A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

J'ai rendez-vous avec vous

"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

mercredi 29 mai 2019

Lino Ventura: "Parce que c'était lui, parce que c'était moi."

Il s'agit de gens qui vous prennent tel que vous êtes, et qui attendent en retour que vous les preniez tels qu'ils sont. (Lino Ventura)

L'histoire d'amitié qui va suivre est celle de deux artistes partageant des origines italiennes (l'un est parmesan, la génitrice de l'autre est native de Marsico Nuovo, dans la Basilicate) ainsi qu'un gorille qui, respectivement, les rendit célèbres. La chanson de Georges Brassens fut publiée en 1952, tandis que le film Le gorille vous salue bien (tiré du roman éponyme publié en 1954 par Dominique Ponchardier alias Antoine Dominique), de Bernard Borderie, sortit sur les écrans le 03/09/1958. Lino Ventura, suggéré par Jean Gabin pour le rôle principal, y incarne l'as des services spéciaux Géo Paquet. Il fut très heureux d'avoir tourné ce long métrage, qui le lança véritablement. Toutefois, il refusa de reprendre son rôle dans La Valse du Gorille (1959), mettant un point d'honneur à ne pas se laisser enfermer dans un personnage ni dans un style afin de ne pas lasser et de se diversifier autant que faire se peut, travailler sur des projets qui lui correspondent plus volontiers. Sa motivation et son refus des clichés furent renforcés par l’amalgame très fréquemment fait par nombre de personnes entre ses rôles et sa propre personnalité.

Lino Ventura: "Parce que j'ai été champion d'Europe de lutte et que ma carrière cinématographique a démarré sous le signe du Gorille, les gens m'imaginent comme une sorte d'homme des bois, vêtu de peau de bête ! Il y en a même qui se croient obligés de me parler en argot avec un ton gouailleur comme si je ne parlais pas autrement." [Ventura C., 2004. Lino Ventura: Une leçon de vie - p. 42]

Un rapprochement intéressant - bien qu'inattendu - peut ici être fait entre l'affiche originale du film Le gorille vous salue bien et la pochette originale du tout premier 33T 25 cm du poète sétois: Georges Brassens chante... les chansons poétiques (...et souvent gaillardes) de... Georges Brassens (Polydor 530.011). En effet, la première montre, sur fond noir, le dessin du personnage de Géo Paquet d'après les traits de Lino Ventura. Sa stature est visuellement mise en relief et comparée à celle d'un gorille par l'usage de la couleur rouge créant un ombrage autour. Quant au recto de la pochette du disque de Brassens, il arbore un montage en noir et blanc signé Barthel et utilisant une photo de l'artiste (créditée du Studio Harcourt) incrustée sur un dessin ombré d'un gorille sortant de sa cage.

Durant les années 1950, l'auteur-compositeur du Gorille et celui qui incarna Angelo Fraisier dans Touchez pas au grisbi (1954) n'eurent pas encore noué contact. Ce fut fait peu après par l'intermédiaire d'un ami commun: Louis Nucera. L'écrivain exerça dans le journalisme, à cette époque. Il écrivit une série d'articles sur la carrière cinématographique naissante de Lino Ventura.

Louis Nucera: "(...) je crois avoir été, au temps où j'étais journaliste, le premier à écrire sur Lino Ventura, quand il devint acteur de cinéma. Il tournait à Nice, aux studios de la Victorine. Il débutait ou presque. Nous passions des soirées ensemble. Lino aimait les pâtes, les beaux et savoureux légumes des campagnes du comté de Nice, les mets du pays: socca, pissaladière, soupe au pistou, poche de veau farcie, raviolis, gnocchis aux pommes de terre, farcis, beignets de fleurs de courge, artichauts à la barigoule, tourtes de blettes... Cuisiner est un acte d'amour. Les gens qui sont aux fourneaux apprécient les gourmets. Avec Lino, ils étaient comblés." [Nucera L., 2006. Brassens, délit d'amitié - pp. 210-211]

Si Nucera évoque la passion de Lino Ventura pour la cuisine ainsi que ses talents aux fourneaux dont nous reparlerons plus tard, il nous donne également une information importante permettant de situer la première rencontre de l'acteur avec Georges Brassens au début des années 1960: en effet, les trois premiers films que Ventura tourna en partie aux studios de la Victorine à Nice sont les suivants: Le bateau d’Émile, de Denys de La Patellière, sorti le 03/03/1962, L'Arme à gauche, de Claude Sautet, sorti le 18/06/1965, puis Ne nous fâchons pas, de Georges Lautner, sorti le 20/04/1966. De plus, Louis Nucera explique, toujours dans Brassens, délit d'amitié, qu'il fut sollicité par Lino lui-même, souhaitant faire la connaissance de Georges. Suite à la rencontre, l'acteur organisa un dîner à son domicile familial, sis au parc de Montretout, attenant au domaine national de Saint-Cloud (92). Odette Ventura, épouse de Lino, situe l'installation de sa famille dans la propriété altoséquanaise à la suite du succès du film de Claude Sautet Classe tous risques, sur les écrans le 10/04/1960. [Ventura O., 1992. Lino - p. 114] 

La première soirée à Montretout entre Brassens et Ventura se tint sous le signe de la cuisine transalpine, comme en témoigne Louis Nucera qui nous révèle une anecdote reflétant les premiers liens amicaux naissant entre ses deux amis.

Louis Nucera: "Ce soir-là, un match eut lieu. C'était à qui se servirait le plus d'agnolotti que maman Ventura avait faits. J'avais depuis un bon moment renoncé quand Brassens avala sa dernière bouchée. Même Lino, réputé gros mangeur, s'avoua vaincu." [Nucera L., 2006. Brassens, délit d'amitié - p. 211]

Par la suite l'écrivain fut témoin de bien d'autres provocations mutuelles de ses deux amis. Lors de repas rue Santos-Dumont, par exemple: Ventura dit que sa préparation pour les spaghetti était la meilleure puisque c’était celle de sa mère cependant que Brassens tint le même discours !
 
Louis Nucera: "Lino cuisait les pâtes, veillant à ce qu'elles fussent al dente; dans un bocal j'apportais la sauce de la daube que ma femme préparait. Georges y retrouvait le goût de la cuisine de sa mère Elvira (...)"
 
Outre leurs racines italiennes et leur goût immodéré pour la pasta, Georges et Lino eurent d'autres points en commun, comme par exemple cette pudeur qui empêcha l'acteur d'accepter de tourner certaines scènes dans ses films. Rabelaisiens, ils le furent chacun à leur manière: Brassens au fil de ses textes, son compère autour d'une table, amateur qu'il fut d'une cuisine raffinée aux notes méridionales. "(...) il ne fallait pas le déranger pendant un repas. Ventura était capable de dîner deux fois de suite avec Bernard Blier et de traverser la France en voiture pour cuisiner des pâtes à Georges Brassens." Cette petite histoire très à propos nous est livrée par Clélia Ventura dans Lino Ventura, carnet de voyages (2012). Si l'appétit de Georges fut bien connu au sein de son entourage, la gastronomie ne l'attira pas vraiment. À chacune de ses visites, seul ou avec sa famille, Lino prit l'habitude d'apporter son propre nécessaire de cuisine afin de préparer un bon repas (À ce sujet, Richard Perelmuter nous raconte une anecdote teintée d'humour: Püpchen proposa toujours à l'acteur de porter un tablier pour, précisa-t-elle, "ne pas salir le Lino"). 

Georges Brassens: "Lino Ventura me fait l’honneur d’être mon ami; quand il vient ici, il apporte à peu près tout et nous fait lui-même les pâtes. Lino cuisine à peu près comme cuisinait ma mère. Il s’amène avec ses gamelles, avec son faitout. Il amène tout sauf le vin; mais je suis sûr qu’il doit trouver mon vin pas tout à fait à son goût, il n’ose pas le dire par amitié." [Rochard L., 2011. Brassens par Brassens - p. 65]

Une séquence illustrant les propos du sétois peut être visionnée dans le documentaire Ventura... dit Lino - Portrait d'une star, diffusée lors de la soirée Théma de la chaîne franco-allemande ARTE le 19/10/1997. L'acteur italien se souvient d'une de ses visites au Moulin de la Bonde à Crespières. Outre Brassens, il est entouré entre autres d'Eric Battista et Jean-Pierre Chabrol.



Lino, tout comme Georges, eut une certaine sympathie pour les gens de petite condition. Le parmesan n'était pas du tout en accord avec la notion de privilège et, comme le raconte Odette Ventura dans son récit, ne supportât jamais qu'un subordonné fût traité avec mépris ou, pire encore, avec brutalité.

Lino Ventura: "Je suis comme Brassens, je ne pourrai jamais de ma vie appeler un serveur garçon, j’ai toujours appelé un serveur Monsieur. En revanche, je n’ai jamais appelé un ministre Monsieur le ministre, je l’ai toujours appelé Monsieur. Pour moi, il n’y a aucune différence." [Ventura C., 2004. Lino Ventura: Une leçon de vie - p. 131]

La générosité, que les deux artistes partagèrent tout au long de leur vie, contribua énormément à renforcer leur grande complicité. C'est un jour de 1963 que Lino et son épouse, fortement sensibilisés par le manque de moyens des personnes dévouées de l'institut médico-éducatif (fondé par l'association Les Papillons blancs) de Saint-Cloud où fut alors accueillie leur fille Linda les après-midis, décidèrent de concrétiser l'idée d'une institution qui puisse apporter son aide aux associations existantes au service des personnes handicapées et sensibiliser les pouvoirs publics aux besoins quotidiens des enfants handicapés et de leurs familles. Déjà, ils parvinrent à obtenir de la mairie de Saint-Cloud l'ouverture d'une classe spéciale pour l'accueil d'une douzaine d'enfants inadaptés âgés de 3 à 6 ans. Odette Ventura aida Les Papillons blancs du mieux qu'elle put en organisant des kermesses tandis que Pierre Tchernia, ami de la famille, proposa l'idée d'un gala caritatif bénéficiant de la collaboration des chaînes de télévision, des stations de radio ainsi que de l'appui de vedettes du monde du spectacle. Les recettes issues dudit spectacle permettraient la construction d'une école-pilote. Toutefois, Lino n'adhéra pas.

Odette Ventura: "(...) Il n'aimait pas ce genre de manifestation où, le plus souvent, le snobisme l'emporte sur la générosité. La notion de charité, quand elle s'affiche publiquement, le dérangeait." [Ventura O., 1992. Lino - p. 133]

Le projet laissa ainsi la place à une prise de parole émouvante de l'acteur parmesan sur l’antenne de l’ORTF le 06/12/1965 afin de promouvoir, en tant que père, la cause de l’enfance inadaptée.
 

L'évènement eut un très grand retentissement: des personnalités amies des Ventura tels Jean Gabin (par ailleurs parrain de Linda), Joseph Kessel ou encore Jeanne Moreau apportèrent leur soutien via des interventions dans les médias pour relayer le message. Georges Brassens ne fut pas en reste. Le sétois, que Lino eut souhaité fréquenter entre autres afin de lui faire partager son projet en faveur des enfants handicapés, donna un récital au théâtre des Champs-Élysées le 13/12/1965, sous la présentation de Pierre Tchernia.

Ainsi naquit, le 20/05/1966, l'association Perce-Neige (parrainée entre autres par Raymond Devos et Jean Gabin), en faveur de laquelle de nombreux dons abondèrent, jusqu'à hauteur d'environ deux millions de francs. Ce qui permit, dans un premier temps, de venir en aide au développement des Papillons blancs. Pierre Tchernia fut à l'origine du nom de l'association fraîchement créée. En allusion à la plante bulbeuse de la famille des Amaryllidaceae qui fleurit dès la fin de l'hiver. La fleur qui réussit à pousser et à vivre malgré le froid qui l'entoure, comme l'écrit Odette Ventura. Monsieur Cinéma explique qu'il faut faire fondre la neige qui entoure ces enfants, qu'ils quittent l'ombre et le froid. [Durant P. - Lino Ventura - p. 231] Le dessinateur humoristique, lithographe et illustrateur Raymond Peynet, à l'époque voisin de palier de Brassens à la résidence "Le Méridien de Paris", s'investit par le biais de son art, créant notamment une carte postale pour le Comité Perce-Neige. 


Pour l'anecdote, le journaliste et verbicruciste Max Favalelli se remémore, dans sa préface pour la première édition de l'album grand format Peynet de tout cœur (1987) chez Hoëbeke, d'un dîner au domicile de Peynet, en compagnie du parmesan et du sétois. Là encore, une discussion culinaire anima le repas.

Max Favalelli: "(...) il [Peynet] avait arbitré avec autorité une joute ardente entre ses deux meilleurs amis, Georges Brassens et Lino Ventura, sur le délicat problème de la cuisson de la Pasta con la sarde qui est à base de macaronis, de fenouil et d'anchois frais. Lino l'emporta, porteur des traditions ancestrales, mais j'aurais volontiers couronné Brassens dont je découvris ce soir-là sa dévotion pour les classiques en l'écoutant réciter par cœur tout un acte de Bérénice."

Georges et Lino eurent l'occasion de se retrouver le 06/12/1967 au Palais de Chaillot pour un gala en faveur de Perce-Neige. Ils y côtoyèrent Bourvil, Édouard Duleu, président de l'Union nationale des accordéonistes français, Fernandel, Jean Gabin et André Verchuren. En novembre 1968, Ventura eut le grand plaisir d’être le parrain de Brassens intronisé Compagnon du Beaujolais. Le 12/09/1969, le film L'armée des ombres, de Jean-Pierre Melville, débarqua sur les écrans. Pour Lino, incarner le personnage du résistant Philippe Gerbier dans cette adaptation du roman éponyme que Joseph Kessel publia en 1943 lui tint d'autant plus à cœur que, tout comme Georges, il admire le romancier et académicien qui figure parmi ses auteurs favoris (dans sa bibliothèque se côtoient aussi des écrivains tels Albert Londres, André Malraux, Romain Rolland, Jean Rostand et Antoine de Saint-Exupéry). Deux ans plus tard, il honora de sa présence la réception donnée pour les 50 ans de son ami héraultais puis, à l'époque du tournage de L'emmerdeur, le retrouvera le 26/03/1973 au Théâtre de Montpellier avec entre autres Jean-Pierre Chabrol et Henry Delpont. Brassens se produisait alors dans la ville natale de Léo Malet et recevait alors ses amis dans sa loge après son récital. Invité par Jacques Chancel qui lui consacra une spéciale de son Grand Échiquier le 06/03/1974 sur la deuxième chaîne couleur de l'ORTF, l'auteur-compositeur de La princesse et le croque-notes y fut entouré de Salvatore Adamo, André Aubert, Jean-Louis Barrault, Philippe Chatel, René Clair, Les Compagnons de la Chanson, Raymond Devos, Joel Favreau, Germaine Fort, Robert Mallet, recteur des Universités de Paris, professeur et poète, Maxime Le Forestier Francis Lemarque, Lucienne Letondal, Pierre Louki, Jean Sablon, Lino Ventura, et le pianiste Daniel Wayenberg (qui interprète, façon classique, des musiques de Georges). La séquence qui vit Brassens improviser Les copains d'abord avec Raymond Devos (à la clarinette), Lino Ventura et les Compagnons de la Chanson montre l'ambiance amicale et conviviale qui régna sur le plateau.

Deux autres émissions télévisées accueilleront le sétois et le parmesan ensemble. Tout d'abord, Numéro un Guy Béart, enregistré le 09/02/1978 et diffusé le 04/03/1978 sur TF1. Outre l'auteur-compositeur de Chandernagor,  ils se trouvèrent aux côtés d'Anne-Marie Besse, Jane Birkin, Coluche, Diane Dufresne et Michel Fugain. Georges chanta deux de ses créations: Chanson pour l'Auvergnat et Pauvre Martin. Puis, lors du Grand Échiquier consacré au fondateur de Perce-Neige, diffusé le 31/05/1979 sur Antenne 2, celui-ci s'exprima au sujet de l’œuvre de son ami Brassens qui, à sa demande, interpréta Les passantes accompagné de Maxime Le Forestier.


Bien entendu, Jacques Chancel lança une discussion autour de l'engouement de Lino pour la gastronomie et son savoir-faire en la matière, qu'il prend plaisir à faire partager à ses proches. A ce titre, Clélia Ventura détaille, dans Lino, tout simplement - Souvenirs d'enfance et recettes de famille (2003), plusieurs repas à Montretout dont un le 08/12/1978 avec le sculpteur César Baldaccini, Georges Brassens, Rosine Deréan ainsi que Pierre Tchernia et son épouse. Au menu: Soupe aux poireaux - Longe de veau jardinière - Salade de laitue au cerfeuil - Plateau de fromages - Sabayon. Après une joute amicale sur le sujet avec César Baldaccini, Ventura évoqua ses visites chez Brassens. Un certain humour émane de ce moment de télévision au cours duquel Raymond Devos intervint à son tour après que Brassens eut évoqué son compatriote le chef Pierre Vedel. Autour d'une bonne table du restaurant de celui-ci, les sétois de Paris comme Maurice Clavel, Honoré Gévaudan et Pierre-Jean Vaillard, se réunirent régulièrement. Également de la partie, Ventura fut un Sétois "naturalisé".
 


Le bonheur marqua l'émission bien que des propos graves, en particulier sur le thème de la mort, furent échangés. [Lamy J.-C. - Brassens, le mécréant de Dieu - p. 130] N'oublions pas de citer Jacques Brel, avec lequel Lino et de Georges entretinrent une amitié très forte. Disparu à la fin de l'année précédente, il fut en quelque sorte présent dans l'émission à travers un document filmé dans lequel il chante Le plat pays. Dans les mêmes temps, Ventura parle de l'amitié, du cinéma français. Brel et lui firent connaissance sur le tournage de L'aventure c'est l'aventure (1972). Un article précédent, dédié à l'auteur-compositeur de Quand on a que l'amour, met en exergue les liens profonds entre les trois hommes. En témoignent deux photos - parmi une vingtaine - en noir et blanc encadrées et accrochées sur l’un des murs (surnommé "le coin des amis"), à côté de la bibliothèque du bureau de Lino à Montretout. La première, dédicacée par Brassens, les montre tous deux fumant la pipe. Elle fut prise lors d'une visite au siège de Perce-Neige. La seconde immortalise Ventura avec Brel et Claude Lelouch sur le tournage de L'aventure c'est l'aventure. Clélia Ventura décrit ainsi les liens amicaux profonds qui existèrent au sein du trio d'artistes: "Entre ces hommes, aux mêmes valeurs et aux mêmes croyances chez qui la plus folle espérance se mariait au plus profond pessimisme, étaient venus s'immiscer inévitablement de drôles de petites particules: "les atomes crochus"..." [Ventura C. - Lino, tout simplement - Souvenirs d'enfance et recettes de famille - p. 47]

Dans la série poétique Pirouettes réalisée par Claude Wargnier sur Europe 1, à la fin de l’année 1979, deux séquences sans doute extraites du Showtime du 31/10/1979, animé par Jacques Martin, furent diffusées: Lino Ventura dit Bonhomme et La mauvaise réputation.


Un après-midi d'avril 1980, dans son appartement de Sète (sis au 5, quai Adolphe-Merle), Georges accorda un entretien de deux heures au père Christian Doumairon dans le cadre d'une enquête du Centre diocésain d'Information de Montpellier sur le thème La mort aujourd'hui, en collaboration avec FR3 Languedoc-Roussillon et les journaux régionaux. Le document ainsi capté - grâce à l'entremise du père Robert Barrès - fut inclus dans l'émission Radio pour vous, diffusée peu de temps après* sur l'antenne locale de Radio France. En plus du thème central, le moustachu évoque la famille, le progrès, la religion, l'amitié... En voici un extrait, tiré du livre audio Georges Brassens: Auprès de son âme (2011), de Bernard Lonjon.

Georges Brassens: "Ce qui est embêtant dans la mort, c'est de perdre les gens qu'on aime. Ma propre mort ne m'inquiète pas."

Christian Doumairon: "Oui,  mais le fait de mourir fera de la peine à vos amis. Cela ne vous inquiète pas de penser à la douleur des autres ?"

Georges Brassens: "Je pense que mes amis seront morts avant moi. C'est ce que j'ai promis à Lino Ventura. Il s'est promis de manger des pâtes à mon enterrement, mais ce n'est pas tellement sûr que le contraire ne se produise pas. [Cette anecdote est tirée d'un récit rapporté par Clélia Ventura, dans Lino Ventura, carnet de voyages (2012), qui évoque des déjeuners sis rue Santos-Dumont et auxquels participaient régulièrement César Baldaccini, Jacques Chancel et Yves Montand.]"

Il explique ensuite que la mort des gens qu'on aime n'existe pas, que ceux-ci, dans sa mémoire, vivent toujours. 


La même année, Radio Monte-Carlo organisa une opération au profit de Perce-Neige, reconnue d'utilité publique quatre ans auparavant. L'idée de départ fut un Grand Quitte ou double, auquel différentes personnalités participeraient en répondant à une série de dix questions portant sur un thème, choisi au préalable par celles-ci. Lino Ventura songea logiquement à Georges Brassens pour la catégorie chansons. N'appréciant cependant pas les jeux de ce genre, ce dernier ne daigna pas participer comme Charles Aznavour ou Annie Girardot et proposa d'enregistrer "quelques" chansons destinées à passer régulièrement à l'antenne le temps de l'opération caritative. Des chansons non pas créées par lui, mais figurant parmi celles qui marquèrent ses jeunes années et qu'il apprécia particulièrement. L'idée suscita un fort enthousiasme et, les 14 et 15/05/1980, Georges entra en studio pour réaliser les prises de trente-et-un titres sous la direction artistique de Jean-Pierre Hebrard, avec Pierre Nicolas à la contrebasse, Joel Favreau à la guitare et Jean Bertola au piano. A noter la participation de Georges Tabet sur On n’a pas besoin de la lune, Le Petit Chemin, Y'a toujours un passage à niveau et Le Vieux Château. Brassens, qui l'a toujours admiré, fut très ému de le retrouver face au micro pour la première fois. En tout, vingt-sept chansons entèrent dans la composition du double 33T Georges Brassens chante les chansons de sa jeunesse (Philips 6622 032), paru en 1982. Les quatre autres, à savoir En quittant la ville (Charles Trenet), Adieu, Venise provençale (Henri Allibert, René Sarvill, Vincent Scotto), Ça s'est passé un dimanche (Jean Boyer, Georges van Parys) et Mimile (Jean Boyer, Georges van Parys), restèrent inédites jusqu'en 2001 et leur publication sur le disque N°13 Inédits de l'intégrale "La mauvaise réputation" (Mercury/Universal Music 586343-2).

C'est au cours du tournage d'Espion lève-toi (1982), que Lino Ventura apprend la disparition de Georges Brassens. Très affecté, il vit défiler dans sa mémoire les images des repas partagés à trois avec Jacques Brel. Jean-Loup Dabadie, comptant parmi ses proches dans le milieu du cinéma, lui témoigna son soutien au travers d'une lettre amicale: "C'est à toi que je n'ai cessé de penser, tous les jours qui viennent de s'écouler depuis la mort de Georges Brassens. Je suis bien placé pour savoir comme tu aimes les gens quand tu les aimes. Je ne le connaissais pas, lui, mais je te connais, toi. Ta force en douce, ta fraternité aujourd'hui déchirée, ton cœur qui fait du bruit dans la maison quand il bat." [Ventura O. - Lino - p. 203]

Un peu moins d'un an après la sortie du film d'Yves Boisset le 27/01/1982, le parc Georges Brassens (Paris 15e), encore à l'état de terrain vague, fut inauguré par le maire de la capitale à l'époque, Jacques Chirac, en présence de nombreuses personnalités dont Lino Ventura. La cérémonie se tint en date du 26/11/1982. Le site, ancien emplacement du marché aux chevaux de Vaugirard et de ses abattoirs, fut entièrement repensé et réaménagé par les architectes Jean-Michel Millieux et Alexandre Ghuilamila, ainsi que le paysagiste Daniel Collin. Le programme des travaux de création s'étendit sur plus de deux ans.

Le 08/02/1987, Ventura vécut un de ses vieux rêves en étant invité par la Marine nationale à embarquer à bord du sous-marin nucléaire "Le terrible". A l'issue de cette aventure, il se vit remettre une enveloppe, contenant le fruit d'une cotisation collective de l'équipage en faveur de Perce-Neige. A la fois ému et heureux, il ne put réprimer une certaine mélancolie qu'il confia au photographe Christian Brincourt durant la plongée qui dura quatre jours et trois nuits: "J'avais deux amis. Ils s'appelaient Georges Brassens et Jacques Brel. Chaque soir de ma vie, je pense à eux. Chaque soir de ma vie, je pense à eux. Un homme qui n'a plus un ami pour lui dire la vérité est un homme perdu; J'avais avec Jacques Brel une complicité intérieure. Celle du cœur, qui meublait nos éclats de rire et nos silences. Tu sais, en amitié, on n'a pas besoin de grand-chose. C'est un courant continu, quelque chose de mystérieux. On se parlait, même en ne se disant rien"

A l'automne de cette même année, le 22/10 plus précisément, Lino Ventura s'en alla rejoindre ses deux compères. Cette date est symbolique en ce qu'elle fut celle de naissance, en 1921, de Georges Brassens. "Parce que c'était lui, parce que c'était moi." Cette célèbre citation de Michel de Montaigne, tirée de l'essai De l'amitié (1580) où l'auteur décrit sa relation avec Étienne de La Boétie, est une image que Lino aima employer pour parler de l'amitié qui les unissait, Brassens, Brel et lui. Celui pour qui l'amitié est plus un geste et un regard qu'une parole est décrit par Philippe Labro comme un personnage aux multiples contradictions qui retint l'attention. Laissons à l'auteur de Tous célèbres (1979), le mot de la fin, repris en citation d'introduction dans Lino Ventura: Une leçon de vie.

Ce silencieux est un conteur.
Ce brutal est un sensible.
Ce tourmenté est un bon vivant.
Ce baroudeur est un jardinier.
Ce gorille est un papillon.


*A ce jour, il me m'a pas été possible de déterminer la date précise. De plus, après consultation et analyse des différentes sources se rapportant au sujet, une incertitude demeure. Il convient donc de faire preuve de prudence quant aux informations apportées ici.

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