A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

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"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

jeudi 15 mars 2018

Jean-Michel Caradec: "Je suis enfant supranaturel de Charles Trenet et de Bob Dylan."

Si l’auteur-compositeur-interprète morlaisien se définit ainsi en hommage à ceux qui furent à l’origine de sa vocation, il compta d’autres artistes au nombre de ses inspirateurs : Gilbert Bécaud, Georges Brassens, Léo Ferré, Claude Nougaro… Un rapprochement intéressant avec le poète sétois se dessine dès lors que l’on se souvient que le Fou chantant fut également l’idole de ce dernier.

Quant à Dylan, son œuvre fit l’objet d’analyses de citations dans une étude sur Brassens que Marco D’Eramo publia en 1975 dans le second volume de la revue Cultures (Presses de l’UNESCO): La parole contestataire: Brassens et Dylan. Jean-Michel Caradec fit régulièrement des clins d’œil musicaux à celui qui reçut les surnoms de Lucky puis Boo Wilbury (au sein du supergroupe fondé en 1988 par George Harrison: The Traveling Wilburys). Si son album Parle-moi (RCA 37326), paru en 1979, tient lieu d’exemple particulier,
Ma petite fille de rêve, Pas en France, Ma Bretagne quand elle pleut, conciliant poésie et accords folk, sont également des chansons à inflexions dylaniennes (la seconde constitue même un hommage) telles qu'il fut le premier à en introduire en France. Il est important de noter qu’il s’essaya également à des traductions/adaptations de chansons de Bob Dylan, comme par exemple Masters of War tiré de l’album The Freewheelin' Bob Dylan (Columbia CL 1986), paru le 27/05/1963. Mais ces tentatives se heurtèrent à une complexité tant littéraire que musicale d’obtenir des transcriptions fidèles. Caradec l’expliqua dans l’émission A propos du concert de Bob Dylan, animée par Dominique Guillot et diffusée sur France Inter quelques jours après la performance de Dylan au stade olympique Yves-du-Manoir, à Colombes, le 23/06/1981, à laquelle l’auteur-compositeur de Ma petite fille de rêve assista en qualité de reporter.


Un peu plus de quatre ans avant ces évènements, Georges Brassens effectua ce qui fut son ultime tournée à Bobino, du 19/10/1976 au 27/03/1977. Parmi les artistes choisis pour assurer la première partie figure Jean-Michel Caradec. Un article de Jean-Claude Charlet, titré Le phénomène Brassens et publié dans L'Yonne républicaine du 18/02/1977 permet de situer son passage en seconde moitié du mois de février de l'année en question. Michel Pagnoux, artiste peintre et ami proche de Jean-Michel Caradec, fut présent à Bobino à cette occasion. Non sans une certaine émotion, il se remémore ces instants privilégiés.

Michel Pagnoux: "Georges Brassens est resté très longtemps à Bobino à cette période. Il a eu, en fonction de ses choix, plusieurs premières parties successives. Dont Mireille. (...)
Je pense que Maxime Le Forestier a pu recommander à Georges Brassens de faire appel à Jean-Michel pour lui proposer de faire sa première partie durant une quinzaine. J’ai assisté trois ou quatre jours de suite à ces concerts. J’étais dans les loges. Le clan Caradec était plutôt sage, sérieux... sauf le soir de la dernière ! Brassens arrivait tôt et se préparait en fredonnant ses célèbres pom pom pom pom. Il était toujours en compagnie de l’un de ses amis."

La liste des artistes qui se produisirent en première partie est la suivante: Jeff, Nina Corot, Jacques Yvart, Paul Louka, Claus Beckers, Patrick Siniavine, Georges Dreux, Jean-Michel Caradec, Jacqueline Huet, Les Castors, Joel Favreau, Colette Renard, Sylvie Joly, Myria et Milko, Les Nicolinis, Marie-Thérèse Orain, Pierre Louki, Michel Mella, Les Walgardis, Jean Sommer, Pierre Dudan, Gilles et Blaise, Ric Benny, Thierry Beauf, Michel Gallois et Mireille. [Sermonte J.-P., 2001. Brassens au bois de son cœur - p. 146]

Huit musiciens accompagnèrent Jean-Michel Caradec, dont Claude Samard (avec lequel il partage sa passion pour l’œuvre de Bob Dylan, la guitare folk, les musiques country et celtiques ainsi que le blues, sans compter un goût certain pour la Bretagne et les plaisirs de la vie) à la guitare. Basse, batterie et clavier ne doivent pas être oubliés. Ainsi qu'un quatuor à cordes.

Michel Pagnoux: "Juste avant le lever de rideau, on entendait le bourdonnement du public dans la salle. Brassens a fait une brève apparition. Il est arrivé sans guitare, s’est adressé au public en disant : "Bonsoir, à tout à l’heure. Je vous laisse en compagnie de Jean-Michel Caradec et de son orchestre symphonique." Puis il s'est retiré." 

Depuis les coulisses, Michel Pagnoux suivit le récital de son ami (comprenant des titres comme Ma petite fille de rêve, La colline aux coralines, Île, Le montreur d'ours...) puis alla retrouver sa place dans la salle, pour entendre Georges entamer Trompe la mort.

Georges Brassens et Jean-Michel Caradec D.R.

Michel Pagnoux: "Brassens était la simplicité, la courtoisie, la douceur même. Une grande humanité. Pour ce que j’ai pu voir de son regard de sur Jean-Michel, c’était une bienveillance un rien amusée: ce garçon maigre et gauche, qui jouait très bien de la guitare, qui chantait vraiment remarquablement, et ses musiciens, sans compter les road-managers, les techniciens son et lumière, débarquant à Bobino devant Pierre Nicolas et lui, sans pourtant se pousser du col ou rayer le parquet. Une jeune petite vedette atypique, plutôt émouvante, gracile, timide… Deux mondes, deux générations, deux répertoires."

Doué d'une sensibilité à fleur de peau, Jean-Michel Caradec s’inspira d'Arthur Rimbaud dans des textes qui se nourrissent de personnages oniriques, de nature et de littérature. On pense alors à Bob Dylan, vu comme un disciple de l'auteur des Illuminations, par le surréalisme des images et la mythologie de la bohème dont est empreint notamment l'album Blonde on Blonde (Columbia C2L 41), arrivé dans les bacs le 16/05/1966. Le recueil rimbaldien évoqué ici comprend des poèmes en prose ou en vers libres écrits entre 1872 et 1875. Publié partiellement en 1886 puis, dans son intégralité, à titre posthume, en 1895, il fit partie des livres de chevet de Georges Brassens. [Tillieu A., 2000. Brassens - D'affectueuses révérences - p. 147]

Le sétois moustachu et le barde armoricain s'apprécièrent beaucoup. Tant humainement qu'artistiquement. Mais comme l'explique Michel Pagnoux, le chant, la musique même, le jeu de guitare de Brassens collèrent mal à la voix et au style de Jean-Michel Caradec. Il fut en effet nettement plus à l’aise avec le répertoire de Dylan et, un moment, d’Elton John. A contrario d'un artiste tel Maxime le Forestier, organiquement plus proche de Brassens, plus apte à le chanter. L'auteur-compositeur de Mon frère fut sans doute le premier à joindre Caradec à ses activités. Le courant passa bien entre eux. Qui plus est, l’humour caradéquien, tombant toujours à plat, fit facilement rire Maxime et bien d’autres de son entourage. Outre diverses collaborations, On peut noter leur présence à l'émission de Jacques Ordines Epinettes et guimbardes (ORTF, 29/09/1972), au cours de laquelle Le Forestier interpréta en direct San Francisco. Caradec l'accompagna à la guitare, avec Joel Favreau (lors de cette séquence, on peut apercevoir Lamine Konté dit "le griot intello", virtuose de la kora et aussi un des premiers artistes mandingues à offrir une vision moderne de cet instrument).


Tout comme la chanson Mai 68, de Jean-Michel: Maxime l'interpréta entre autres sur la scène de l'Olympia en 1973. Il est fort probable que ce soit par son entremise que le chanteur folk morlaisien eut fini par faire partie des choix de Brassens pour les premières parties de ses récitals.* L'univers de la salle de Bobino, Caradec l'eut découvert bien avant ses passages aux côtés de Georges, grâce à Dominique Grange et Mannick, rencontrées à la suite de son arrivée à Paris en 1968 (l'année même où il fit connaissance de Maxime Le Forestier et de Catherine Sauvage) et qui l'aidèrent par la même occasion à approfondir son travail de scène et d'auteur-compositeur. A ce dernier sujet, Jean-Michel partagea avec le poète sétois un intérêt certain pour la poésie, l'écriture, les mots. Ils furent deux auteurs-compositeurs aux idéaux forts: humanisme, liberté, écologie... Pour autant, Caradec ne se vit pas comme un chanteur engagé, considérant qu'une chanson perd son intemporalité lorsqu'elle est liée à un contexte que les générations suivantes peuvent ne pas comprendre ou connaître. Il se considéra plutôt comme un troubadour des temps modernes. En outre, l'amour, les sentiments, bien présents dans les œuvres respectives des deux artistes, amènent également à des rapprochements. A l'instar de chansons comme A ma femme ou bien Ulysse 74, que "le Bob Dylan breton" fit paraître sur l'album Île (Polydor 2393 122) en 1975. Une lecture attentive du texte de la deuxième révèle quelques allusions évidentes à Brassens.

Lorsque Claude Samard évoque Jean-Michel, il met en avant le don pour l'écriture que l'artiste eut en lui, son sens mélodique, sa voix d'une aisance naturelle, associés à un épicurisme où les valeurs bretonnes côtoyaient le Flower Power de la fin des années 1960. La Bretagne accueillit également Georges Brassens dès 1970, à Lézardrieux. Près de sa demeure, Kerflandry, sise dans la rue qui porte actuellement son nom, se trouve l'impasse Lan Caradec. Un peu plus haut, la Maison d’Hôtes Lan Caradec. Ainsi se côtoient, d'une certaine manière, deux passionnés des mots et des mélodies qui nous ont quittés en la même année 1981, à quelques mois d'intervalle...

- Un grand merci à Michel Pagnoux pour sa collaboration ainsi que les échanges passionnants qui ont contribué à la rédaction de cet article ! -


*Plusieurs sources indiquent que Jean-Michel Caradec aurait fait la connaissance de Georges Brassens par l'intermédiaire de Jean-Pierre Chabrol. A ce jour, il ne m'a pas été possible de vérifier cette information.

2 commentaires:

  1. Merci Sébastien, une fois de plus c'est une remarquable publication mais à suivre régulièrement ce lien "Par les routes du printemps...", on ne peut pas être surpris par cette qualité

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