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"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

samedi 8 mars 2025

Georges Brassens à l'Olympia - 1955-1957

Le 01/01/1955, Charles Michelson et Louis Merlin lancent Europe No1, qui émet depuis la Sarre (Saarland), près de Sarrelouis (Saarlouis), sur le plateau du Felsberg, en Allemagne. La première émission, expérimentale, est diffusée à 6H30 (dans C'était formidable ! Tome II: mémoires 1940-1957 (1966), Louis Merlin indique 7H) et débute avec un "Bonjour l'Europe !" dit par Micheline Francey. On peut y écouter une chanson de Gilbert Bécaud. Mais une interruption intervient trente minutes plus tard car la toute nouvelle radio perturbe d'autres émetteurs, notamment le radiophare de l'aéroport de Genève. Durant les jours suivants, Europe No1 change plusieurs fois de fréquence, brouillant l'émission d'autres stations européennes qui protestent. Ces difficultés font connaître la station auprès du grand public via la presse écrite qui y consacre de nombreux articles.

Bien décidés à se démarquer des radios concurrentes, ses dirigeants vont permettre à Europe No1 d’imposer un ton nouveau, plus jeune, plus ouvert, et surtout moins inféodé aux pouvoirs publics. C’est ainsi que parmi les chansons de Georges Brassens, celles qui se heurtent à la censure de la part des radios d’État et de Radio Luxembourg, à l’exemple du Gorille, vont enfin pouvoir se faire une place sur les ondes. Dès lors, le sétois moustachu aura une sympathie toute particulière pour Europe No1 et lui restera très intimement lié, n’hésitant pas à y tester ses nouvelles chansons avant leur commercialisation sur disque. Le succès qu’il a déjà bien commencé à acquérir sur les scènes de France (Bobino et l’Olympia en tête) s’en trouvera renforcé.

Mais pour l’heure, il n’est pas encore programmé. Nous sommes le 04/01/1955 et Bruno Coquatrix l’invite à déjeuner pour préparer sa venue à l’Olympia en octobre. Du 06 au 27/10/1955 très précisément. L’affiche du futur spectacle commence dès lors à être pensée. Un profond respect s’est installé entre les deux hommes qui teintent d’amitié leurs relations professionnelles. Ceci ressort de la correspondance qu’ils vont entretenir entre 1955 et 1957.

Georges Brassens est admis à la Sacem en qualité d’auteur à titre de sociétaire adjoint le 16/03/1955. Un peu plus de deux semaines après, le 03/04/1955, Europe No1 assure sa stabilité en reprenant l'ancienne fréquence de Radio Paris. Les premiers animateurs de la station sont Maurice Biraud, Roméo Carles, Roger Duquesne, Maurice Gardett, Éric Lipmann, Jean-François Mansart, Robert Marcy et Guy Vial. C’est le 11/05/1955 qu’a lieu la première de Patachou à l’Olympia avec, sur la même affiche, Les Garçons de la rue, Les Charlivels, Pierre Dac, Les Mathurins, Les Akeff, René-Louis Lafforgue et Le trio Romano. Elle y restera jusqu’au 31/05. Accompagnée par l’Orchestre de l'Olympia dirigé par Joss Baselli, celle qui a lancé Brassens trois ans auparavant donne un récital de quinze chansons, dont trois du sétois moustachu. Dans l’ordre du CD de la collection Les grands moments de l’Olympia intitulé Patachou 1955 (Polygram PolyGram 518 172-2) et paru en 1993: Z'yeux bleus (Eddy Marnay – Emil Stern), Les croquants (Georges Brassens), On n'est pas là pour se faire engueuler (Boris Vian – Jimmy Walter), Le piano du pauvre (Léo Ferré), On m'a volé tout ça (Luc Poret – Florence Véran), Parce que (Charles Aznavour – Gaby Wagenheim), Jenny La Chance (Claude Delécluse, Michelle Senlis – Norbert Glanzberg), La Prière (Francis Jammes – Georges Brassens), Les voyous (André Grassi), La complainte de la butte (Jean Renoir – Georges Van Parys), Nous, les filles (Léo Ferré), Mon homme (Albert Willemetz, J. Charles – Maurice Yvain), Rue Lepic (Pierre Jacob  – Michel Emer), Le bricoleur (boîte à outils) (Georges Brassens – Eugène Météhen) et Le gamin de Paris (Mick Micheyl – Adrien Mare). À noter que les trois chansons de Brassens figurent également sur le 33T 25 cm Patachou - Chante à l’Olympia (4e Série) (Philips N 76.050 R), en vente dans la foulée des premiers récitals.

© Anonyme
 
Dans la rubrique Les disques – Music-Hall de la Revue des Deux-Mondes de mai 1955, cet album est loué par Maurice Roy: "(…) nous voudrions recommander, avec toute la chaleur qu'elle sait si bien communiquer à son auditoire, le dernier disque, réussite parfaite du genre. Il fut enregistré au cours du dernier passage de cette artiste au music-hall l'Olympia, et cela, à notre sens, ne contribue pas peu à l'intérêt de cette gravure). Il faut dire également que le choix de chansons que l'on nous présente ici est particulièrement bien venu. Patachou eut le rare mérite de contribuer à la découverte de Georges Brassens, c'est-à-dire du seul poète original de la chanson qui se soit révélé depuis Trenet, mais Brassens sert à son tour le succès de Patachou. C'est de lui en effet qu'elle tient le meilleur de son répertoire, telle cette histoire charmante du Mari bricoleur, ces Croquants, ou cette Prière de Francis Jammes pour laquelle Brassens écrivit une mélodie pathétique. Mais, toujours sur le même enregistrement, elle détaille aussi, mieux que personne, les couplets mélancoliques et tendres que Jean Renoir écrivit pour son film French Can-Can."

Revenons-en justement à Georges Brassens, qui s’installe de nouveau à l’Olympia du 06 au 27/10/1955 (il était prévu qu’il démarre le 22/09, mais ses dates ont été finalement décalées), avec le désormais fidèle Pierre Nicolas qui l’accompagne à la contrebasse. Dans une rétrospective intitulée Le music-hall installe ses quartiers d’hiver qu’il publie dans la rubrique Variétés de la revue hebdomadaire Arts le 07/09/1955, Robert Beauvais annonce la rentrée prochaine du sétois moustachu sur la scène du 28, boulevard des Capucines. Plus de détails sont donnés dans une brève de L’Aurore en date 04/10/1955. Sous le titre Georges Brassens débute à l’Olympia !, certains des artistes de la première partie sont évoqués. Voici le programme complet, que nous donne Roger Morizot dans Je les ai tous vu débuter – 30 ans dans les coulisses de l’Olympia (2021): l’illusionniste Richiardi Jr., Les Ballets Ho ! chorégraphiés par Georges Reich, Geneviève, All Norman and Ladd, Alf Carlson, l’humoriste corse Christian Méry et Miss Loni.

Roger Morizot: "(…) Les danseurs [Les Ballets Ho] étaient splendides. Le premier d’entre eux, Arthur Plasschaert, monta par la suite sa propre compagnie. Il y avait aussi le grand magicien Richiardi et Geneviève, une chanteuse débutante." [Morizot D., 2021. Je les ai tous vu débuter – 30 ans dans les coulisses de l’Olympia – p. 209]

Quant à Georges Brassens, établir la liste de chansons qu’il interprète n’est pas chose facile, du fait du manque de sources communiquant des informations précises à ce sujet. Les deux 33T 25 cm les plus récents  ̶ Georges Brassens - sa guitare et les rythmes - N°3 (Polydor 530.033) et Georges Brassens et sa guitare - N°4 (Philips N 76.064 R) à paraître en mars 1956  ̶ sont bien entendu à l’honneur avec une série de chansons tout récemment voire nouvellement proposées au public: Auprès de mon arbre, Je me suis fait tout petit, Marinette (j’avais l’air d’un con) et Le testament. Dans la presse de l’époque, il est possible d’en relever d’autres, devenues des classiques: La chasse aux papillons, Je suis un voyou et Pauvre Martin. La première soirée est relatée par une courte Chronique d’Après Minuit parue dans Le Figaro du 07/10/1955 et intitulée Brassens au travail… car lors du passage du journaliste, le sétois se trouvait en pleine séance de dédicace avant de monter sur scène.

C’est le premier récital de l’auteur-compositeur du Gorille auquel assiste Jean-Michel Boris, neveu de Paulette Coquatrix (épouse de Bruno), qui a rejoint l’Olympia le 05/11/1954 en tant que machiniste. Il apprend tous les métiers et est successivement électricien, projectionniste, sonorisateur, régisseur, programmeur… jusqu’à devenir directeur artistique en 1959 ! Il a donc enfin l’occasion rêvée de croiser celui auquel il voue une immense admiration et dont il achète les petits formats aux chanteurs des rues. Durant les quelques heures qui précèdent son entrée en scène, il voit Brassens changeant les cordes de sa guitare, accordant cette dernière, fumant sa pipe, avec autour de lui les copains tels que Jean-Pierre Chabrol et René Fallet. Comme Roger Morizot, il est marqué par l’humanité du personnage. À ce sujet, une brève insolite dans Ciné-Revue en date du 14/10/1955 et ayant pour titre Georges Brassens prête sa pipe à Geneviève. L’anecdote que nous raconte François Granier met en avant cette volonté de Brassens d’encourager et de soutenir les artistes montants qui ne demandent qu’à étoffer leur public. Avant de monter sur scène, Georges accorde aussi des interviews, ainsi en est-il de la Brève rencontre avec Georges Brassens, retranscrite et signée Al. S. le 07/10/1955 dans Combat. Trois jours plus tard, dans ce même quotidien, Maurice Clantar donne, sous le titre Georges Brassens à l’Olympia, un retour négatif sur la prestation du sétois moustachu, n’ayant visiblement pas été en adéquation avec le ton de certaines chansons ainsi que les habitudes en scène de l’artiste. Le ton est sensiblement différent dans l’entrefilet au titre identique que l’on trouve dans Le Parisien du 11/10/1955, tout comme l’article élogieux de Claude Sarraute dans Le Monde du 11/10/1955. À l’Olympia – Georges Brassens prompt à croquer croquants et capitaines, c’est son titre, revient également de manière intéressante sur les numéros et chansons des artistes de la première partie. Dans la même veine, on peut y ajouter le Brassens à l’Olympia de Robert Beauvais, publié dans Arts et Spectacles le 12/10/1955, l’article de Paul Carrière, dans Le Figaro du 12/10/1955 et qui a pour titre À l’Olympia – Tam-tam, illusions et chansons, sans oublier Jean-Pierre Chabrol qui se positionne ouvertement contre le point de vue de Maurice Clantar. On trouve son article, Georges Brassens à l’Olympia, dans L’Humanité du 13/10/1955.

Un peu moins d’un moins après son troisième passage à l’Olympia, Brassens apparaît pour la toute première fois sur les grilles de programmation d’Europe 
No1. Ainsi, le 21/11/1955 à 20H45, une émission intitulée Du Coté de Georges Brassens est diffusée, dans laquelle on peut entendre le premier épisode du conte radiophonique de René Fallet dit par son ami sétois: Jean Le Loup. Durant treize semaines à l'antenne, soit jusqu’au 13/02/1956, la voix et les chansons (enregistrées spécialement pour illustrer chaque épisode) de Brassens donneront corps au personnage. En 1956, Lucien Morisse est appelé par les fondateurs d’Europe No1 dans l’optique de donner à celle-ci un style populaire et vivant. Celui qui va assurer les fonctions de responsable des programmes de variétés jouera un rôle important en contribuant à faire diffuser ouvertement et sans aucune restriction les chansons de Georges. Thierry Séchan et Marc Robine notent, dans Georges Brassens – Histoire d’une vie (1991, que la reconnaissance et le succès populaire de ce dernier le rendront de toute manière plus difficile à censurer par les autres stations de radio. La controverse s’éteindra d’elle-même, au fil des premiers passages en vedette dans les grandes salles parisiennes que sont Bobino et l’Olympia, sans oublier les premiers 33T 25 cm, mariant différents thèmes et tons.

Dans l’intervalle, Brassens signe le 13/01/1956 un nouvel acte d'adhésion aux statuts de la Sacem, renouvelant à titre de sociétaire adjoint (admission prononcée le 16/03/1955) ses engagements en qualité d’auteur. De ce même mois datent trois courtes lettres qui traitent de son futur passage au Palais d’Hiver de Lyon les 03 et 04/03/1956. Signées par René Valery, adjoint de Coquatrix, adressées à Gibraltar (nommé par erreur Antonetti), qui vient tout récemment de prendre ses fonctions auprès de Georges. (in Gros & Delettrez - Brassens à travers Gibraltar - 22/10/2022) Dès lors s’en suivra une dénonciation du contrat avec Jean Bourbon via une lettre datée du 05/06/1956. La suite des démarches sera enclenchée dès le lendemain, l’intéressé allant communiquer à son tour officiellement et par écrit. D’autres missives ont sans doute été rédigées à la suite de ce premier échange, mais n’ont pas été portées à ma connaissance à ce jour.

Différents documents, dont certains sont à l’en-tête de la société de productions de spectacles Radio-Programmes, créée par Jacques Canetti, portent entre autres sur l’organisation du quatrième passage de Georges Brassens à l’Olympia au mois de mai 1957. Associées à cette correspondance, au moins quatre lettres manuscrites signées de Bruno Coquatrix entre 1955 et 1957 et adressées au sétois moustachu, montrent l’amitié et le respect entre les deux hommes, déjà évoqués plus haut. Après Patachou qui s’installe sur la scène du 28, boulevard des Capucines du 10 au 30/04/1957 avec, en première partie, Marino Marini, Sim, René-Louis Lafforgue, Georges Trapp Dancers, Wilson Keppel et Betty ainsi que Roger Comte, Brassens prend la suite. Il est annoncé par le magazine Marie France du mois de mai 1957, dans lequel on trouve une brève intitulée Vous entendrez chanter un grand acteur de cinéma. Allusion est faite au tournage  ̶ du 03/12/1956 au 08/02/1957 aux studios de Boulogne  ̶  du film de René Clair Porte des Lilas, adapté du roman La Grande Ceinture (1956) de René Fallet et auquel Georges a participé, jouant le rôle de l'Artiste, guitariste et chanteur. Concernant les dates de ce nouveau passage de Brassens à l’Olympia, il semblerait que celles données par la plupart des biographes, soit du 05 au 26/05/1957, soient sujettes à caution. En effet, la brève de Marie France indique du 02 au 21/05, information corroborée par l’article Brassens: huit chansons nouvelles pour sa rentrée hier soir à l’Olympia, signé André Ransan dans L’Aurore du 03/05/1957: on peut effectivement lire que la première de Georges a eu lieu la veille, soit le 02/05. Un recoupement important est à faire ici avec les dates données par Roger Morizot dans Je les ai tous vu débuter – 30 ans dans les coulisses de l’Olympia (2021): du 01 au 21/05/1957. Là encore, cela correspond. À un jour de décalage,
toutefois.


Ce serait donc le jour même où il devient sociétaire définitif de la Sacem que Brassens entame son Olympia avec, en première partie, Marcel Amont, Les 3 Bragazzi (trio d’acrobates comiques), Les Quatre Barbus, les danseurs comiques Elsa et Waldo, Huguette, Ginette Garcin, Les 4 Whirlwinds et la contorsionniste Eleanore Gunter. On apprend, dans l’article de Jean Jouquey, intitulé À l’Olympia – Georges Brassens et Marcel Amont et publié dans Le Parisien du 04/05/1957, que le spectacle est présenté par Simone Morin, secondée par Louis Bugette qui, pour chaque numéro, intervient en tant que dessinateur caricaturiste s’inspirant d’une chanson de Brassens. Le tour de chant de ce dernier en comporte quinze dont la liste, conçue avec Bruno Coquatrix, a été annotée de façon quelque peu grivoise par le chansonnier, humoriste et acteur sétois Pierre-Jean Vaillard, qui a toutefois signé sa blague. (in Gros & Delettrez - Brassens à travers Gibraltar - 22/10/2022): L’amandier, Le grand Pan, Celui qui a mal tourné, Je suis un voyou, Les lilas, Je me suis fait tout petit, La marche nuptiale, Une jolie fleur (dans une peau d’vache), Auprès de mon arbre, Oncle Archibald, Chanson pour l’Auvergnat, Le vin, Marinette (j’avais l’air d’un con) et Le testament. Il convient d’ajouter Grand-Père, non mentionnée mais citée à plusieurs reprises dans la presse et qui remplace peut-être l’un des titres précités. Il en va de même pour Le nombril des femmes d’agent et Brave Margot. Cela étant bien entendu à considérer avec prudence.

Dans le programme figure une présentation flatteuse, voire courtisane, de René Fallet: "Quittant son impasse, ses pavés, l’arbre sans nom qu’il voit de sa fenêtre, les toits où vont ses chats ; quittant Jeanne qui n’a plus de cane, ses chiens Rougnouss, Poupisque et Dolly, la spirale branlante de son escalier, le perroquet paillard, le perroquet muet, la pie, les cochons d’Inde ; quittant la chaleur des copains et la fraîcheur des autres murs, son peuple de guitares plus ou moins démantibulées, les pipes qu’on ne lui vole pas, ses fleurs qu’on ne coupe qu’à chaque cent sept ans et sa pendule qui n’a jamais marché…
Quittant pour vous le monde hilare et triste, curieux et fraternel où il passe des jours inattendus, quittant cela pour une lumière qui lui fera toujours cligner des yeux, voici Georges Brassens." On n’oubliera pas les louanges de René-Louis Lafforgue, que Brassens a aidé dans l’élaboration de ses premières chansons (Julie la Rousse, créée en 1956, a valu cette année-là au futur interprète du personnage de Max Piccalo  ̶  dans le film éponyme de Claude Boissol, à sortir en 1959  ̶  le Grand Prix du disque de la chanson française de l'Académie Charles-Cros): "Il existe un malappris qui s’offre le luxe de lutiner la vie à grands coups de moustaches. Et ses moustaches de gros chat de gouttière s’en viennent farfouiller le bout de notre cœur, sur des riens de chansons. Voilà de la bonne chatouille. De la chatouille… qui fait-du-bien-par-où-ça-passe (…)"

Les souvenirs de Roger Morizot nous donnent une idée assez précise du déroulé du spectacle, apprécié différemment par les journalistes qui ont couvert l’évènement.

Roger Morizot: "En 1957, Georges est repassé avec Marcel Amont, qui débutait. Parmi les attractions, Elsa et Waldo faisaient sensation. C’était un couple de danseurs italiens qu’Édith Piaf avait ramené avec elle en France: lui, immense et très maigre ; elle, petite et rondelette. Leur numéro reposait bien évidemment sur leur contraste. Également de l’aventure: Ginette Garcin, que l’on devait beaucoup voir par la suite au théâtre et à la télévision." [Morizot D., 2021. Je les ai tous vu débuter – 30 ans dans les coulisses de l’Olympia – p. 209]

Marcel Amont est fréquemment mis en avant par les médias. Il interprète des chansons comme Escamillo (Roi – Coulanges), Barcarolle auvergnate (Datin – Vidalin), Le crieur de journaux (Pizzuto – Ricet Barrier), Julie (Datin – Vidalin), Les Amoureux de papier (Aznavour) ou encore L'Amour en mer (Rolland – Rivgauche). Montant, il semble ne pas toujours apparaître sous son meilleur jour, le trac jouant peut-être contre lui, comme le suggère Jean Jouquey dans Le Parisien. La vedette américaine du spectacle propose néanmoins une prestation de qualité, que différents journalistes goûtent selon leur sensibilité propre. Citons tout d’abord À l’Olympia – Georges Brassens, publié par François des Aulnoyes le 06/05/1957 dans Combat, puis À l’Olympia – Georges Brassens et Marcel Amont de Paul Carrière qui, dans Le Figaro du 07/05/1957, n’a visiblement pas été enthousiasmé par les nouvelles chansons de Brassens. La problématique qui va malheureusement coller sur le long terme aux musiques du sétois moustachu en les faisant percevoir comme pauvres (du fait d’une confusion fréquente entre composition et orchestration), semble être soulevée une nouvelle fois ici.

Son de cloche différent dans Le Canard Enchaîné avec un article signé T. et daté du 08/05/1957: Georges Brassens et sa nouvelle couvée. Marcel Amont, toutefois, n’a pas convaincu l’auteur de ces lignes. Le troubadour Georges Brassens est la plus grosse vedette française du music-hall, refuse de gagner d’avantage d’argent et a gardé ses amis du temps de la bohème est le long titre que François Formont donne au portrait – publié dans Ici Paris Hebdo en date du 09/05/1957 – qu’il dresse de Brassens à la suite d’un entretien que ce dernier lui a accordé à l’impasse Florimont. Dans l’introduction qui précède, l’auteur revient sur le tour de chant auquel il a assisté à l’Olympia en décrivant le fameux rite du verre d’eau toujours posé sur un piano inemployé et permettant à Brassens de se rafraîchir entre deux chansons: "(…) il va le prendre, boit, revient et recommence à chanter. Alors le charme opère à nouveau. Des sons déroutants de la guitare et des images insolites de la chanson jaillit la poésie qui abolit le temps et transporte dans un pays inconnu le spectateur troublé et conquis…"

Trois autres articles viennent s’ajouter ceux déjà détaillés ci-avant: Georges Brassens à l’Olympia, de Claude Sarraute, dans Le Monde du 09/05/1957, une brève au titre identique dans L’Humanité Dimanche en date du 12/05/1957, ainsi qu’un article de Claude Bruschi dans Ciné Revue, qui fait un parallèle entre les chansons proposées par le sétois moustachu à son public du 28, boulevard des Capucines et le récent et éprouvant tournage de Porte des Lilas: De la brouille avec RENÉ CLAIR, sur le plateau de "Parte des Lilas", au nouveau répertoire d’une cruauté désespérée à l’Olympia, que se passe-t-il donc pour Georges Brassens ? (17/05/1957).

Cette collaboration avec René Clair, Georges l’évoque dans une interview qu’il donne dans sa loge de l’Olympia, avant de s’apprêter à monter sur scène. Ce document, diffusé pour la première fois le 18/05/1957 sur Paris Inter dans le cadre de l’émission de Pierre Divoire Rendez-vous à cinq heures, nous donne à entendre Brassens évoquer les chansons qu’il propose à son public. Parmi ces dernières, une des plus récentes, La marche nuptiale, qu’il dit dans son intégralité. On peut le réécouter via le podcast des Nuits de France Culture, publié le dimanche 21 août 2022 (première diffusion le dimanche 24 octobre 2021).

Cette revue de presse ne saurait être conclue sans l’évocation de quatre écrits parus après que Brassens ait achevé sa série de dates au music-hall de Bruno Coquatrix: Brassens à l’Olympia, signé Serge le 23/05/1957 dans Les Nouvelles Littéraires, L’Olympia d’un solitaire, par Louis Nucera qui, dans Le Patriote de Nice du 24/05/1957, semble suggérer les conséquences des crises de coliques néphrétiques dont Georges va de plus en plus souffrir, Georges Brassens ou la protection des mal-pensants en date du 31/05/1957 dans Témoignage Chrétien, À l’Olympia, signé L. R. Dauven dans le magazine culturel La vie parisienne et enfin, Brassens: retour sans concession dans Music-Hall. Les deux dernières publications datant de juin 1957.

Durant l’été, des travaux de réaménagement vont avoir lieu dans le but faire remettre à neuf la salle de l’Olympia dont le style "art déco" n’est plus au goût du jour. Vieux (il remonte aux années 1920), terne, celui-ci doit être remplacé. Bruno Coquatrix a fait appel à l’architecte Painchault ainsi qu’à son vieux copain Henri Rigal, décorateur du Lido, pour donner une nouvelle identité à son music-hall. Des coloris noir, bleu marine, des fauteuils rouges. Ce fameux rouge Coquatrix qui domine lorsque la salle est éclairée et se fait ombre lorsque les planches sont sous la lumière. Tel est le rendu souhaité à l’issue des travaux: lorsque les lumières s’éteignent, on ne doit voir que la scène. Et c’est Gilbert Bécaud qui va inaugurer les lieux flambant neufs du 19/09 au 08/10/1957 avec Dalida en vedette américaine. Rien n'est laissé au hasard et c'est aussi à ce moment que le fameux logo de l'Olympia avec la forme octogonale du O, proche des contours de Paris, est étudiée et fait son apparition. La publicité de la salle répond à une nouvelle charte : le nom de l'établissement est à présent décliné en lettres noires ou blanches sur pastille rose. Les affiches sont travaillées sur fond bleu turquoise, vert, violet ou orange. En lien avec la nouvelle conception des différents documents, le fond de scène se voit orné de voiles de tulle de couleur identique. 
[Boris J.-M., Brieu J.-F., Didi É., 2003. Olympia Bruno Coquatrix - 50 ans de music-hall – pp. 28-30] Du côté du monde du septième art, Porte des Lilas arrive sur les écrans le 25/09/1957. Ce sera l'unique film de Georges Brassens en tant que comédien. Le 10/12/1957, il signe son acte d’adhésion aux statuts de la Sacem en qualité d’auteur-compositeur. L’Olympia lui consacrera de nouveau une affiche l’année suivante…

2 commentaires:

  1. Bravo et merci pour ce récit, passionnant à lire et formidablement documenté. Avec toutes mes félicitations, aussi, d' "échanson de la chanson" !
    Fred Hidalgo

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    1. Merci beaucoup, Fred, c'est toujours un plaisir pour moi de faire des recherches et d’écrire afin de faire partager ma passion !

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