A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

J'ai rendez-vous avec vous

"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

mercredi 23 mars 2016

Jacques Canetti: "Georges est mon meilleur souvenir professionnel et personnel. Il est unique et irremplaçable !"

J'ai commencé à m'apercevoir, aux Trois Baudets chez Jacques Canetti, que des gens se mettaient à aimer mes chansons: c'est là qu'on m'a fait les plus grands honneurs, c'est là que j'ai reçu ma "Légion d'honneur". Cela a été là mon "Académie française", cela a été là mon apothéose ! [Rochard L. - Brassens par Brassens - p. 230]

C'est le 19/09/1952 que Georges Brassens se produisit pour la première fois officiellement aux Trois Baudets. L'établissement sis au 2, rue Coustou (Paris 18e), était à l'origine le Cachantant de Jean Bastia, devenu plus tard un dancing - le Cœur de Montmartre - repéré par Jacques Canetti en 1947. Ce dernier souhaitait reprendre l'expérience du théâtre des Trois Ânes, qu'il avait fondé à Alger au début de l'année 1943 avec Clairette May, Geneviève Mesnil, Lucienne Vernay (qu'il épousa le 15/09/1947) et les chansonniers Georges Bernardet, Pierre-Jean Vaillard et Christian Vebel, ainsi que Simone Delaroche au piano. Cette troupe avait tourné dans tout le nord de l’Afrique (de l’Algérie à l’Égypte) durant plusieurs années pour soutenir l’action de René Capitan, qui avait contribué à la création du mouvement de résistance Combat et représentait la France Libre et le Général de Gaulle en Afrique du Nord. À la fin de chaque représentation étaient mis en vente aux enchères de nombreux objets, au profit de Combat. Lorsque Jacques Canetti fut de retour à Paris et découvrit ce qui restait du Cœur de Montmartre, à l'époque désaffecté, il décida d'en louer les locaux et de les faire remettre à neuf. L'affaire menée à son terme avec la propriétaire Émilie Imbernot-Mata, Canetti confia son projet à l'architecte Roger Dornès, grâce au talent duquel naquit le Théâtre de Montmartre, inauguré le 15/12/1947. Au début début de l'année suivante, des chansonniers puis des chanteurs investirent les lieux (le spectacle Ici l'on rit, programmé en mai 1948 avec Henri Salvador, Jean-Roger Caussimon, Francis Blanche, Maryse Martin et Jacqueline François, eut notamment un grand succès) qui devinrent le Théâtre des Trois Baudets en 1949. [Calvet L.-J., 1991. Georges Brassens - pp. 101-102]

Homme au sens artistique et au flair infaillible, Jacques Canetti, qui était à la fois organisateur de tournées, administrateur, éditeur (créateur de Tutti Intersong éditions musicales) et directeur artistique (chez Polydor puis chez Philips), se considérait avant tout comme "accoucheur de talents". Il mit en place à travers son établissement une sorte de laboratoire d’art et essai permettant aux artistes de se rôder, de mûrir, de se frotter au public, avant de les faire enregistrer. Ainsi s'épanouirent nombre d'auteurs-compositeurs-interprètes (ACI) tels que Guy Béart, Jacques Brel, Serge Gainsbourg, Francis Lemarque, Félix Leclerc, Mouloudji, Patachou, Anne Sylvestre, Boris Vian... mais également une nouvelles génération d'humoristes comme Francis Blanche, Darry Cowl, Pierre Dac, Raymond Devos, Christian Duvaleix, Bernard Haller, Fernand Raynaud et Jean Yanne. Chaque soirée les voyait se succéder aux Trois Baudets par le biais d'une programmation originale : une première partie avec cinq ou six artistes inconnus, et une seconde partie proposant une courte pièce de théâtre avec des textes de Boris Vian, Pierre Daninos ou
François Billetdoux...

Le 08/03/1952, Georges Brassens fit ses débuts officiels (avec présentation à la presse) chez Patachou. Alors tête d'affiche aux Trois Baudets à l'époque, celle-ci ne manqua pas d'en informer divers professionnels dont Ray Ventura et Jacques Canetti, lequel passa un soir au cabaret de la rue du Mont-Cenis en compagnie de son épouse. Tous deux prirent place parmi le public et, sans le savoir, le poète sétois passa son audition.

Jacques Canetti: "Lorsque Patachou me le présenta, elle ne dit rien, curieuse de mes réactions. C'était au début de 1952. Comme toujours, Lucienne était là. Ce fameux soir, notre réaction fut identique: nous venions de rencontrer une personnalité hors du commun. Des textes poétiques de toute beauté, des musiques simples, comme évidentes, bien que très riches mélodiquement. La voix était tonique, rythmée. Je brûlais d'impatience de le présenter à mon public. Enfin quelqu'un dont l'humour était à la fois tendre et féroce, qui parvenait à se montrer totalement original tout en étant l'héritier d'une tradition française de "poètes-chansonniers" contestataires de l'ordre établi, ceci avec une présence indiscutable." [Canetti J., 1978. On cherche jeune homme aimant la musique - pp. 163-164]

Plus encore que le talent au niveau de l'écriture, c'est le son, la musique, les mélodies et la voix grave, chaude, humble et proche de l'auditeur, qui séduisit Jacques Canetti lorsqu'il découvrit Brassens. Aussi lui fit-il signer un contrat avec Philips à la mi-mars 1952, qui déboucha sur l'enregistrement de ses premiers 78T. Mais les textes - surtout Le gorille - firent grincer des dents en haut lieu. Grâce à une astuce, Canetti réussit à contourner les critiques: un premier 78T, à savoir La mauvaise réputation/Le gorille, ayant initialement fait l'objet d'un tirage limité sous la référence Philips N 72.083 H et qui fut mal accueilli par certains disquaires puis retiré du commerce (comme en témoigne une lettre de Brassens datée du 21/09/1952 et à l'attention d'un journaliste du magazine de presse de radio et télévision Mon Programme, publiée par Claude Richard dans le N°114 de la revue Les Amis de Georges), connut peu après un autre couplage: Le gorille/Le mauvais sujet repenti. Ce second tirage, sous la même référence que le précédent, fut également restreint car - selon ses dires - Canetti, qui tint bon face à sa hiérarchie, programma le véritable lancement de ce disque dans l'hexagone sur le label Polydor (acquis par Philips en 1951), après un test sur le marché suisse. Couplage identique, mais nouvelle référence: Polydor 560.398. L'histoire de la commercialisation de ces disques n'a pas encore révélé tous ces secrets. Ce que l'on sait de façon certaine, c'est qu'elle démarra au mois de juin 1952. Suivirent La mauvaise réputation/Le petit cheval (Polydor 560.399) et Le fossoyeur/Le parapluie (Polydor 560.436). Ce dernier obtint le Grand prix du disque 1954 - Académie Charles Cros.

Côté scène, Brassens fut invité à chanter aux Trois Baudets, tout d'abord quelques semaines hors programme (son nom ne figurait pas sur les affiches) afin de mieux assurer son tour de chant tout en permettant au maître des lieux de tester son impact sur le public. Ces débuts furent plutôt encourageants, bien que certains s'offusquèrent en voyant cette masse sombre et gauche qui entrait sans sourire et, un pied posé sur un tabouret, chantait avec un certain mal être. À ce propos, Georges avait, dès le premier soir, avoué à Jacques Canetti que la scène était pour lui une épreuve difficile, qu'il ne s'y sentait pas à sa place, mais qu'il s'y soustrairait, pour pouvoir gagner sa vie. Il bénéficia ensuite d'une programmation sur plusieurs séries des "Festival du Disque", tournées souvent très importantes que Jacques Canetti organise au rythme de 300 à 400 représentations par an, avec simultanément des spectacles différents. Brassens, qui passa en première partie des Frères Jacques et de Patachou du 28/07 au 30/08/1952 (en tout, 33 spectacles, avec seulement deux jours de relâche à Saint-Tropez), impressionna son découvreur par l'engouement qu'il suscita très rapidement.

Jacques Canetti: "Je suis allé voir le début de la tournée. J'étais stupéfait parce que c'était Brassens qui avait le plus gros succès de la soirée, dès la première apparition. Ça s'est confirmé dans les autres villes, sauf dans le Midi, plus difficile, je ne sais pourquoi. Mais Georges était tellement chaleureux qu'il mettait tout le monde dans sa poche." [Vassal J., 2011. Brassens, homme libre - p. 143]

À l'époque de ses premières scènes - tant chez Patachou qu'aux Trois Baudets, Brassens prit conscience de la nécessaire solidarité entre artistes débutants, confirmés et consacrés, au point qu'une fois véritablement lancé, il fit perdurer cette tradition de donner ainsi leur chance à de nouveaux talents en lever de rideau. Ainsi en fut-il pour Michèle Arnaud, Jean Bertola, Philippe Chatel, Pia Colombo, Brigitte Fontaine, René-Louis Lafforgue, Boby Lapointe, Maxime Le Forestier, Paul Louka, Pierre Louki, Roger Riffard, Catherine Sauvage, Christine Sèvres, Yves Simon, Henri Tachan, Jacques Yvart...

Jacques Canetti: "À l'époque, il n'y avait pas la conception "vedette". La tête d'affiche, raisonnablement annoncée, ne faisait pas toute la deuxième partie, mais la seconde partie de celle-ci. Tous les artistes qui ont démarré [aux Trois Baudets] le savaient. Il y avait une sorte de camaraderie entre tout le monde et pas le côté écrasant de la vedette. Aujourd'hui, la vedette est pratiquement seule, parce que ce n'est plus possible économiquement. Petit à petit, le public s'est habitué à cette espèce de "prise de pouvoir". Dans cet ordre d'idées, je dois dire que Georges Brassens a été absolument exemplaire dans son comportement aux Trois Baudets. Il a commencé comme tout le monde, tout à fait au bas de l'échelle. Il a démarré seul, tout à fait au début du spectacle (...) Et pour la série suivante aux Trois Baudets, il passait en numéro deux dans l'ordre de la soirée. Quand un artiste confirmait, il montait d'un cran, selon les possibilités d'enchaînement et les réactions du public. Et Brassens a été formidable durant tout cette période (...)" [Vassal J., 2011. Brassens, homme libre - pp. 426-427]

https://www.youtube.com/watch?v=qvL25oekgUo
Lors de la première du spectacle Montmartre 81.98 (ce "drôle de numéro" - dixit l'affiche - est en réalité celui des Trois Baudets [Calvet L.-J., 1991. Georges Brassens - p. 111]) le 19/09/1952, Henri Salvador était en vedette avec à ses côtés, Mouloudji, Pierre-Jean Vaillard, Georges Brassens, Claudine Souris et Darry Cowl, Jean Valton, Buguette et Lucie Dolène. Entré en scène en troisième position, l'auteur de La mauvaise réputation eut un accueil mitigé. Le public fut mal à l'aise, non seulement face à ses textes, mais aussi la maladresse de sa tenue, accentuée par le trac. La presse, en revanche, marqua son enthousiasme, à commencer par Henry Magnan dans Le Monde du 02/10/1952, avec un article titré Aux Trois-Baudets: Georges Brassens, troubadour gaillard. Paris Match ne fut pas en reste avec un entrefilet publié le 11/10: Un jeune compositeur.

La jeune carrière de Brassens venait de prendre un tournant capital, sentiment qui ressort des deux lettres qu'il envoya à son ami Henry Delpont les 11 et 19/09/1952. [Calvet L.-J., 1991. Georges Brassens - pp. 109-110] En novembre 1952, deux nouveaux 78T arrivèrent dans les bacs: Hécatombe/Corne d'auroch (Polydor 560.432) et Le gorille/La chasse aux papillons (Polydor 560.460). Parallèlement, Jacques Canetti tenta de proposer certaines chansons du sétois à des interprètes tels que Maurice Chevalier et les Frères Jacques (La file indienne), ou encore Yves Montand (La mauvaise réputation, Le parapluie). Mais finalement, tous se rétractèrent, finissant par convaincre Georges d'être aussi son propre interprète. Seule Patachou porta quelques titres avec succès. Trois 78T furent édités: La prière/Le bricoleur (Philips N 72.122 H), J'ai rendez-vous avec vous/La chasse aux papillons (Philips N 72.156 H) et Les amoureux des bancs publics/Brave Margot (Philips N 72.101 H).

Du 19/12/52 au 19/02/53, nouvelle affiche aux Trois Baudets: Suite en noir et blanc avec, dans l'ordre, Juliette Gréco, Pierre Dudan et Christian Duvaleix, Georges Brassens, Darry Cowl, Claudine Souris, Jack Ary et Anne Rey, Magicton et Pierre-Jean Vaillard. Entre temps, un contrat d'engagement sur trois ans fut signé entre Jacques Canetti et Georges Brassens, avec le 13/01/1953 pour date d'effet. Puis, du 20/02 au 10/07/1953, Ne tirez pas sur le pianiste arriva au programme. Catherine Sauvage (qui fit ses débuts officiels), Georges Brassens (en numéro deux, cette fois), Darry Cowl, Aglaé (filleule de Félix Leclerc), Pierre-Jean Vaillard et Les quatre barbus sont à l'affiche. 
 
Jacques Canetti : "Georges créait une merveilleuse ambiance en coulisses. Il arrivait toujours le premier, prenait la température de la salle, parlait aux uns, détendait tout le monde, se défoulait sans doute lui-même et donnait aux autres l’impression qu’il était détendu."
 
Si dans son article Brassens: un gorille, publié le 03/04/1953 dans Arts et Spectacles, André Camp se montra désappointé par la tenue en scène de celui que pourtant, il apprécie, René Fallet fit une revue très enthousiaste des trois quarts des chansons brasséniennes (les plus vaches) qui sont interdites à la radio. Son article Allez, Georges Brassens ! (Le Canard Enchaîné, 29/04/1953) lui ouvrit peu après la porte de la loge de Georges. Le sétois moustachu fut également programmé pour la rentrée de Marcel Mouloudji qui s'étala du 18/09 au 19/10/1953. A l'affiche avec lui: Pierre-Jean Vaillard, Aglaé, Philippe Clay (pour la première fois), Darry Cowl et Christian Duvaleix. Cette rentrée marqua également les débuts officiels de Jacques Brel.

Le dernier spectacle des Trois Baudets à voir la participation de l'auteur de La mauvaise réputation fut Nouvelles têtes et Faux nez (du 21/10/1953 au 26/01/1954 [Comte R., 1999. Mon équipée avec Georges Brassens - p. 114]), dans lequel il passa en vedette, suivi de Philippe Clay (remplacé ensuite par Catherine Sauvage), Christian Méry, Roger Comte, Les Quat' jeudis et la compagnie des Faux Nez de Lausanne (Armand Abplanalp, Arthur Jobin, Antoinette Auberson, Bruno Medlinger et Béatrice Moulin). Arts et Spectacles se fit l'écho de l'évènement, avec un article daté du 19/11/1953: Trois Baudets: Brassens. Quelques huit jours auparavant, le 11/11/1953 exactement, le quotidien Combat louait les talents de découvreur de Jacques Canetti:

"J. Canetti n’est pas seulement un impresario d’envergure, c’est aussi un directeur de théâtre audacieux. Il est un des rares, en ce pays sclérosé, à prendre carrément des risques.  C’est ainsi qu’il a révélé au grand public, qu’on les aime ou qu’on ne les aime pas, Juliette Gréco, Mouloudji, Georges Brassens etc... " 


En outre, dans la rubrique "Variétés" du Dauphiné Libéré du 12/11/1953, le spectacle est passé en revue par Jean Fangeat, correspondant parisien et ami de Roger Comte. Son article titre: Faux-nez, nouvelles têtes - Roger Comte et Brassens aux Trois Baudets. [Comte R., 1999. Mon équipée avec Georges Brassens - pp. 100-101] Malgré la montée progressive du poète sétois, le directeur des Trois Baudets ressentit toujours le manque d'assurance ainsi que le fort trac qu'avait ce dernier lors de ses prestations scéniques. Aussi resta-t-il alors en coulisses tout près du rideau, du moins au début. Cet encouragement, ce soutien nécessaire, fut ensuite assuré par la présence de quelques amis souvent bruyants que Canetti dut se résoudre à accepter à condition qu'ils fassent silence. L'exiguïté des locaux induisait en effet une ambiance assez houleuse d'un côté de la scène comme de l'autre.

Pierre Onténiente: "On foutait une de ces m... dans les coulisses des Trois Baudets ! Il y avait un russe chargé de l'ordre, là-dedans, et qui se plaignait tout le temps auprès du patron qu'on faisait trop de chahut !" [Vassal J., 2006. Brassens, le regard de "Gibraltar" - p. 105]

Jacques Canetti: "(...) je me rendais bien compte de l'effort presque surhumain qu'il fournissait en continuant de chanter. Ces temps difficiles ont créé en nous un lien de confiance impérissable. Je n'ai jamais douté de sa carrière et ma certitude l'a beaucoup aidé, peut-être." [Canetti J., 1978. On cherche jeune homme aimant la musique - p. 165]

Georges Brassens: "Si, à mes débuts, quand le public venait se plaindre de moi, quand les journalistes écrivaient – pas tous – des mauvais articles (il y a avait quand même aussi des articles dithyrambiques), s’il m’avait abandonné, s’il m’avait dit ! "Non, ça ne marche pas pour vous, vous partez", peut-être ne serais-je pas là en ce moment. Un artiste à ses débuts, quand il se lance dans l’aventure de la chanson, a besoin d’être soutenu. Canetti a toujours soutenu ses artistes contre vents et marées. C’est très important de savoir que le directeur de la boîte ne va pas vous virer si vous prenez un bide. Vous savez, c’est très difficile d’être tout seul en scène avec ses chansons nouvelles." [Canetti et Brassens, entretien avec Nicole Brisse – Journal télévisé de 13H (TF1, 04/08/1978) in Canetti F., Mortaigne V., 2022.  Brassens l'appelait Socrate – Jacques Canetti, révélateur de talents - pp. 152-153]
 
Un lien de confiance se créa effectivement entre l'artiste et son découvreur, d'autant plus que celui-ci jouait plus ou moins un rôle de géniteur, soutenant ses poulains envers et contre tout (les modes ne l’influençaient pas), leur donnant le temps de se façonner, de grandir progressivement. Il ne s’immisçait pas dans leurs créations de quelque manière que ce soit, mais leur posait souvent nombre de questions dans le but de les faire travailler puis évoluer jusqu'à devenir de grands interprètes. Cette méthode de discussion, de questionnement, fut à l'origine du surnom que Georges donna à Canetti: "Socrate".

On attribue au philosophe grec une technique dont l’invention remonte au IVe siècle avant notre ère et que l’on pourrait définir par l'interrogation sur les connaissances: il s’agit de la maïeutique, qui apparaît pour la première fois dans le Théétète de Platon (célèbre disciple de Socrate), dialogue sur la science et sa définition. Concrètement, Socrate posait des questions faussement naïves, écoutait et s'arrangeait pour que l'interlocuteur perçoive ses manques de précision et ses contradictions dans ses raisonnements. Les personnes se rendaient ainsi compte que, alors qu'elles croyaient savoir, elles ne savaient pas: c’est la pratique de la réfutation (elenchos). Inversement, il amenait également ses interlocuteurs à se rendre compte qu'ils possédaient des connaissances en les guidant à travers leur réflexion. Là est le but de la maïeutique. L’étymologie de ce mot renvoie à l'enfantement autant qu’à une référence à la déesse grecque Maïa, aînée des Pléiades (filles du titan Atlas et de l'Océanide Pléioné), mère d’Hermès. Son nom signifie littéralement "petite mère", hypocoristique donné traditionnellement à la grand-mère, la nourrice ou la sage-femme
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Jacques Canetti: "Peut-être son regard perçant a-t-il conclu que j'avais un cou de taureau, que j'aurais été digne de monter les gardes les plus zélées, raide comme un marabout, le pied gauche sur le genou droit, de me faire attribuer des disciplines inconditionnels comme Aristophane, et de finir en beauté en faisant cul sec avec un bol de ciguë. Qui sait ?" [Canetti J., 1978. On cherche jeune homme aimant la musique - pp. 166-167]

Dans Brassens l'appelait Socrate – Jacques Canetti, révélateur de talents (2022), Françoise Canetti nous fait part d’une réflexion avec son amie la philosophe Gabrielle Halpern, spécialiste de l’hybridation, qui lui a permis d’approfondir et ainsi, de mieux comprendre encore la relation qu’entretenait son père avec ses artistes.

Gabrielle Halpern: "Socrate utilisait des stratagèmes parfois humiliants ou condescendants pour amener son interlocuteur dans des impasses. Il est le sachant, qui connaît déjà la vérité, et va amener l’autre vers la lumière, parfois dans la douleur. C’est une relation asymétrique." [Canetti F., Mortaigne V., 2022.  Brassens l'appelait Socrate – Jacques Canetti, révélateur de talents - p. 162]

Tout semble indiquer que Brassens perçut sa relation avec Jacques Canetti comme asymétrique, le propre de l’interrogation socratique. À travers ses questions, Brassens se ressentit comme "orienté", "conduit" dans la direction choisie pour lui par son directeur artistique.

Fait intéressant à noter, Elias Canetti (Prix Nobel de littérature en 1981), frère aîné de Jacques et dont les travaux de recherche inspirent beaucoup Gabrielle Halpern, s'était également vu attribuer le sobriquet de "Socrate" par ses camarades de l'école cantonale de la Rämistrasse à Zurich, vers 1917-1918. [Canetti E., 1980 (pour la traduction française). Histoire d'une jeunesse - La langue sauvée - p. 217]

Un an et demi après les débuts officiels dans l'écurie Canetti (qui marquèrent en quelque sorte les prémices de la consécration), l'emploi du temps de Brassens se chargea de plus en plus, les demandes allant croissant. Déjà, durant la seconde quinzaine d'octobre 1953, il alternait entre les Trois Baudets et Bobino où il effectuait sa toute première rentrée. Sans compter ses premières dates à l'étranger: en Belgique (Ostende le 27/08/1952 puis l'année suivante les 29 et 30/08/1953, Spa le 28/08/1952, Seraing le 29/08/1952 et Bruxelles le 19/05/1953), aux Pays-Bas (Scheveningen le 30/08/1952) et en Suisse (Lausanne le 06/08/1953). Le 26/01/1954 marqua sa dernière participation au spectacle Nouvelles têtes et Faux nez. Georges ne revint se produire sur la scène de l'établissement de la rue Coustou que le 30/01/1954, à l'occasion d'un Gala de l'École Supérieure de Commerce (ESC). Peu après, il signa un contrat avec Jean Bourbon, un tourneur que le comédien Bugette lui avait recommandé à l'époque des représentations du spectacle Montmartre 81.98. Coïncidence: Bourbon avait ses bureaux au 18, de la rue Pigalle, tout près de la chambre de bonne de Pierre Onténiente, située au 36 ! Tous deux se mirent alors à œuvrer ensemble: expédition des affiches, organisation des tournées... Durant deux ans, une sorte de rivalité autour de Brassens s’exerça entre Jean Bourbon et Jacques Canetti, lequel finit par prévaloir. Pierre Onténiente devint l'administrateur de tournées de Georges, puis son secrétaire particulier à partir du 01/01/1956.

Les salles combles se multiplièrent dans tous les grands music-halls de Paris, à travers la France ainsi qu'à l'étranger. Ainsi, le sétois moustachu se produisit aussi en Afrique du Nord, en Belgique, au Canada, en Italie, à Monaco, aux Pays-Bas et en Suisse. En parallèle, Jacques Canetti lui fit enregistrer huit 33T 25 cm, les trois premiers ayant d'abord connu un pressage Polydor: Georges Brassens chante les chansons poétiques (...et souvent gaillardes) de... Georges Brassens (Polydor 530.011 puis Philips N 76.061 R), Georges Brassens interprète ses dernières compositions (Polydor 530.024 puis Philips N 76.062 R), Georges Brassens - sa guitare et les rythmes - N°3 (Polydor 530.033 puis Philips N 76.063 R), Georges Brassens et sa guitare - N°4 (Philips N 76.064 R), Georges Brassens et sa guitare - accompagné par Pierre Nicolas - N°5 (Philips N 76.064 R), Georges Brassens et sa guitare - accompagné par Pierre Nicolas - Volume 6 (Philips B 76.451 R), Georges Brassens et sa guitare, accompagné par Pierre Nicolas - N°7 (Philips B 76.488 R) et Georges Brassens - N°8 (Philips B 76.512 R). Les séances furent marquées par très peu de prises, car Brassens n'aimait pas recommencer. Ses chansons étaient travaillées au fil de nombreuses répétitions, ce qui permettait d'aller vite à l'enregistrement. Ce d'autant plus qu'André Tavernier, responsable artistique, avait disait-on une oreille parfaite, facilitant de surcroît ce mode de fonctionnement très apprécié de Jacques Canetti, lequel privilégiait toujours la fraîcheur et l'authenticité des prises.

Jacques Canetti: "(...) Il m'avait dit, dès le début de nos relations "disques", un jour que je l'avais fait venir assister à l'enregistrement d'un autre: "Vous savez, Socrate, moi, je viens avec des chansons que je connais bien, que je chante dans le ton qui me convient. Je fais donc des disques pour vous, mais alors ne me faites pas recommencer." Imaginez ça aujourd'hui ! On faisait pratiquement une seule prise. On arrivait, à un moment donné, à faire en une seule séance les huit chansons d'un 25 centimètres... et la séance n'était même pas terminée. (...)" [Vassal J., 2011. Brassens, homme libre - p. 270]

Car "Socrate" fut un artisan du disque. Lui qui, de passage à Montréal en 1950, enregistra spontanément douze chansons de Félix Leclerc au Studio Marco - de la station radiophonique montréalaise CKVL (Canadian Kilocycle Verdun Lakeshore) - avant de regagner Paris pour préparer l'arrivée de l'auteur du Petit Bonheur aux Trois Baudets dès le début de l'année suivante. Entre temps, il fit un crochet par Saint-Cyr-sur-Morin (77), afin de soumettre sa découverte à Pierre Mac Orlan. Chroniqueur de la chanson à cette époque, ce dernier ne cacha pas son enthousiasme.

P. Mac Orlan, G. Montero et J. Canetti © Musée départemental des Pays de Seine-et-Marne

Jacques Canetti avait acquis, par l'intermédiaire de Maître Druguet [Association "Terroirs", 2016.  Flâneries en Brie - p. 192], une propriété en terre briarde en 1955, afin que lui, son épouse et ses enfants puissent venir s'y ressourcer. Il s'agit d'un manoir sis au hameau de Chavigny, sur la commune de Saint-Cyr. Appartenant à MM. Joignel et Grognot, un couple d'antiquaires du quai des Grands-Augustins (Paris 6e), la demeure jouxte un moulin en fonctionnement et qui abrite une fabrique de machines à tricoter qui bat de l'aile. [Canetti F., Mortaigne V., 2022.  Brassens l'appelait Socrate – Jacques Canetti, révélateur de talents - p. 95] Cette partie fut acquise par Canetti deux plus tard. La période de repos sera pour lui de courte durée car, très rapidement, il y invita à plusieurs reprises un petit cercle de ses artistes avec lesquels il avait tissé des liens d'amitié. Ces rencontres eurent parfois lieu à l'auberge La Moderne. Georges Brassens en fit bien entendu partie.

Françoise Canetti: "Saint-Cyr-sur-Morin est un manoir, à une heure et demie de paris, que mon père et ma mère ont acheté sur le conseil d'un ami qui leur suggérait, pour qu'il puissent se reposer un peu, de faire une coupure avec le métier. Le plus mauvais conseil qu'ils ont reçu de leur vie. Car mes parents étant ce qu'ils étaient: au bout de quinze jours, tous ces gens qu'ils côtoyaient à Paris s'y sont retrouvés pour le week-end. (...) On y parlait musique, orchestrations, tournées... Mes parents continuaient à faire leur métier, mais dans un autre cadre." [Przybylski E., 2008.  Brel, la valse à mille rêves - p. 152]

Ainsi, dans un salon illuminé en automne-hiver par une très belle cheminée et dont Françoise Canetti décrit l’aménagement avec un immense canapé rouge et profond, des fauteuils confortables, de petites tables, une pile de jeux de société, un électrophone Philips dernier cri et une télévision cachée dans un meuble-guignol que Lucienne fit réaliser pour l’anniversaire de son époux, sans oublier deux grandes bibliothèques remplies de livres, de disques et de livres-disques pour enfants, des séances d’écoute se tinrent en famille. Jacques Canetti sortait de sa sacoche les "souples" de jeunes artistes qu’il voulait écouter durant le week-end. Pour certains, il avait commencé à les produire, tandis que pour d’autres, il s’agissait de maquettes en vue de lancer de futurs projets. Lucienne et lui firent partager leurs coups de cœur à leurs enfants, les impliquèrent également dans des discussions portant sur l’élaboration de nouveaux disques, l’ordre des chansons sur un 33T 25 cm, le choix des titres à mettre en valeur… De beaux après-midi, qui plus est, culturellement riches ! [Canetti F., Mortaigne V., 2022.  Brassens l'appelait Socrate – Jacques Canetti, révélateur de talents - pp. 105-108]
 
À l‘initiative de "Socrate" lui-même, un court-métrage intitulé Rendez-vous chez Jacques Canetti à St-Cyr-sur-Morin (co-production Belgique/Jacques Canetti) fut tourné sur place en 1959 et vit le jour l'année suivante. On peut y voir Georges Brassens, Jacques Brel, Guy Béart et Jean-Pierre Chabrol (qui, avant d'être engagé aux Trois Baudets, vint à plusieurs occasions en voisin, depuis sa maison de Courcelles-la-Roue), immortalisés par le photographe Roger Picard. Les trois premiers ont été interviewés par Luc Bérimont, évoquant leurs œuvres respectives. Au sujet de Jean-Pierre Chabrol, qui fut programmé aux Trois Baudets en tant que conteur, Françoise Canetti se remémore ses passages sur scène:

Françoise Canetti: "Il était assis sur un tabouret à trois pieds, rustique. Tout se passait sur un fond noir. Il avait sa légendaire veste en velours côtelée, une belle voix... et il contait des histoires. C'était un moment formidable, rare. Il a été le seul et unique conteur des Trois Baudets."

Sur le plan musical, Guy Béart interprète Sac à malices puis Printemps sans amour, accompagné entre autres par Pierre Nicolas. Il est suivi des Baladins des Champs-Élysées (dont font partie Danielle Licari, Nadine Doukhan, Nicole Filoze (future épouse du pianiste Oswald D'Andréa) et Jacqueline dite Catherine Sarassat) qui reprennent Printemps sans amour, avant que Georges Brassens  ne chante L'orage. Ce petit film de 32 minutes est visible dans le coffret Jacques Canetti - Mes 50 ans de chansons (Productions Jacques Canetti).

 
C'est en 1957 que Philips lança sa collection de luxe Philips-Réalités, sur une idée de "Socrate". Sept de ces albums à tirages limités et numérotés concernent le sétois moustachu dont le V. 23 - Georges Brassens, qui êtes-vous ? - AA 77.470 L (dépôt légal à la Bibliothèque nationale effectué en 1960) qui nous offre une série de séquences d'un entretien avec Luc Bérimont ainsi que six titres, sans oublier le  V. 42 - Georges Brassens et ses interprètes - AA 77.477 L (1962) qui comporte une reprise de La cane de Jeanne par Lucienne Vernay (publiée à l'origine en 1955 sur le 33T 25 cm Lucienne Vernay chante pour les enfants - Philips N 76.037 R). Le dernier auteur-compositeur-interprète que Jacques Canetti enregistra chez Philips fut Claude Nougaro, avec le 33T 25 cm Le cinéma (Philips B 76.559 R), à l'origine sans titre et publié en avril 1962. Cette époque connut un changement dans la gestion de la carrière phonographique des artistes, débutants ou confirmés. D'autant plus que le succès croissant de la télévision alla en fragilisant les cabarets. À l'été 1961, le jeune Johnny Hallyday, transfuge des Disques Vogue (dont les directeurs artistiques ne croyaient pas vraiment que le potentiel de sa musique puisse dépasser une saison de petits succès), débarqua chez Philips. Sa hiérarchie expliqua alors à Jacques Canetti que de gros efforts commerciaux allaient être consentis pour développer la carrière du nouveau venu. Ce fut la pleine "période yéyé" et l’industrie du disque se mit progressivement en place, avec ces 45T et ces tubes régissant le marché. Le fondateur du plus prestigieux catalogue de chansons françaises se trouva alors en désaccord profond avec un système aussi "productif" relevant davantage du marketing que que de la démarche artistique. Contre toute attente, il démissionna de son poste chez Philips afin d'aller exercer ses talents pour son propre compte et créa, en septembre 1962, le tout premier label indépendant: les Productions Jacques Canetti. Cependant, une clause de tacite reconduction de son contrat le liant pour encore trente mois à Philips, il dut, pour s'en libérer, composer sans les artistes qu'il avait signés durant toute cette époque. Contraint de redémarrer avec de nouveaux talents qui n'avaient pas encore percé et sans les moyens auxquels il avait accès auparavant, Canetti reçut alors le soutien moral de l'auteur des Copains d'abord.

Georges Brassens: "Ce que vous avez fait, c'est une œuvre de création." [Berruer P., 1981. La marguerite et le chrysanthème - p. 157]

En novembre 1967, à l’occasion du vingtième anniversaire du Théâtre des Trois Baudets (le mythique établissement ferma ses portes peu de temps après), Jacques Canetti organisa un déjeuner dans un restaurant de Crespières, non loin du "Moulin de la Bonde". Parmi ses artistes, qu’il adore retrouver, figurent Georges Brassens, Jacques Brel, Raymond Devos, Yves Robert et Rosy Varte. Jean-Claude Deutsch, photographe à Paris Match, réalisa un reportage qui, finalement, ne fut jamais publié. Dans Brassens l'appelait Socrate – Jacques Canetti, révélateur de talents (2022), Françoise Canetti évoque l’un de ses clichés qui témoigne de la fidélité sans faille de Georges.

Françoise Canetti: "Il aime retrouver sa "bande des Baudets", ceux avec lesquels il a débuté, ceux qui ont connu des galères, ceux qu’il a conseillés et soutenus. Il est sans conteste celui qui a le plus aidé les autres artistes."
 
Le 18/12/1967, une réception eut lieu qui réunit quelques-uns des artistes que "Socrate" contribua à découvrir. Sur une célèbre photo, prise elle aussi par Jean-Claude Deutsch, qui couvrit l'évènement, on retrouve le maître des lieux, au centre, assis à une table blanche, entouré de Michel de Ré, Pierre Arnaud, Raymond Devos, Jean-Pierre Chabrol, Jacques Brel, Georges Brassens, Catherine Sauvage, Maurice Biraud et le décorateur Jean-Denis Malclès (premier rang). Puis Pierre Etaix, Magicton, Christian Méry, Henri Leca, Rose Mania, Leny Escudero, Christian Duvaleix, Rosy Varte, Philippe Clay, Lucienne Vernay, Robert Rollis, Colette Mille, François Chevais, Pierre Doris (second rang). Enfin, Maddy Dalphin, Hubert Deschamps, Georges Pasquier dit Jojo, André Pradel, Paco Ibañez, Pia Colombo, Guy Pierrault, André Tavernier et Colette Chevrot (troisième rang). 

Par la suite, Georges Brassens et Jacques Canetti continuèrent à se croiser régulièrement, aussi bien par le biais des médias (à l'exemple de l'émission Bienvenue à Georges Brassens, enregistrée le 03/11/1970 et diffusée les 29/03 et 08/05/1972 sur la première chaîne de l'ORTF) que de manière plus intimiste. Les liens d'amitiés entre les deux hommes étaient très forts. Brassens avait une vraie tendresse pour Canetti, portée par un vif sentiment de reconnaissance, ainsi qu'une très grande fidélité qui se manifestait souvent avec ce dernier dont il avait probablement percé la vraie nature d'homme discret et secret, comme l'explique Françoise Canetti qui se souvient de fréquentes rencontres qui eurent lieu avec Georges et Püpchen au domicile de ses parents. Sa mère, Lucienne, tenait une place importante dans la relation entre les deux hommes du quatrième art. Chez le sétois, rue Santos-Dumont, les époux Canetti furent communément reçus. Mario Poletti en témoigne dans son ouvrage Brassens me disait... (2011), grâce à une photo les montrant en compagnie de Roger Abat, Marcel Jullian, Christian Marin, Pierre Onténiente et André Tillieu. Jacques Canetti évoque lui aussi ces rencontres dans son ouvrage On cherche jeune homme aimant la musique (1978).

Au sujet de la fidélité de Georges, un fait notable et rarissime doit être souligné: durant toute sa carrière, il ne changea jamais de maison de disques, malgré de nombreuses offres mirobolantes qui lui furent faites.

Georges Brassens: "J'aurai au moins eu cette consolation de n'avoir pas été vendu comme un joueur de football." [Tillieu A. - Brassens auprès de son Arbre - p. 97]
 
Sa dernière collaboration artistique avec Jacques Canetti eut lieu le 20/03/1977, lors de son ultime tour de chant à Bobino. "Socrate" s'amusa à diriger lui-même Les copains d'abord avec, dans les chœurs: Marcel Amont, Pierre Dudan, René Fallet, Joel Favreau, Paul Louka, Pierre Louki, Fred Mella, Mireille, Moustache, Pierre Onténiente, Mario Poletti, André Tillieu, André Vers et Marcel Zanini. Un 45T monoface (Philips Série Parade 6837.404) en fut tiré, pour être offert aux copains présents ce soir-là. Le 16/11/1977, une émission spéciale Les Enfants de Canetti animée par Jacques Martin, vit le célèbre découvreur de talents devant les caméras d'Antenne 2 avec Georges Brassens et Raymond Devos, ainsi que les artistes qui démarré aux Productions Jacques Canetti. Une série de photos fut prise à cette occasion par Philippe Schroeder. [Sermonte J.-P. - Brassens au bois de son cœur - p. 154] Une autre émission télévisée dans laquelle "Socrate" et Georges se retrouvèrent, c'est Top Club - Spécial Brassens (Antenne 2), de Guy Lux, diffusée du 09 au 15/04/1979.

Après la disparition de celui qui fut en quelque sorte le patriarche de la chanson française, Jacques Canetti lui rendit hommage avec une locution devenue célèbre et qui nous replonge à l'époque où il fit sa grande découverte...

"Parmi les quelques rares "grands" de la chanson, Georges Brassens est pour moi le seul à allier le génie du verbe et de la mélodie à l'humanité du cœur." Paris, le 25/10/1984

- Je tiens à témoigner toute ma reconnaissance à Françoise Canetti pour son aimable collaboration à la rédaction de cet article. Avec son frère, Bernard, elle a repris le flambeau et, à la tête des Productions Jacques Canetti, continue à en valoriser le catalogue. L'exposition itinérante Jacques Canetti, 50 ans de chanson française, qu'elle a imaginé, retrace les débuts des "Grands de la chanson" à travers le parcours de son père (lire à ce sujet l'interview réalisée par Florence Groshens - BnF Croniques). Tous mes remerciements vont également à Pierre Schuller (Auprès de son Arbre), à Noëlle Rain et ses collaborateurs(-trices) du Musée départemental des Pays de Seine-et-Marne, ainsi qu'aux membres de l'association "Terroirs", pour leur soutien et leurs recherches. -

1 commentaire:

  1. C'est Pierre Schuller qui m'a fait connaître ton blogue tout à fait remarquable et bien documenté. Bravo! Je n'ai vu Brassens qu'une seule fois lors de ses concerts au TNP de Paris. Par contre, je l'ai enseigné à la fac dans des cours sur la chanson dans les années 70 et le passe souvent à la radio dans une émission que je co-produis et co-présente sur la chanson de l'espace francophone, "French Toast", dispo à tout moment sur wmbr.org (la radio du MIT). Jacques Yvart, que tu mentionnes, a été mon tout premier ami chanteur français. Je l'ai connu au Port du Salut en octobre 1971. Il connaissait toutes les chansons de Brassens par cœur et lui servait de souffleur à Bobino. Brassens lui a fait l'honneur, rarissime, d'enregistrer une de ses chansons, "Jehan l'advenu." J'ai fait venir Jacques aux States où il a fait quelque 25 tournées! Il a pris sa retraite sur la côte portugaise.

    Bonne continuation! Si tu veux bien m'envoyer un courriel (brian.thompson@umb.edu), je t'enverrai des textes de mon cru...

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