A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

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"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

mercredi 21 juillet 2021

Le jour de gloire où je l'ai dévêtue...

J’ai connu, excité à la débauche, certaine grande dame.
C’était ce qu’on appelle une grande dame de gauche.
En jouissant, elle criait: "Paix au Viet Nam !" (…)
Nous avons pris pour une affaire capitale
Une petite fantaisie sentimentale.


C’est en consultant un feuillet glissé dans le journal de Georges Brassens – et plus particulièrement dans le Cahier 1963-1981, entre les pages datées de février 1964 [Brassens G. - Journal et autres carnets inédits - p. 76]  – que l’on retrouve ce court texte. Plus de trois ans après, le sétois moustachu écrit un second texte daté de Noël 1967 / Jour de l’An 1968 [Brassens G. - Journal et autres carnets inédits - p. 117]:

Mauviet’.
Paix au Viet
Nam, dame.
En jouissant, elle criait : "Paix au Viet Nam !"
Notez qu’elle n’a jamais dit : "Paix en Indochine !"
Ni "en Corée".
Et tant qu’on ne dira pas "Merde !" à tout le monde…
(…)


Nous sommes au début de la période durant laquelle les États-Unis interviennent massivement au Viêt Nam, suite à la résolution du golfe du Tonkin  en date du 07/08/1964. Le sujet de ce conflit tient visiblement à cœur à Georges, ce qu’il exprime via un troisième texte dans les pages de son journal en Février 1969 [Brassens G. - Journal et autres carnets inédits - p. 145]:

Celles qui crient, quand on les baise,
"Paix au Viet Nam !"
Me mettent un peu mal à l’aise.
Et je les blâme.


Le 10/02/1970, il donne une interview au magazine trimestriel anarchiste Ego de Pierre Jouventin, qui la publiera le 18/02 dans son N°8. [Lonjon B., 2021. - Brassens l’enchanteur - p. 385] Il est opportun de s’arrêter sur une question qui lui est souvent posée – et tout particulièrement durant la période qui nous intéresse – ainsi que la réponse qu’elle génère:

Pourquoi ne chantes-tu pas de chanson engagée, sur le Viêt Nam, par exemple ?

Georges Brassens: "Ce n’est pas nécessaire, j’ai dit ce que j’avais à dire sur la guerre en général dans « La mauvaise herbe » ; je ne m’attache pas aux détails… Et puis, je ne cherche pas à être d’actualité, je suis un peu fainéant, j’ai du mal à m’y mettre, souvent j’ai une idée de chanson et je ne la fais pas ; si je faisais 20, 30 chansons par an, on me connaîtrait mieux sans doute."

L’argumentation ne porte pas sur l’engagement de notre auteur-compositeur dans ses textes, mais sur sa motivation à traiter la thématique du conflit dans la péninsule indochinoise. À Éric Battista, qui lui avait fait remarquer à propos de La tondue et des Deux oncles, que c’était la seule fois qu’il avait doublonné un thème dans un même disque à savoir Georges Brassens N°10 (Philips B 77.894 L), il avait répondu: "J’ai déjà fait 14-18, je vais pas remettre ça sur le Viet Nam."

Éric Battista, dans un entretien avec Jacques Vassal à Sète le 02/11/1990: "Je lui avais même conseillé d’en faire beaucoup comme ça, parce qu’il savait bien les faire." [Vassal J., 2011. - Brassens, homme libre - p. 329]

Notons qu’à ces deux moments, Brassens omet – volontairement ? – de préciser qu’il projette probablement l’écriture d’une chanson qui ne sera autre que La pacifiste. Ainsi, il couche une ébauche de texte, avec sa construction, dans son journal le lundi 27 décembre 1971 [Brassens G. - Journal et autres carnets inédits - p. 164]:

Quand je la baise et qu’elle se pâme,
Au lieu d’invoquer sa maman,
Elle s’écrie : "Paix au Viet Nam !"
Et je débande, évidemment.
Certes, ça part d’un très bon sentiment…

1ère strophe:
La chair est triste avec la militante.
(Je suis amoureux d’une militante)
2ème strophe:
La fesse constellée de graffitis…
Par pitié, que tous les grands de ce monde
Mettent un terme à ce massacre inutile !
Qu’ils pacifient cette pauvre presqu’île !
3ème strophe:
[…] Sur le dos…

La première fois que je l’ai vue nue
(Le premier jour où je l’ai mise nue),
La belle avait – quelle déconvenue ! –
La fesse embellie de graffitis.
Ces dames m’en avaient fait voir de dure.
Je me croyais rangé des aventures. (…)
Je n’avais jamais fait de politique
Et voici qu’à présent, sur le retour,
J’aime une militante fanatique.
Cupidon m’a joué ce mauvais tour ! (…)
Que les grands de ce monde
Mettent un terme à cette guerre immonde !


Le texte finalisé sera composé de quatre sizains, le décasyllabe étant le mètre utilisé. Un refrain vient s’ajouter, lui aussi comportant six vers mais de quatre pieds seulement. Cette construction alterne avec des rimes tripartites permet de rythmer l’ensemble de manière à mettre en valeur la locution finale du refrain.

Quand je contemple
Ma militante,
Qu’elle se pâme
Dans son délire,
Elle soupire
"Paix au Viet Nam".


Dans le second tome des Manuscrits de Brassens (2002), un brouillon de La pacifiste nous dévoile une variante sur le premier vers du refrain, montrant qu’à l’origine, Brassens comptait y exprimer de manière plus explicite et coquine les plaisirs de la chair qu’il partage avec son amante fictive, fervente militante antimilitariste:

Quand je contente
 
a laissé la place à

Quand je contemple

Car c’est le slogan "Faites l’amour, pas la guerre !" qui apparaît ici en filigrane. Ce même slogan exprimé aussi par John Lennon dans sa chanson Mind Games (Make Love, Not War), parue sur 45T simple le 16/11/1973 au Royaume-Uni.



Le travail d’élaboration du texte nous est également en partie révélé par quelques évolutions que l’on retrouve dans les couplets. Tel le troisième vers du second couplet Je retombai du ciel anéanti qui devient, après correction, Je retombai sur terre anéanti. En outre, le brouillon publié dans le second tome des Manuscrits de Brassens (2002) montre que Brassens a hésité sur le second vers du troisième couplet: Certaines dévotions particulières (mot mis entre parenthèses dans un premier temps) est devenu Certaines dévotions qu’elle préfère. [Georges Brassens in Liégeois J.-P., 2007. Georges Brassens - Œuvres complètes, Le Cherche-Midi, coll. Voix publiques, p. 593]

Reste le  quatrième et dernier sizain qui dit l’essentiel. On remarquera, pour le choix puis la mise en place exacte des rimes embrassées, un changement de l'adjectif terminant le troisième vers (indécent devient éhonté) ainsi qu'une modification complète du dernier, lequel était à l’origine Et je leur en serai reconnaissant :

Fasse le ciel que les grands de ce monde
Mettent un terme à cette guerre immonde,
À ce massacre inutile éhonté,
Qu’ils pacifient cette pauvre presqu’île,
Qu’on puisse enfin faire l’amour tranquille
Sans complexe de culpabilité.


Le texte de La pacifiste n’est pas daté, mais fut probablement achevé durant la période la plus dure de la guerre du Viêt Nam et des manifestations contre les bombardements américains sur le nord de la péninsule. On ignore de quelle manière précise Brassens avait prévu de la mettre en musique. Son travail de création s’est arrêté là, l’intention d’enregistrer la chanson n’y étant finalement plus, sans doute pour les raisons abordées plus haut.



En 2004, Jacques Muñoz composera une musique pour La pacifiste et l’enregistrera avec son cousin Joël Segura, qui fut bassiste de Nino Ferrer. Le résultat intègrera un album très intéressant, produit avec le concours de l'association Auprès de son Arbre. Sur la séquence vidéo ci-dessous, regardons-le chanter cette inédite le 22/05/2005 à Saint-Thibéry (34), accompagné par Bruno Granier, Claude Duguet et Raymond Scanappieco !

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