1941. C'est lors d'un passage aux Puces de Vanves que Georges Brassens déniche un mince opuscule qui va l'intriguer au plus haut point: Émotions poétiques (1918). Signé Antoine Pol, ce recueil contient entre autres un poème intitulé Les Passantes, écrit en 1911. Ne connaissant ni l’œuvre ni son auteur jusqu'à présent, Brassens lit plusieurs fois d'affilé ces sept strophes d'octosyllabes dont la musicalité résonne immédiatement dans sa tête:
Je veux dédier ce poème
À toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
À celles qu'on connaît à peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais
À toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
À celles qu'on connaît à peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais
L'ouvrage ayant intégré sa bibliothèque naissante, Georges ne l'en ressortira que près de trente ans plus tard, lorsqu'il se met à créer une mélodie à la guitare pour Les Passantes. Une fois satisfait du résultat, il effectue des recherches afin de retrouver Antoine Pol, mettant même Gibraltar à contribution. Sans succès, y compris à la Société des Gens de Lettres et à la Sacem. C'est un coup de fil émanant du président du Cercle des Centraux bibliophiles qui se révèlera providentiel: le souhait de la société de réaliser une édition de luxe d'une série 24 chansons de Brassens - avec des illustrations en couleur de Jacques Herold - requiert l'autorisation de ce dernier. Lorsque Gibraltar demande à qui il doit apporter la réponse, son interlocuteur se présente: Antoine Pol ! La conversation entre les deux hommes dévie naturellement vers Les Passantes et le projet d'enregistrement de Brassens.
Dans son ouvrage Brassens et les Poètes, Jean-Paul Sermonte nous dévoile une lettre d'Antoine Pol adressée à Georges et datée du 02/12/1970. L'auteur des Passantes - dont on apprend qu'il habite... rue La Fontaine (Paris 16e) - y raconte l'histoire de ses premiers poèmes, tout en adressant son autorisation pour le projet de Brassens. Il évoque également la sortie prochaine du fameux recueil de luxe qui mettra à l'honneur le poète sétois.
Plus tard, lorsque Brassens s’apprête à contacter personnellement Antoine Pol, c'est son épouse, Yvonne, qu'il a au bout du fil. Cette dernière lui apprend que son mari s'est éteint très récemment, le 21/06/1971. Très enthousiaste à l'idée que son poème avait été mis en musique et que la chanson ainsi obtenue allait être enregistrée par Brassens, Antoine Pol n'aura finalement pu entendre le résultat.
C'est lors des sessions du 23 au 25/10/1972 au Studio des Dames que Les Passantes fut enregistré, pour être intégré au track-listing du 33T Georges Brassens
(Philips 6332 116), paru peu de temps après. A l'écoute, on remarquera
que Brassens a opté pour la suppression des quatrième et sixième
strophes que voici:
la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulut rester inconnue
Et qui n'est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal
À ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses
Et portent encor' votre deuil
À celles qui s'en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées
Victimes d'un stupide orgueil.
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulut rester inconnue
Et qui n'est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal
À ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses
Et portent encor' votre deuil
À celles qui s'en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées
Victimes d'un stupide orgueil.
Deux moutures différentes de la chanson ont été enregistrées, avec Joel Favreau à la seconde guitare: une rythmée (à l'écoute ci-dessus), l'autre arpégée. C'est cette dernière qui a été retenue pour publication. Le 31/05/1979, Georges Brassens et Maxime Le Forestier sont invités aux côtés de Lino Ventura dans Le Grand Échiquier, de Jacques Chancel. Tous deux interprètent en duo Les passantes à la demande de l'acteur dont c'est la chanson fétiche. A noter, parmi les nombreuses reprises connues des Passantes, une version instrumentale que l'on doit à la Fanfare de Santiago de Cuba. Elle figure dans la bande originale du film Parlez-moi de la pluie, d'Agnès Jaoui.
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