Dans le cadre de sa participation à l’émission Tutti Fabbri enregistrée le 30/01/1974 puis diffusée le 03/02/1974 sur la 1ère chaîne de l’ORTF, Georges Brassens, entouré de Nicole Croisille et Julien Clerc, fut interviewé par Maurice Biraud. Il proposa trois de ses chansons: À l'ombre du cœur de ma mie, Le vieux Léon et Le nombril des femmes d'agents. En outre, il se fit l’interprète d’extraits de chansons françaises anciennes, dont Me v'là dans d'beaux draps, enregistrée le 09/09/1936 par Jane Stick sur le 78T Pathé PA-997.
Cette chanson signée Michel Vaucaire - Paul Nicolas est couplée à une seconde version de Tout’ la banlieue fait la bringue (E. Armengol / C. Loris). La première mouture, créée, chantée et enregistrée en octobre 1935, étant parue sur le 78T Gramophone K7624 avec Joinville-musette (Bertal-Maubon), dont la prise date du mois de juin de la même année.
Jane Stick les reçut dans son propre cabaret sis au 70, rue de Ponthieu (Paris 8e).*1 L’établissement, initialement ouvert en janvier 1937 par la compositrice, chanteuse et pianiste Jacqueline Batell avec Jean Breynat sous le nom Le Siroco, fut racheté rapidement par la créatrice de Me v'là dans d'beaux draps qui le rebaptisa Chez Jane Stick. Django Reinhardt et le Quintette du Hot Club de France s’y produisirent durant près d’une année à partir de janvier 1941, tous les soirs à 21H ainsi que les samedis et dimanches à 17H.
Grand défenseur du jazz, surtout traditionnel, l’acteur et réalisateur Jacques Fabbri s’intéressa de très près au groupe au groupe, mais aussi tout particulièrement à Claude Luter qui se produisit dès 1946 au Caveau des Lorientais, sis au 5, rue des Carmes dans (Paris 5e). Le célèbre clarinettiste et saxophoniste soprano donna ses lettres de noblesse à l’établissement, comme le note Boris Vian dans son Manuel de Saint Germain des Prés (1974): "C'est vraiment Claude Luter qui a lancé cette cave où se retrouvait une population très jeune dont Jacques Becker a donné une image dans son film Rendez-vous de juillet. C'était, selon lui, le plus connu en Europe des rénovateurs d'un style de jazz caractérisé par l'improvisation collective sur des thèmes choisis parmi les blues et les rags du répertoire des musiciens King Oliver et Jelly Roll Morton."
En janvier 1949, Luter fit l'ouverture du Vieux-Colombier avec son orchestre dans lequel officièrent Pierre Dervaux (trompette), Bernard Zacharias dit Zaza (trombone), Christian Azzi (piano), Roland Bianchini (contrebasse) et François Galepides dit Moustache (batterie). La rencontre entre ce dernier et Georges Brassens donna naissance à une très intéressante histoire musicale dont le point culminant fut l’enregistrement puis la publication en 1979 de deux disques formant un trait d’union entre l’œuvre de l’auteur-compositeur du Gorille et le jazz qu’il affectionnait tant: Georges Brassens / Moustache et les Petits Français - volume 1 "Élégie à un rat de cave" (Philips 9101 260) et Georges Brassens / Moustache et les Petits Français - volume 2 (Philips 9101 280).
Mais revenons en 1949 et plus précisément durant la période du 07/02 au 15/07 qui vit le tournage du film de Jacques Becker Rendez-vous de juillet*2, mettant en scène une bande de copains que réunit la passion du jazz et qui, pris dans un chassé-croisé amoureux, organisent une expédition en Afrique. Arrivé sur les écrans le 06/12/1949, le long-métrage réunit entre autres Daniel Gélin, Nicole Courcel, Brigitte Auber et Maurice Ronet. Jacques Fabbri fait également partie de la distribution, avec Pierre Mondy lui aussi amateur de jazz et par ailleurs collectionneur de disques vinyles. À noter en outre une apparition de Louis de Funès, malheureusement coupée au montage. Ceci est d’autant plus intéressant que l’acteur fut pianiste de bar pendant l'Occupation. Au tout début des années 1940, Eddie Barclay l'invita même à s'inscrire au Conservatoire International de Jazz dirigé par le professeur Charles-Henry. La musique de jazz est toutefois bien présente dans la bande originale que signa Jean Wiener pour le film puisque des prestations de Claude Luter, Mezz Mezzrow (clarinette et saxophone), Rex Stewart (cornet) et Bernard Peiffer (pianiste) y sont incluses. Mentionnons que Luter et Stewart apparaissent à l’écran, chacun dans son propre rôle.
À la connaissance de tout ceci, il n’y eut rien d’étonnant à ce que les chemins respectifs de Jacques Fabbri et de Georges Brassens eurent fini par se croiser. Tout d’abord dans l’émission Tutti Fabbri, succédant à partir du 13/01/1974 à Dimanche Salvador (réalisée par Georges Barrier et produite par Jacqueline Salvador pour une diffusion durant treize semaines du 07/10 au 30/12/1973) dont elle reprit l’héritage chaque dimanche à 12H30 pour "vendre de la gentillesse". Le quotidien Le Monde se fit l’écho de la nouvelle dans un article de Pascal Dupont intitulé La recette du rire "Tutti Fabbri", le dimanche à midi et publié le 28/01/1974. On peut y lire la retranscription d’une interview de Jacques Fabbri évoquant son émission.
Les deux férus de jazz que furent l’interprète de Bernard dans Rendez-vous de juillet et le sétois moustachu se retrouvèrent l’année suivante à l’occasion de la publication du roman de René Fallet Le Beaujolais nouveau est arrivé. Plus précisément le 15/12/1975, lors d’un dîner organisé au restaurant La Pergola (Paris 8e) avec le directeur des éditions Denoël.
Et c’est en musique que vont se conclure ces quelques lignes qui ne sauraient être complètes sans l’évocation du luthier Jacques Favino, créateur de la "guitare Brassens" dès 1956. Il se trouve que c’est également un modèle issu de l’atelier du 9, rue de Clignancourt (Paris 18e) que Jacques Fabbri offrit à Mondine Garcia et sur laquelle ce dernier joua régulièrement. Guitariste attitré de La Chope Des Puces de Saint-Ouen (93) où il proposa un répertoire très varié (comprenant les thèmes de Django, des standards de jazz et de bossa nova, des valses musette et des classiques de la chanson française en version instrumentale) de 1960 et durant plus de trente-cinq ans, il fut un grand adepte des guitares de type Selmer (le plus souvent Busato ou Favino) amplifiées par un micro Stimer. Son fils, Ninine, qui le rejoignit dès 1976 en tant qu’accompagnateur, devint un excellent soliste une dizaine d’années plus tard. Ci-dessous, une séquence vidéo prise vers 1990 et qui nous permet de l’écouter jouant Four, de Miles Davis, avec Rodolphe Raffalli dont l’hommage rendu aux chansons de Georges Brassens avec une grande virtuosité est bien connu.
Ninine prit la relève de son paternel suite à la disparition d’icelui en 2010. Il resta à La Chope Des Puces jusqu’en 2021, année à partir de laquelle il se produit chaque jeudi soir au café restaurant Le Relais de la Butte, sis à Montmartre, au 12, rue Ravignan (Paris 18e).
*1Anecdote singulière: à la fin des années 1930, Jane Stick vivait au 14, rue Chaptal (Paris 9e), dans l’immeuble même où se trouvait le siège du Hot Club de France à cette époque.
*2L'émission Les rois de la nuit proposait, en juillet 1949, un programme consacré à Jacques Becker et à son actualité du moment, la sortie imminente de son film Rendez-vous de juillet. Il est possible de l’écouter via le podcast Les Nuits de France Culture du 08/04/2016.
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