami. Avec trois oranges prises sur la table de nuit, Devos entreprit un jonglage, immortalisé par un cliché que l’on peut voir dans Georges Brassens - Histoire d’une vie (1991).

Une fois passée cette épreuve difficile, Brassens reprit ses activités, non sans avoir honoré la promesse qu’il eut faite à son confrère humoriste de lui offrir Propos sur le bonheur (1925), du philosophe Émile-Auguste Chartier dit Alain. Cet ouvrage, que Devos n’avait pas lu, est une anthologie thématique sur l'art d'être heureux. Le 16/12/1967, un reportage fut réalisé aux Trois Baudets à l’occasion du vingtième anniversaire de l’ouverture de l’établissement. Micheline Sandrel interviewa quelques-uns des nombreux invités réunis par Jacques Canetti pour fêter l’évènement. Autour de celui-ci, Georges Brassens, Jacques Brel, Raymond Devos, Yves Robert racontèrent des souvenirs de leurs débuts respectifs. La diffusion eut lieu sur France Inter le 18/12.

C’est aussi aux alentours de cette période que se tint une réception au restaurant A la Tour de Montlhéry - Chez Denise, donnée en l’honneur de l’anniversaire de Virginie Solenn, fille d’André Asséo. Cet authentique bistrot, ouvert par Denise Benariac et Jack Paul en 1966, est situé au 5, rue des Prouvaires, dans le quartier des Halles. Il vit défiler nombre de personnalités, dont le peintre Raymond Moretti qui, en voisin, y eut ses habitudes. Avec Georges Brassens, il fut invité lors de cette fameuse soirée, aux côtés d’André Asséo, André Bercoff, Raymond Devos, Joseph Kessel, Enrico Macias, Eddy Marnay, Louis Nucera, Georges Walter… Muni de sa fidèle six cordes, Georges chanta quelques chansons de Charles Trenet puis, se tournant vers Enrico Macias, lui demanda : "Tu n’as pas apporté ta guitare ?" Il chanta Les gens du nord, non sans quelques traits d’accent sétois. Comme il le rapporte dans L’envers du ciel bleu (2015), l’auteur-compositeur-interprète du titre en question répondit avec Chanson pour l’Auvergnat et Les deux guitares (Charles Aznavour). Brassens chanta aussi quelques chansons d’Eddy Marnay, que celui-ci n'avait plus en mémoire sur le moment, provoquant son fort étonnement. Dans Georges Brassens (1991), Louis-Jean Calvet nous révèle une anecdote originale : tandis que la nuit se prolongea jusqu’au petit matin, une conversation fut lancée en aparté entre Raymond Moretti et Georges, qui émit un avis critique sur la manière qu’avaient les comédiens de dire leurs textes. Afin d’illustrer ses dires, il récita… les cinq actes de Ruy Blas (1838), de Victor Hugo !

Après une série de représentations de Raymond Devos à l’Olympia en novembre-décembre 1968 (Georges fit partie de son entourage venu le soutenir), un évènement artistique très particulier se mit en place, qui concerne à la fois le mouscronnois et le sétois : une tournée commune s’étalant du 14/01 au 07/02/1970 et visitant 17 villes de la petite couronne francilienne. Figurant au programme du Théâtre de la Région Parisienne, elle fut organisée sous l’égide des conseils départementaux des Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne. Georges Brassens et Raymond Devos se retrouvèrent donc à partager la même affiche, ce qui ne fut arrivé qu’une seule fois auparavant : chez Patachou, en 1952, peu après les débuts de l’auteur-compositeur du Gorille. Le premier spectacle se tint au Centre nautique et sportif de Rosny-sous-Bois (93). Voici, dans l’ordre, les autres dates : le 15/01/1970 à Maisons-Alfort (94) ; le 17/01/1970 à Stains (93) ; le 9/01/1970 à Levallois-Perret (92) ; le 20/01/1970 à Colombes (92) ; le 22/01/1970 à Fontenay-aux-Roses (92) ; le 23/01/1970 à Cachan (94) ; le 25/01/1970 à Champigny-sur-Marne (94) ; le 27/01/1970 à Saint-Denis (93) ; le 28/01/1970 à Saint-Ouen (93) ; le 29/01/1970 à Noisy le Sec (93) ; le 30/01/1970 à Boulogne-Billancourt (92) ; la 31/01/1970 à Villejuif (94) ; le 03/02/1970 à Choisy le Roi (94) ; le 04/02/1970 à Clamart (92) ; le 05/02/1970 à Bagnolet (93) ; le 07/02/1970 à Suresnes (92).

Le programme présente Raymond Devos via un texte de René Bourdier - Raymond Devos et le rire qui délivre - extrait des Lettres Françaises. Quant à Georges Brassens, ce sont les mots du journaliste et grand reporter François Chalais qui le mettent en avant sous le titre Qui est Brassens ? Voici la programmation de son tour de chant : La rose, la bouteille et la poignée de main, Rien à jeter, L’ancêtre, La non-demande en mariage, Oncle Archibald, La religieuse, Bécassine, Le bulletin de santé, Sale petit bonhomme, Le grand chêne, Les amours d’antan, Misogynie à part, Supplique pour être enterré à la plage de Sète, Bonhomme, La complainte des filles de joie, Hécatombe, Corne d’aurochs, La mauvaise réputation, Le 22 septembre, Auprès de mon arbre, Sans l’eau de la claire fontaine. L’album Georges Brassens X - Misogynie à part (Philips 849 490 BY), largement représenté dans son contenu, est mis à l’honneur. L’accueil du public fut à la hauteur de l’affiche, que la presse ne couvrit pas de manière très soutenue. On relève par exemple un entrefilet dans Le Figaro du 28/01/1970 ainsi que dans Télé 7 Jours en date du 21/02/1970: Brassens et Devos: échange de bons procédés (et d’instruments). Le second est illustré d’une photo montrant Georges et Raymond improvisant, en coulisses, un duo en échangeant leurs instruments: Le sétois moustachu joue de la clarinette "trompe d’éléphant" et l’auteur de Ça n’a pas de sens s’essaye sur la guitare Favino de son compère.

Le 19/01/1972, Brassens honora la proposition du réalisateur François Chatel (le père de Philippe) de le filmer durant une heure au fil de laquelle il interpréta les chansons de son choix. Tour de chant, c’est le titre de cette émission filmée en direct de Bobino et diffusée sur première chaîne de l'ORTF. Pas moins de quinze titres figurèrent au programme: Auprès de mon arbre, Dans l’eau de la claire fontaine, Le gorille, Bonhomme, Les sabots d’Hélène, Hécatombe, Supplique pour être enterré à la plage de Sète, Les amours d’antan, La complainte des filles de joie, La non-demande en mariage, La mauvaise réputation, Le temps ne fait rien à l’affaire, Les trompettes de la renommée, Je me suis fait tout petit et Les copains d’abord. Dans Brassens auprès de son Arbre (Julliard, 1983), André Tillieu nous raconte cet évènement, ainsi que le repas qui s’en suivit, au restaurant Aux Îles Marquises, sis au 15 de la rue de la Gaîté, face à Bobino. François et Philippe Chatel furent de la tablée, avec Raymond Devos.

Invité par Jacques Chancel qui lui consacra une spéciale de son Grand Échiquier le 06/03/1974 sur la deuxième chaîne couleur de l'ORTF, Georges Brassens y fut entouré de Salvatore Adamo, André Aubert, Jean-Louis Barrault, Philippe Chatel, René Clair, Les Compagnons de la Chanson, Raymond Devos, Joel Favreau, Germaine Fort, Robert Mallet, recteur des Universités de Paris, professeur et poète, Maxime Le Forestier Francis Lemarque, Lucienne Letondal, Pierre Louki, Jean Sablon, Lino Ventura, et le pianiste Daniel Wayenberg (qui interprète, façon classique, des musiques de Georges). La séquence du compositeur de la Symphonie Capella (1972-1973) peut être visionnée sur le site de l'association L'Amandier. Une ambiance chaleureuse régna ce soir-là sur le plateau du studio 15 des Buttes-Chaumont qui vit Brassens improviser Les copains d'abord avec Raymond Devos (à la clarinette), Lino Ventura et les Compagnons de la Chanson.
 

Les autres chansons qu’il interpréta sont La mauvaise réputation, À l’ombre du cœur de ma mie, Le temps passé, Il n’y a pas d’amour heureux, L’enterrement de Verlaine, Le petit cheval, Chanson pour l’Auvergnat, Je me suis fait tout petit, Marquise, L’orage, Stances à un cambrioleur, La mauvaise herbe, La non-demande en mariage, Les amoureux des bancs publics, Les amours d’antan, Mourir pour des idées, Corne d’Aurochs et Le roi. Sans oublier Dans l’eau de la claire fontaine (par Raymond Devos) et Sale petit bonhomme (par Lucienne Letondal).


Deux autres émissions sont également à retenir. Tout d’abord Top à Raymond Devos, de Maritie et Gilbert Carpentier, qui fut enregistrée le 25/03/1974 et diffusée le 25/05 de la même année sur la deuxième chaîne couleur de l'ORTF. Georges Brassens, Philippe Chatel, Pierre Louki, Claude Rich et Caterina Valente firent partie des invités avec Raymond Devos qui exécuta une vingtaine de sketches dont Faites l'amour, ne faites pas la guerre, J'en ris j'en pleure, Je suis un imbécile, La Terre promise (avec Claude Rich), Le bout du bout, Le cri d'alarme, Le montreur de marionnettes et Sens dessus dessous. Il fit parfois participer le public, ainsi que son pianiste Jean-Michel Thierry. La musique ainsi qu’un numéro de jonglage firent partie de ses prestations. Devos joua du piano et du violon, en particulier lors de son interprétation de la célèbre chanson Le clown, en hommage à son créateur, Giani Esposito, récemment disparu. Un numéro empreint d'émotion et de poésie décrit par Jean Dufour dans Raymond Devos - Funambule des mots (2005). Brassens, lui, chanta Les funérailles d’Antan et Il suffit de passer le pont. La seconde émission, diffusée en direct le 18/12/1978 sur Antenne 2, est Question de temps, animée par Jean-Pierre Elkabbach. Georges, présent sur le plateau, interpréta Chanson pour l’Auvergnat et La prière. C’est au cours de cette période que le créateur de Je me suis fait tout petit et celui de Je me suis fait tout seul répondirent à deux invitations pour des émissions radiophoniques. Inter Actualités (20/09/1975), avec Jean-Pierre Elkabbach et André Lemas, qui proposa un entretien en direct chez Raymond Devos avec Georges Brassens, en deux parties. En octobre 1975 sur Europe 1, une série de quatre émissions dédiées au sétois moustachu. La première introduisit le concept, avec un plateau sur lequel Gérard Klein accueillit Eric Battista, Henry Delpont, René Fallet, Joel Favreau, Pierre Nicolas et Laurent Spinosi. Mais c’est la troisième qui nous intéresse ici : Raymond Devos y raconte son ami artiste de la chanson francophone.

Quatre ans plus tard, ce fut au tour de Lino Ventura de se voir consacrer un Grand Échiquier: le 31/05/1979 sur Antenne 2. Brassens et Devos y participèrent, ainsi que Michel Attenoux, Charles Aznavour (en duplex de Londres), César Baldaccini, Patrice Caratini, Augustin Dumay, Marc Fosset, Daria Hovora, Alexandre Lagoya, Maxime Le Forestier, Frédéric Lodéon et Moustache. Le rugbyman Jean-Michel Aguirre, Jacques Brel, l’aviateur Didier Daurat, le pilote Amedeo Gordini et le pianiste Artur Rubinstein apparurent au fil de divers documents et reportages, tandis que Jean-Claude Morchoisne, Jean Mulatier et Patrice Ricord réalisèrent des caricatures des invités. Raymond Devos joua quatre sketches: Le rire primitif, Le vieillissement, L’homme qui fait la valise, La leçon du petit motard et Le bout du bout. Il évoqua également son rôle dans le film La raison du plus fou (1973), dont il eut écrit le scénario et les dialogues. Georges Brassens chanta Au bois de mon cœur, La première fille, La princesse et le croque-notes, La marguerite, Corne d’Aurochs, Le vent, Les passantes (avec Maxime Le Forestier et à la demande de Lino Ventura), Histoire de faussaire et Les oiseaux de passage. Maxime Le Forestier interprète Dans l’eau de la claire fontaine. Quant à Moustache et les Petits Français, ils jouèrent Le temps ne fait rien à l’affaire (avec Georges) et Les copains d’abord.

La série poétique Pirouettes réalisée par Claude Wargnier sur Europe 1, vit, à la fin de l’année 1979, les dernières participations conjointes du poète sétois et de l’humoriste mouscronnois. À cette occasion (les dates de diffusion des émissions concernées sont à ce jour incertaines), on se souvient du court poème de Paul Fort - Il faut nous aimer - dit par Georges Brassens, suivi d'un commentaire de Raymond Devos. Pareillement suite au passage d’un probable extrait du Showtime du 31/10/1979, animé par Jacques Martin: Lino Ventura dit Bonhomme et La mauvaise réputation.

Avec Pierre Nicolas, Eddy Mitchell, Georges Moustaki, Jean Serge et Claude Wargnier, Raymond Devos fut présent lors de la posthume de Radio Libre à... (01/02/1982), animée par Ivan Levaï en hommage à Georges Brassens. Il préfaça également le livre d’André Larue Brassens - Une Vie, paru quelques mois plus tard. Outre ses représentations à l’Olympia durant lesquelles il fit de réguliers clins d’œil à Georges en interprétant plusieurs de ses chansons, n'oublions pas ses participations à certaines émissions télévisées comme Georges Brassens, un copain d’abord (TF1, 02/12/1989) et Le cœur au show - Spéciale Georges Brassens (France 2, 26/10/1996), animées par Patrick Sébastien. La première accueillit Dee Dee Bridgewater, Serge Gainsbourg, L’Affaire Louis Trio, Marc Lavoine, Maxime Le Forestier, William Sheller. La seconde, enregistrée devant quelque 1 500 personnes sous la halle du marché de Brive-la-Gaillarde, vit Devos jouer La marine au concertina avec son pianiste. Présentant l'instrument au public, il eut ce trait d'humour impertinent: "Ça, en politique, c'est l'instrument de l'alternance par excellence ! Quand vous appuyez à droite, ça souffle à gauche et quand vous appuyez à gauche, ça siffle à droite. Et à l'intérieur, c'est du vent !"
 

À la suite de cette séquence, Devos évoque son ami sétois et, entre autre, son goût pour les enterrements. Il raconte une anecdote que la littérature a rendu célèbre...
 
 
 
Mais c'est à Georges Brassens que nous laisserons la conclusion avec cet extrait de La tour des miracles (1953) maniant l'art de l'humour par l'absurde: "(...) Comme à tout le monde, il m'arrive de perdre mes jambes, nom d'un chien, seulement je m'en aperçois tout de suite et revenant en arrière je cherche les membres infidèles, les retrouve, les rajuste à mon bassin et me remets en route guillerette. Toi, tu te distingues. Tu sèmes tes jambes en route et tu continues de courir comme si de rien n'était. Tête à l'évent. Que n'ai-je suivi les conseils de ton moribond de père. J'entends sa voix presque éteinte me dire: "Notre fils, un étourneau ! Après sa première communion ne le laisse plus sortir avec ses jambes, il les égarerait. Confisque-les lui. Ne les lui rends qu'à sa majorité ou en cas de guerre." [Brassens G., 1953. La tour des miracles - pp. 20-21]

Du Raymond Devos avant l’heure !


- Un grand merci à Philippe Borie de l'association L'Amandier pour ses recherches qui ont beaucoup contribué à l'élaboration de cet article ! -
 

*1Jean Dufour fut animateur culturel avant de devenir agent et secrétaire de Félix Leclerc. Par le biais de l'agence qu'il créa avec Sylvie Dupuis, il s'occupa de nombreux artistes comme Julos Beaucarne, Jean-Pierre Chabrol, Yves Duteil, Bernard Haller, Félix Leclerc, Francis Lemarque, Francesca Solleville et Alan Stivell. Travaillant avec Raymond Devos de 1970 à 1973, il organisa aussi ses tournées dans le Sud-Ouest de la France de 1990 à 2000.

*2Pendant quelques représentations au Gipsy’s, en 1951, Raymond Devos remplaça Francis Blanche et devint alors le complice de Pierre Dac.

*3Dans une note de bas de page de son article Brassens/Dagrosa: des migrants économiques !, paru dans le N°170 de la revue Les Amis de Georges (juillet-août 2019), Bernard Wagnon relate que la présente orthographe - avec deux 'n' - est certifiée par l'extrait de naissance N°50 établi le 28/01/1912 en mairie de Cette (ancienne orthographe de Sète, ayant eu cours jusqu'en 1927), bien que dans la plupart des publications issues de la littérature brassénienne, les différents auteurs écrivent "Simone".

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