A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

J'ai rendez-vous avec vous

"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

jeudi 15 novembre 2018

Moustache: "Il n’eut qu’à chanter "Le gorille" et l’orchestre fut conquis."

Durant la période 28/07 au 30/08/1952, peu après avoir effectué ses débuts, Georges Brassens est associé à une tournée programmée par Jacques Canetti. Il se produit en première partie des Frères Jacques et de Patachou. Lors d’un passage au Club du Vieux-Colombier de Juan-les-Pins (06), après Claude Luter et son orchestre puis Gabriel Arnaud, le sétois moustachu fait une rencontre qui va revêtir une importance capitale pour son œuvre: l’acteur et batteur de jazz François-Alexandre Galepides dit Moustache. Ce dernier avait rejoint en 1948 Claude Luter et ses Lorientais (avec Christian Azzi au piano, Roland Bianchini à la contrebasse, Pierre Dervaux à la trompette et Bernard Zacharias dit Zaza au trombone), pour se produire régulièrement dans les clubs de Saint-Germain-des-Prés (entre autres faits notoires, les six musiciens firent l'ouverture du Vieux-Colombier au mois de janvier 1949). Il avait entendu parler pour la première fois de Brassens par Roger Comte, lors d'un repas à Grenoble (38) dont le caricaturiste Jean Brian était également convive. [Comte R., 1999. Mon équipée avec Georges Brassens - pp. 68-70] Moustache et le chansonnier s'étaient en effet connus le soir du 05/02/1952, où le batteur jouait à la salle Saint-Bruno avec Claude Luter et Sidney Bechet. Dans Moustache - Tambour battant (1975), celui qui avait tenu le rôle du garde champêtre Parju dans Ni vu... Ni connu... (1958) se souvient d'une soirée musicale pas comme les autres, à Juan-les-Pins:

Moustache: "(...) Une nuit, Patachou passe. On continue à blaguer. Son tour de chant fini, elle annonce qu’elle va nous présenter un inconnu qui en vaut la peine. On ne prête pas attention à son nom. On voit entrer un gars mal fringué, bourru, moustachu, avec sa guitare à la main.
Dix minutes plus tard, sans s’être donné le mot, nous étions tous dans les coulisses et nous embrassions Georges Brassens comme s’il avait été un copain de toujours. Et, en fait, il était un copain de toujours, car les copains de toujours étaient de deux espèces: il y a ceux que l’on connait depuis toujours et ceux que l’on attend depuis toujours. Brassens était de ceux-là."


Séduits par la richesse et la variété des mélodies (avec une base rythmique immuable à trois temps, le plus souvent en 6/8) qu’ils viennent d’entendre, le batteur et ses acolytes des Lorientais vont trouver Paul Anet Badel dès le lendemain pour le convaincre d’engager Georges… qui chantera au Vieux-Colombier de Paris - sis au 21, rue du Vieux-Colombier, dans le 6e arrondissement - du 29/12/1952 au 21/03/1953 (
ces dates, ainsi que d'autres sont notées dans son agenda "L'homme moderne" [Brassens G. - Journal et autres carnets inédits - pp. 313-317], sans oublier celle du mardi 17/03/1953 à laquelle il assiste à un gala de son confrère aux grandes bacchantes). Au moins trois articles de presse évoquent cette série de dates: un premier signé L.C. dans Le Figaro du 02/01/1953 avec pour titre Un chansonnier timide dans une cave be-bop, un autre de Pierre Drouin dans Le Monde du 09/01/1953 - Nouvelle-Orléans et vieille France au Club du Vieux Colombier, puis un entrefilet titré Elles et eux, dans Paris Match (10/01/1953). Moustache se remémore un Brassens lui présentant en aparté une de ses nouvelles chansons du moment: "J’ai composé quelque chose, mais c’est trop bien pour ces cons." C’était La cane de Jeanne ! Il raconte également une autre anecdote liée à cette époque.

Moustache: "Grand amateur de jazz, il aimait nos manières. Ça lui bottait qu’on ne se laissât pas traiter en larbins. Presque chaque soir, un type s’approchait du pianiste ou du batteur et lui glissait un gros billet pour que l’orchestre lui jouât son air préféré. Il nous prenait pour les tziganes du Novy ou de Shéhérazade. Nous refusions toujours le fafiot, puis on lui jouait son morceau et ça plaisait à Brassens."

Au fil du temps et des découvertes de nouvelles chansons de Georges (durant le tournage du film Pêcheur d’Islande (1959) à Concarneau (29), il écoute les disques du sétois moustachu dans la chambre d’hôtel qu’il partage avec son épouse Simone van Lancker ainsi que Jean-Claude Pascal et Joëlle Bernard [Moustache, Hanoteau G., 1975. Moustache, tambour battant - p. 226]), le batteur de Claude Luter se prend d’envie de réaliser un disque de jazz avec un certain nombre d’entre elles. Un jour, il s’en entretient avec Brassens qui lui répond: "Si tu n’es pas un con, tu le feras." L’idée met de longues années à mûrir, jusqu’en 1974, année de diffusion de l’émission Jazz avec Christian Morin sur Europe 1. Georges reçoit chez lui Christian Morin et Moustache (qu’il retrouve à cette occasion) dans le cadre de la présentation d’une sélection de ses disques de jazz (une photo créditée Nowas et prise lors de cette émission est publiée dans le cahier central du livre Moustache, tambour battant). De là, l’intention d’adapter des chansons brasséniennes en jazz et d’en graver un disque refait surface, l’interprète du Croque-Crâne-Creux (adaptation par Boris Vian du Purple People Eater de Sheb Wooley) en rediscutant probablement avec son confrère et lui promettant même quelque temps plus tard la réalisation de ladite galette.




Puis l’activité des deux protagonistes se poursuit. L’auteur-compositeur des Copains d’abord publie son 33T Georges Brassens - Nouvelles chansons (Philips 9101 092) à l’automne 1976. L’année précédente, Moustache a sorti un 45T simple avec Marche de Zorro et Hello Mickey... Bravo Mickey (Disc'Az SG 533). Le disque a été enregistré avec les Petits Français : Michel Attenoux (saxophone), Geo Daly (accordéon, vibraphone), le sétois Christian Donnadieu (piano), Irakli (trompette), Teddy Martin (violon) et Marcel Zanini (clarinette). Au début de l’année 1978, le groupe a fraîchement rejoint l’écurie Philips et fait partie des invités à la réception organisée en septembre au Pavillon Gabriel à l'occasion des cinquante ans de vie professionnelle de Georges Meyerstein-Maigret, auquel succède Jacques Caillart au poste de PDG de la firme. A cette occasion, il retrouve Brassens (un cliché les montrant en conversation, ainsi que sa fiche de référencement de l’Agence Photographique de Presse (AGIP), tous deux issus de la collection des Amis de Georges, permettent de dater précisément l'évènement au soir du 20/09/1978*) qu’il avait essayé de joindre à Paris ainsi qu’à Lézardrieux sans y parvenir. [Berruer P., 1981 – La marguerite et le chrysanthème - p. 206] La promesse qu’il lui avait faite se trouvant alors momentanément ajournée:

Georges Brassens: "Salaud ! Mon disque !"

Moustache: "Tu joues de la guitare avec nous ? Alors d’accord ! On le fait…"

Avec la bénédiction de Philips, le travail d’élaboration commence. Autour de Georges, Moustache et son groupe ainsi que Pierre Nicolas (contrebasse). Le choix des titres s’avère particulièrement difficile, les musiciens montrant un vif intérêt pour l’ensemble du répertoire. Toutefois, vingt-trois chansons sont sélectionnées : Au bois de mon cœur, P... de toi, La femme d'Hector, La marche nuptiale, Le temps ne fait rien à l'affaire, Le temps passé, Chanson pour l'Auvergnat, La chasse aux papillons, Le pornographe, La prière, Les copains d'abord, Histoire de faussaire, Embrasse-les tous, Maman, Papa, La non-demande en mariage, Je me suis fait tout petit, J'ai rendez-vous avec vous, Bonhomme, Le vent, La ballade des cimetières, La ronde des jurons, Cupidon s'en fout, sans oublier Élégie à un rat de cave, offerte par Brassens à Moustache en hommage à l’épouse de celui-ci, récemment décédée. Puis Michel Attenoux écrit, à la demande de Moustache, les différents arrangements devant correspondre aux talents des solistes (Jean-Gabriel Bauzil (trompette), François Guin et Benny Vasseur (trombone) vont rejoindre la bande). Sous la validation artistique de Pierre Nicolas et, bien sûr, l’assentiment de Georges qui fait valoir ses idées et contribue donc à la nouvelle orchestration de ses chansons.

Pierre Berruer: "Ainsi, à plusieurs reprises, Brassens insiste pour remettre ses harmoniques en place quand les musiciens prennent trop de libertés. Si l’un d’eux évite un accord de passage, il le fait remarquer aussitôt. Et il est tout aussi capable d’exprimer ses désirs : ici une contrebasse, ici une introduction saxo, là, le quartet en fond…" [Berruer P., 1981 – La marguerite et le chrysanthème - p. 206]
 

Brassens est d’autant plus heureux de pouvoir mener à bien ces enregistrements qu’il est très flatté de l’intérêt porté par des artistes renommés au fait de revisiter ainsi nombre de ses musiques, lui qui s’évertue depuis longtemps à défendre son statut de compositeur ! Qui plus est, Moustache fait participer de grands musiciens américains qui se produisent en parallèle au Jazz Club de l’Hôtel Méridien Étoile dont il anime régulièrement les soirées. Joe Newman, un des fondateurs de l'association "Jazz interaction", Inc., est parmi les premiers à avoir été sollicité. Le chef sétois Pierre Vedel avait fait sa connaissance, ainsi que de Duke Ellington, Lionel Hampton, Oscar Peterson et Sarah Vaughan dite Sassie, en décembre 1958, alors qu’il dirigeait les cuisines du Club Saint-Florentin, situé derrière l’ambassade des États-Unis.

Pierre Vedel: "Ils venaient "faire le bœuf" la nuit, après leurs concerts. Je les nourrissais. Ainsi, je suis devenu fan de jazz."

Bien après, dans la seconde moitié des années 1970, il les revoyait et les recevait en tant que clients au restaurant Pierre Vedel (dans le 15e arrondissement), aujourd’hui devenu Le Clos Morillons. En 1976, Moustache faisait part de son dessein à Pierre Vedel dont l’entremise l’a aidé à se rapprocher de Brassens qui, avec le plus grand plaisir, donne son aval à la concrétisation du fameux disque aux sessions d’enregistrement duquel sont invités les trompettistes Harry "Sweets" Edison et Joe Newman, le saxophoniste Eddie "Lockjaw" Davis (tous trois issus de l’orchestre de Count Basie), Cat Anderson (trompettiste avec Duke Ellington) et la pianiste Dorothy Donegan. Et c’est au Studio des Dames (8e arrondissement) que les vingt-trois titres sont mis en boîte, sous la direction de Paul Houdebine (technique) et André Tavernier (artistique) les 29/11/1978, 05 et 23/01/1979, 02, 23, 27 février/1979, 05/03/1979, 18 et 25/04/1979 et 10/05/1979. [Sallée A., 1991 - Brassens - p. 207] C’est la première fois que Georges chante (sur Élégie à un rat de cave et sur le refrain du Temps passé) et surtout joue (guitare rythmique) avec un orchestre dont il n’est plus que l’un des membres: il réalise alors son vieux rêve et officie comme un jazzman invité de Moustache, à l’instar des solistes américains qui font sa connaissance et découvrent les mélodies sur lesquelles ils se mettent à improviser, après l’avoir entendu les interpréter une première fois chacune.




Joel Favreau, qui a lui aussi participé au projet, se souvient de ces moments comme la première fois où il voyait Brassens vraiment heureux en studio. Bonheur que Jacques Caillart souligne itou.

Joel Favreau: "(…) Je ne suis pas certain que tout ce beau monde ait prévu qu’il joue tout le temps et dans tous les morceaux, mais il a assuré en se régalant tellement que les jazzmen l’on adopté d’emblée. "Enfin, je peux jouer en regardant mon manche", claironnait-il. C’était une sensation qu’il ne pouvait jamais avoir quand il chantait sur scène ou à la télévision, car jamais il ne quittait son public - ou la caméra - de l’œil." [Favreau J., 2017 - Quelques notes avec Brassens - p. 72]

A cela s’ajoute le fait que, dans de telles situations, Georges était toujours plus concentré sur son texte que sur son jeu de guitare. Il avait alors pris l’habitude de longues séances de travail pour acquérir des automatismes au détriment de l’apprentissage de nouveaux accords. Ainsi, comme l’analyse Pierre Berruer dans La marguerite et le chrysanthème (1981) : "S’il joue en Mi, c’est plus adéquat pour la guitare mais c’est proprement injouable pour des instruments à vent. Moustache et Georges se chicanent amicalement et quand Georges s’accorde en Si naturel, un musicien désaccorde la guitare en Si bémol. Et tout le monde est content !" De son côté, le guitariste auteur-compositeur de Un jour, un papillon et La souris a peur du chat doit s’adapter à la nouvelle couleur des différents morceaux et aux arrangements créés pour l’occasion, comme il l’explique dans un entretien avec Jacques Vassal à Villemomble en mars 1990.

Joel Favreau: "(…) les vaches ! Ils m’ont fait prendre un chorus sans me prévenir. Ils m’annonçaient des chansons, dans un ton que je ne connaissais pas, j’avais une vague grille, il fallait que je me démerde avec ça… J’aurais apprécié d’en savoir un peu plus !" [Vassal J. - Brassens, homme libre - p. 272]

Le résultat final donne à entendre la musique de Brassens révélée à elle-même par différents habillages, lesquels ont fait apparaître la grande richesse qui la caractérise. Ainsi, comme le souligne Joel Favreau dans sa dédicace pour l’album du groupe Sans vergogne paru en 2015, les chansons du sétois ont, dans leur version originale, une forme dépouillée, mais offrent aux musiciens un terrain de jeu extraordinaire. Dans Georges Brassens (1991), Louis-Jean Calvet met en exergue que Les copains d’abord et Au bois de mon cœur sont bien sûr de bons exemples de chansons inspirées jazz qui se prêtent parfaitement au travail artistique effectué par Moustache et ses musiciens ainsi que les solistes américains, mais on découvre qu’il en est également de même pour la Chanson pour l’Auvergnat, Le temps ne fait rien à l’affaire, La ballade des cimetières ou encore Le pornographe. À P… de toi est liée une anecdote aujourd’hui bien connue: lorsque Harry Edison la découvre sur le moment, il adresse à Georges une remarque pleine de justesse qui sonne aussi comme un authentique compliment: "…Brassas, you folk singer…" Ce, quand bien même il a constaté, tout comme ses confrères, que Brassens ne chante pas toujours juste. Les jazzmen disent alors de lui qu'il a parfois des notes "mauves"...

 

C’est ici qu’il nous faut rappeler une particularité importante de l’interprétation que Brassens donne de ses chansons et qui a plus que probablement titillé l’oreille de Moustache à l’époque du Vieux-Colombier: il "décale", c’est-à-dire anticipe ou, plus souvent, retarde l’attaque d’une note, comme le font les jazzmen noirs américains. Il s’appuie sur le balancement ternaire typique du jazz. Autrement dit, il possède un élément fondamental de cette musique: le swing. Georges chante ainsi avec d’autant plus de naturel que ses rythmiques sont fréquemment celles du jazz, et notamment le jazz de sa jeunesse. [Tillieu A., 2000 - Brassens, d'affectueuses révérences - pp. 134-135] Lors d’un témoignage recueilli par Jérémy Bernède dans Le Midi Libre du 13/03/2004 et que cite Jean-Claude Lamy dans Brassens - Le mécréant de Dieu (2004), Henri Salvador estime, à ce sujet, que ce sont les musiciens qui devraient chanter car la plupart des chanteurs ne swinguent pas. "Brassens, lui, savait swinguer et quel crack pour trouver les mots !"

Georges Brassens: "Ma musique préférée c’est la musique de jazz. Je suis un forcené de la musique de jazz. En fait, j’en suis un peu resté aux anciens du jazz. J’aime moins Bechet. Par contre, chez les modernes, je raffole de Gerry Mulligan. La structure de sa musique me plaît: c’est riche et, après chaque chorus, il a une façon bien à lui de retomber sur le thème initial. Mais je n’aime pas tout Mulligan ; il y a des trucs qui ne passent pas. Alors que j’aime tout Armstrong." [Les Samedis de France Culture, interview de Philippe Némo diffusée les 17 et 19/02/1979 sur France Culture in Rochard L., 2011 - Brassens par Brassens - p. 163-164] 


Cette grande connaissance du jazz, dont le sétois fait montre depuis fort longtemps, l'a parfois amené à s'amuser à jouer des chorus entiers de certains morceaux plus ou moins complexes en imitant le son de plusieurs instruments (saxophone, trompette...) avec la bouche. Moustache, qui fait partie des rares personnes à l'avoir entendu, lui suggérera d'enregistrer, dans la foulée des deux albums de ses chansons en jazz, des standards dans la langue de Shakespeare tels que St. James Infirmary (popularisé par Louis Armstrong en 1928). Si l'idée amusera Georges, elle ne convaincra pas chez Philips où, comme l'explique Pierre Berruer, l'on redoutera sans doute que le résultat ne soit trop déroutant, même pour le marché anglo-saxon.

Le 31/10/1979, Jacques Martin met à l'honneur les enregistrements de chansons de Georges Brassens en jazz dans l'émission Showtime, diffusée sur Europe 1 et annonçant la sortie des futurs disques: après une présentation des musiciens vient une rencontre Brassens-Moustache. Plusieurs instrumentaux illustrent l'émission, dont La femme d'Hector par Dorothy Donegan, juste après l'intervention de Frank Ténot sur le jazz de Brassens. Durant la seconde partie de l'émission est présentée Élégie à un rat de cave, portée par une séquence instrumentale ainsi que la participation et le témoignage de Moustache. Plus tard, dans le courant de l’automne 1979 (plus précisément à la fin du mois de novembre, comme l’indique un entrefilet publié dans Le Figaro du 17/11/1979 avec pour titre Brassens et Moustache à la sauce jazz), deux 33T simples arrivent dans les bacs l'un après l'autre: Georges Brassens / Moustache et les Petits Français - volume 1 "Élégie à un rat de cave" (Philips 9101 260) et Georges Brassens / Moustache et les Petits Français - volume 2 (Philips 9101 280). Le premier est distingué à trois reprises: Trophée N°1 d’Europe 1 ainsi que Grand Prix de la ville de Paris et de l'Académie du Disque Français. Ces disques rencontrent un franc succès puisque 100 000 exemplaires de chacun des deux sont vendus en peu de temps. En décembre, une réception est organisée à l’hôtel de ville de Paris en présence du maire Jacques Chirac et de Jean-Philippe Lecat, ministre de la Culture et de la Communication. Dans Brassens – Au bois de son cœur (2001), Jean-Paul Sermonte montre une photo immortalisant l’évènement. La légende qui l'accompagne donne la date du 06/12/1979 (qui est aussi celle de la parution d’une brève titrée Georges Brassens joue avec Moustache dans le quotidien Le Monde). Toutefois, une photo de Robert Cohen, de l’Agence Photographique de Presse (AGIP), en vente sur le site italien ICharta, est accompagnée d’un certificat la datant du 08/12/1979. La Dépêche du Midi du 16/12/1979 relate l’histoire des deux 33T récemment publiés à travers des extraits d’interview de Moustache. L’article a pour titre Georges Brassens, chanteur de jazz.
 

Du côté de la télévision, on peut retenir trois émissions en particulier: Les rendez-vous du dimanche, diffusé le 02/12/1979 sur TF1 avec Michel Drucker aux commandes, Le Grand Échiquier consacré à Lino Ventura (A2), animé par Jacques Chancel le 31/05/1979 et le Show Brassens unique (FR3) de Jean-Christophe Averty, sur les écrans le 31/12/1979. Dans la première, Georges Brassens interprète Élégie à un rat de cave et Les copains d’abord, accompagné par avec Moustache et les Petits Français. Dans la seconde, ces derniers interprètent Le temps ne fait rien à l’affaire (avec Georges) et Les copains d’abord. Élégie à un rat de cave seule est jouée dans le Show Brassens unique, qui se termine par une mémorable reprise de Y'a d'la joie, clin d’œil de l’auteur-compositeur de J’ai rendez-vous avec vous à Charles Trenet. Toujours avec Moustache et son groupe. Il est intéressant de noter que ces derniers se sont proposés pour assurer la première partie du prochain tour de chant du poète sétois à Bobino, avec un final impliquant toute la troupe. Peut-être en ont-ils discuté ensemble lors d’un repas au restaurant de Pierre Vedel (une photo prise par Jimmy Rague en 1979 y montre les deux compères moustachus en grande conversation [in Vassal J., 2011 - Brassens, homme libre]) ? Mais cela ne se concrétisera malheureusement pas… Tout comme Georges ne pourra enregistrer un nouveau disque de ses chansons en jazz avec la bande à Moustache, envie qu’il avait manifestée et au sujet de laquelle il s'était confié à Jacques Caillart quelques mois avant sa disparition.

En été 1982, profitant de la "Grande Parade du Jazz de Nice" à laquelle Georges Wein et Simone Ginibre invitent de prestigieux musiciens américains tels qu’Arnett Cobb (saxophone ténor), Frank Foster (saxophone ténor), Al Grey (trombone), Lionel Hampton (batterie, piano, vibraphone), Major Quincy Jr Holley (contrebasse) et Clark Terry (bugle et trompette), Moustache tire bénéfice de ses relations privilégiées avec ceux-ci pour lancer l’enregistrement de onze nouveaux titres de Brassens aux couleurs du jazz. Et c’est Henri Salvador qui va assurer la guitare rythmique et donc, reprendre le rôle de croque-notes qu’avait tenu Georges sur les deux disques précédents. Moustache témoigne de la présence stimulante de ce maître acolyte.
 
Moustache: "Il a un tempo d'acier, il swingue comme une bête et se fait un cache-col avec les harmonies !"
 
Les sessions se déroulent au Studio Le Vigilant, à 300 m des arènes de Cimiez à Nice (06). La prise de son est assurée par Didier Utard et Gerhard Lehner (celui-là même qui a officié chez Barclay avec Jacques Brel et Léo Ferré entre autres). Michel Attenoux crée les arrangements pour La première fille, Le vieux Léon, Pénélope, Oncle Archibald et Les passantes. André Villégé en fait de même pour Dans l’eau de la claire fontaine, A l’ombre du cœur de ma mie, La route aux quatre chansons, Les amoureux des bancs publics, L’orage et Le 22 septembre. Outre les solistes américains, Irakli joue de la trompette sur Dans l’eau de la claire fontaine et Oncle Archibald, tandis que Teddy Martin est au violon sur Les amoureux des bancs publics, également marqué par les bruitages de Major "Mule" Holley. Remarquable est aussi l’accordéon de Marcel Azzola sur Le vieux Léon. N’oublions pas non plus Rolf Buehrer (trombone), Christian Donnadieu (piano) et bien sûr le fidèle Pierre Nicolas. Une mention particulière à Al Grey sur A l’ombre du cœur de ma mie, Oncle Archibald et La route aux quatre chansons, à Clark Terry sur Le vieux Léon, A l’ombre du cœur de ma mie également ainsi que Le 22 septembre. Sans oublier Lionel Hampton sur La première fille et surtout L’orage. "Le lion" a effectué le déplacement par amitié pour Georges Brassens dont il avait fait connaissance au Jazz Club de l’Hôtel Méridien Étoile en 1980. Ce club qui deviendra le Jazz Club Lionel Hampton en 1984. Après rénovation en 2009, il changera de nom pour celui de Jazz Club Étoile.
 


Mais revenons en 1982 et à la finalisation des enregistrements niçois dont le mixage est effectué au Studio Jean Jaurès à Paris. Le 33T Hampton, Salvador, Clark Terry, Moustache et leurs amis jouent Brassens (Philips (812 386-1) sort - hélas de manière relativement discrète - l’année suivante. Dans Brassens (1991), André Sallée l’estime moins homogène, moins décontracté, moins convivial que les deux précédents. Peut-être doit-on y voir les conséquences des difficultés engendrées par les horaires serrés des solistes et auxquels Moustache et Gerhard Lehner ont dû s’adapter ? Toutefois, ce disque montre lui aussi quel musicien talentueux était Brassens. Les mélomanes passionnés de son œuvre bien sûr le possèdent et réalisent le souhait de l’ensemble des artistes y ayant contribué…

(…) que, sous son pin parasol où il passe sa mort en vacances entre les musiques jolies, Villanelles et Sardannes, le bon Georges puisse entendre sa musique et que bourrant sa pipe dans son fauteuil de nuages, il dise, "Ah les Cons". (
Moustache, notes de pochette du 33T Hampton, Salvador, Clark Terry, Moustache et leurs amis jouent Brassens)

- Un grand merci à Pierre Vedel pour sa gentillesse et sa précieuse collaboration à la rédaction de cet article ! -


*La fiche de référencement de la photographie en question porte le texte suivant : "Pour célébrer les 50 ans de vie professionnelle de Georges MEYERSTEIN-MAIGRET, hier soir au Pavillon Gabriel, la plupart de ses vedettes et de ses amis étaient présents à la réception organisée à l'occasion de cet anniversaire. Parmi ceux-ci, Georges BRASSENS, ici un peu perplexe devant l'histoire que lui raconte le gros MOUSTACHE, le crâne bien rasé." En dessous, figure la mention '21 septembre 1978 AGIP'.

2 commentaires:

  1. Fantastique !
    Je suis tombé sur ce merveilleux blog en cherchant comment obtenir les droits de diffusion de ""Giants of Jazz play Brassens"(832 466-2), N°6, "Le temps ne fait rien à l'affaire".". Selon Universal Music, il n'est pas possible d'obtenir l'autorisation d'utiliser ce morceau pour un Diaporama (Salon de Coiffure, utilisation locale).
    Pouvez-vous m'aider ?
    péa

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    1. Bonsoir,

      Merci de votre message. Malheureusement, je ne pourrai être à même de vous aider pour votre projet, ne disposant d'aucun contact susceptible de vous être utile.

      En vous souhaitant bonne chance dans votre quête ! Bien à vous.

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