A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

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"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

mardi 26 juillet 2022

Joe Dassin: "Je sais maintenant ce que je veux faire: être écrivain."

Après avoir passé son baccalauréat (qu’il a obtenu avec mention "bien") à Grenoble en 1954, Joe Dassin regagne les États-Unis l’année suivante, ayant mal vécu l'échec du couple de ses parents et ressenti l’envie de retrouver ses racines. Pour financer des études qu’il entreprend à l'Université du Michigan-Ann Harbor où il a été admis sur dossier après un entretien, il peut tout d’abord compter sur l’argent que lui envoie son père, Jules Dassin. Mais une fois réglés les frais d’inscription, il lui faut subvenir à ses besoins en effectuant différents métiers: plongeur dans un restaurant, chauffeur-livreur, testeur psychologique, DJ à la station de radio WCX de Detroit. Joe a emménagé dans une co-op, où les charges et les tâches ménagères sont partagées. Il fréquente des étudiants issus de la frange la plus artiste, la plus intellectuelle et la plus cosmopolite d’Ann Harbor, vers laquelle le portent ses goûts, en partie façonnés par son éducation européenne mais aussi son héritage familial (sa mère, Béatrice est violoniste, élève de Pablo Casals). Tout en se liant entre autre avec Al Young, futur auteur de Bodies and Soul: Musical Memoirs (1982) et The Sound of Dreams Remembered: Poems 1990-2000 (2002), ainsi que Bill McAdoo qui rejoindra les Black Panthers, Joe s’exerce avec eux à la guitare et au chant, travaillant sur des chansons blues et folk. Parmi les artistes dont les œuvres sont plébiscitées et parfois mêmes jouées sur de petites scènes par nos jeunes gens figurent Bob Gibson, Woody Guthrie, Leadbelly et Pete Seeger.

À cette époque, le Rock and Roll voit monter l’une de ses icônes majeures, Elvis Presley, qui est à l’aube de décrocher son premier No1 avec la chanson Heartbreak Hotel, laquelle paraît sur le 45T simple RCA Victor 47-6420 le 27/01/1956 avec I Was The One en face B. Mais Joe Dassin, plutôt féru de jazz, ne semble pas vraiment touché par ce genre musical ni par l’esprit qui en découle. Attaché à ses études, tout d’abord de médecine puis d’ethnologie, soucieux de continuer à parler plusieurs langues (savoir qu’il a acquis en Europe) couramment, il emménage avec trois copains dans une petite maison en colocation: Bill Spencer, originaire de la campagne du nord Michigan et qui veut devenir écrivain, Bernard Levrat, un jeune physicien suisse et Alain Giraud, étudiant français en mathématiques. Aux côtés de ce dernier, il se produit le samedi soir dans une coffee house. Tous deux proposent des bœufs ludiques, dans lesquels ils chantent debout sur une échelle double, histoire d'être mieux vus par l'assistance et mettre ainsi une ambiance électrique tandis qu’à la guitare sèche, ils interprètent une sélection variée de chansons dont certaines sont de Georges Brassens. La promotion que Joe et Alain font de leur French Folk leur assure un succès local mais réel. Ils sont sans doute parmi les premiers à exporter la poésie du sétois moustachu sur les campus américains. Joe se remémorera cette époque de sa vie dans sa chanson Le temps des œufs au plat, coécrite avec Claude Lemesle:

Toi, tu portais la barbe et moi
J’avais des bottes qui prenaient l’eau
Ensemble on écorchait Brassens
À la guitare et au banjo
Par flemme de rentrer se coucher
On faisait semblant de draguer
Ou on perdait des nuits entières
À discuter dans les cafés

Les années universitaires de Joe (terminées par l’élaboration d’un mémoire de Master sur les Hopis, peuple issu du groupe amérindien des Pueblos d'Amérique du Nord, voisins des Navajos, des Papagos et des Zuñis)  vont l’amener à s’immerger dans la dynamique vie culturelle à Ann Arbor: il va écouter des musiciens en tournée et qu’il peut côtoyer après leurs concerts. Ainsi en est-il de Joan Baez, Glenn Gould ou encore John Cage. Joe fréquente aussi le cinéma d’art et d’essai de la ville pour y voir des films tels que ceux de Ingmar Bergman ou encore Une histoire d’eau, court-métrage réalisé par Jean-Luc Godard et François Truffaut, sorti en 1958. La seconde moitié des années 1950 est aussi la période qui va amener son père, Jules, vers un triomphe qui débute avec Du rififi chez les hommes (1955), colauréat du Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 1955 avec Hommes en guerre, de Sergueï Vassiliev.

Mais revenons à Joe qui, en parallèle de ses activités estudiantines et culturelles, s’intéresse à la littérature pour laquelle il s’est pris de passion depuis sa lecture du roman de J.D. Salinger L'Attrape-cœurs (titre original: The Catcher in the Rye), publié en 1951. Il participe à un colloque qui lui permet de rencontrer des auteurs comme Nelson Algren, Gore Vidal et William Styron. Sentant naître en lui le désir de devenir écrivain alors qu’il a tout juste 21 ans, le futur interprète de L'Été indien confie ce souhait dans une lettre à son père. Par la suite, il trouve le temps d'écrire dans sa langue maternelle une nouvelle intitulée Wade In Water, qui obtient un prix national. Elle sera publiée avec trois autres à titre posthume dans le recueil Cadeau pour Dorothy (2013), dont le titre rend hommage à Dorothy Sherrick, la compagne de Joe à Ann Harbor. Richelle Dassin, sa sœur, traductrice avec Alain Giraud, écrit également une préface dans laquelle elle relate l’histoire de la naissance de ce souhait d’écrire qui germe dans l’esprit de son frère alors qu’il poursuit ses études: "(…) il caresse secrètement l'ambition de devenir écrivain et s'y exerce parfois longuement, puisant le matériau dans son bagage autobiographique. Il termine ainsi la rédaction de plusieurs nouvelles et les fait lire autour de lui. L'une d'elles reçoit un prix, ce qui vaudra à son auteur d'être publié dans la revue de l'université, Generation." [Dassin J., 2013. Cadeau pour Dorothy - p. 11]

Comme nous le savons, Joe Dassin ne parviendra finalement pas à poursuivre dans la voie des lettres et à embrasser une carrière de romancier. De retour en Europe en 1962, il est engagé par son père comme assistant sur le tournage du film Topkapi (1964), mettant en vedette Melina Mercouri et Peter Ustinov. Puis il devient animateur à Radio Luxembourg et journaliste pour le magazine mensuel Playboy dans une France où courant musical yéyé est à son apogée. Le 13/12/1963, lors d'une soirée organisée par Eddie Barclay à l’occasion de la sortie française du film Un monde fou, fou, fou, fou (It's a Mad, Mad, Mad, Mad World) réalisé par Stanley Kramer, Joe rencontre une jeune fille nommée Maryse Massiera, dont il partagera la vie durant dix années. Il écrit des nouvelles qui paraissent dans la presse et qui lui permettent d’assurer quelques revenus. Après avoir vécu quelques mois à Saint-Cloud (92) chez Béatrice, la mère de Joe, le jeune couple acquiert au printemps 1964 un petit appartement au cinquième étage du 218, boulevard Raspail (Paris 14e), en face du Centre américain. Banjo, hélicon et guitare décorent les murs, Joe les utilisant pour s'accompagner quand il chante, allant même jusqu’à fumer la pipe pour imiter son modèle, Georges Brassens, qu’il va voir se produire sur scène à Bobino tout en fréquentant aussi la salle Pleyel pour assister à des concerts classiques. La littérature a toujours une place de choix dans la vie de Joe puisqu’il se constitue non sans fierté une immense bibliothèque dans laquelle figurent nombre de grands écrivains américains tels qu’Erskine Caldwell, Ernest Hemingway, J.D. Salinger ou encore John Steinbeck. Les auteurs de science-fiction, genre qu’il affectionne beaucoup, ont aussi une place de choix. Côté français, il montre une inclinaison toute particulière pour Jean Giono, auteur bien connu et admiré de Georges Brassens.

Alors qu’il ne s’y destine pas dans un premier temps, Joe voit sa carrière discographique débuter très timidement, grâce  à Catherine Régnier, une amie de Maryse depuis ses années de pensionnat et qui est engagée en 1964 comme secrétaire chez CBS.  Ses premiers disques, s’ils ne rencontrent pas le succès, lui permettent de collaborer entre autre avec Oswald d'Andréa et son orchestre. Il lui faudra attendre le 45T simple Guantanamera/Katy Cruel (CBS 2449), enregistré au CBS 30th Street Studio à New York, avec Stanley Tonkel aux manettes, pour parvenir enfin à percer progressivement. Deux autres disques viendront conforter cette tendance: le super 45T Ça m'avance à quoi ? (You Were On My Mind) (CBS EP 5675) et le 45T simple Vive moi/Excuse Me, Lady (CBS 2503). Ces disques, nés de la collaboration avec Jacques Plait, son producteur, et Jean-Michel Rivat, son ami et parolier, arriveront dans les bacs en 1966. Mais c’est avec le super 45T Les Dalton (CBS EP 6356), qui arrive dans les bacs le 03/05/1967, que Joe va être véritablement et définitivement propulsé sous les projecteurs. La chanson-titre, co-créée avec Jean-Michel Rivat et Franck Thomas, il l’avait jouée devant Jacques Plait en lui disant son intention de la faire écouter à Henri Salvador, ne pouvant, d'après lui, la chanter lui-même. Plait ayant réussi à le convaincre, la chanson a obtenu le succès que l’on sait aujourd’hui. Mais ce qu’à l’époque, Joe ne sait pas encore, c’est que les multiples passages en radio ont fait remarquer la chanson par Georges Brassens qui l’apprécie particulièrement.

 
 
Cela, le sétois moustachu le lui dira lui-même lors d’une soirée chez Boby Lapointe, rue Lecourbe (Paris 15e). Joe et ce dernier se sont connus au Port du Salut en mai 1968, ont sympathisé, puis sont partis tous les deux en tournée. Le souhait que Joe émet de faire la connaissance de Brassens de chair et d’os se voit alors réalisé le soir du mercredi 12/02/1969 (com. pers. Sam Olivier) autour d’un bon plat de pâtes. Brassens surprend agréablement Joe, lui montrant qu’il connaît ses chansons par cœur. Toute sa vie, Dassin sera reconnaissant envers Boby Lapointe d’avoir organisé cette rencontre. Récemment devenu son producteur, il sera à l’origine de la réalisation du coffret de quatre 33T 30 cm intitulé Intégrale des enregistrements de: Boby Lapointe qui paraîtra le 16/04/1976 et pour lequel demandera à Brassens d’écrire  d’une courte préface. L’histoire ainsi que la description de l’objet sont détaillées dans un article précédemment publié et rendant hommage au créateur de Ta Katie t'a quitté.

Retour à l'année 1969 qui est, pour Joe, celle de la finalisation de l’enregistrement d’un 45T simple comportant Les Champs-Élysées, une adaptation en français par Pierre Delanoë de Waterloo Road, chanson du musicien britannique Lionel Morton, et Le Chemin de papa, cosigné par Dassin et Delanoë. Le disque arrive dans les bacs le 15/08/1969 sous la référence CBS 4281. Les deux chansons se retrouvent également sur le 33T Joe Dassin (CBS S 63648), communément appelé Les Champs-Élysées et qui paraît la même année. Il apporte à Joe le Grand Prix du Disque de l'Académie Charles Cros. Évoquons également deux autres chansons, à commencer par Marie-Jeanne, qui retient l’attention de Brassens. Parue sur le 45T simple CBS 3056 en octobre 1967 avec Tout bébé a besoin d'une maman, elle est l’adaptation de Ode to Billie Joe de Bobbie Gentry. Cette tragédie se déroulant dans le Mississippi Delta, à laquelle Joe s’intéresse au plus haut point, se trouve transposée dans le terroir français avec comme protagonistes, deux fils d’agriculteurs.
 
 
 
La seconde chanson est Siffler sur la colline, parue l’année suivante sur le 45T simple SP CBS 3368 avec Comment te dire. Joe Dassin va ici puiser dans un décor et une galerie de personnages hors du temps et de l’espace, mais qui semblent familiers à tout le monde. Un parallèle peut être fait sur ce point précis avec l’univers des chansons de Georges Brassens. Siffler sur la colline est une reprise de la chanson italienne Uno tranquillo, interprétée et enregistrée en 1967 par Riccardo Del Turco. Les paroles de Jean-Michel Rivat et Frank Thomas sont sans rapport avec les originales, mais la chanson, sortie en plein milieu des événements de Mai 68, connaît un succès paradoxal amplifié par la programmation uniquement musicale des stations de radio en grève, mais complètement à contre-courant des enjeux de l'époque, en réussissant le cocktail improbable de sa source transalpine, d'un son groove et d'un thème bucolique très français.

 
 
Lorsque Joe Dassin se produit sur la scène de l’Olympia dans la période du 22/10 au 02/11/1969, Georges Brassens souhaite être présent dans la salle, mais ne peut finalement pas s’y rendre. Qu’à cela ne tienne, il lui écrit une courte lettre – datée du 25/10 - pour le féliciter:

Mon Cher Ami,
Je me réjouis de voir que le public t’a complètement adopté. Tu mérites un bon succès qui va aller en augmentant de jour en jour.
J’avais pensé à toi le soir de la première mais je n’ai pas trouvé le temps de te faire un petit mot.
Dieu merci tu n’'avais pas besoin de ça. Bravo, haut les cœurs et toutes mes amitiés.
Georges Brassens

Très touché, Joe conservera toujours cette lettre dans la poche gauche de sa veste, comme un talisman. Brassens et lui ne se fréquenteront pas, mais vont néanmoins se retrouver autour de Michèle Arnaud dans l’émission Arpèges, enregistrée le 27/01/1970 et diffusée sur le première chaîne de l’ORTF le 18/02 de la même année. Françoise Hardy et Jacques Dutronc figurent parmi les autres invités. Georges Brassens chante Rien à jeter et La non-demande en mariage.
 
Quatre années après, dans le cadre de l’émission Numéro un que Maritie et Gilbert Carpentier lui consacrent sur TF1 le 26/04/1975, Joe Dassin rendra hommage au sétois en chantant L’orage en duo avec Michel Fugain.
 
 
On les voit tous les deux, à la guitare, accompagnés du Big Bazar. La séquence respire la bonne humeur, montrant la magie qui opère lorsque se fait entendre une chanson de Brassens, comme l'a très justement expliqué Joe Dassin en introduction. De cette interprétation au pied levé (comme en attestent plusieurs plantages de Michel Fugain et Stéphanie Coquinos - une fiche aide-mémoire leur sauve la mise - sans oublier qu'il s'agit d'une reprise volontairement écourtée, les artistes s'arrêtant à la cinquième strophe) se dégage le plaisir que toutes et tous nous transmettent. Les chansons de Georges Brassens se perpétuent pour notre plus grand bonheur !


- Tous mes remerciements à Sam Olivier pour sa contribution à l'élaboration de cet article ! -

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