Je dois à la maison Philips, qui me les commanda, ces textes, analyse personnelle de toutes les chansons, une par une, de Brassens. Une centaine environ à ce jour. Encore un travail que je n’aurais pas fait de mon propre chef. Je reconnais humblement qu’il me passionna et me fit ainsi joindre l’agréable à l’utile. (Brassens par René Fallet, 1967)
Les aujourd’hui célèbres notes de pochette de René Fallet apparurent pour la première fois sur une série originale de 33T de Georges Brassens, parue en septembre 1965 dans la collection Les grands auteurs & compositeurs interprètes. Il s’agit de la série dite Photo-chimigramme de Pierre Cordier.
Poursuivant ses expérimentations et faisant évoluer le chimigramme en élargissant ses possibilités techniques et esthétiques, Cordier mit au point le photo-chimigramme en 1963 et, avec la complicité de René Fallet, obtint l’accord de Georges Brassens pour que la firme Philips réalise une série de huit pochettes pour disques 33T 30 cm.
Pierre Cordier: "(…) En 1965, je montrais à Georges et René Fallet des projets de pochettes faites à partir d’anciennes photos. Georges en parla aux directeurs de Philips qui me passèrent commande de huit pochettes. Ce fut un travail long et difficile : je proposai même le graphisme du verso de la pochette. Les photographes et les graphistes de la maison n’étaient pas enchantés d’être remplacés par un étranger." [Cordier P. – Je me souviens de Georges… (1998)]
Pour ce faire, une série de clichés du sétois moustachu pris par Pierre lui-même en début d’année 1965 au "Moulin de La Bonde" à Crespières, fut utilisée.
Pierre Cordier: "(…) à Crespières, nous passions des heures à flâner, avec Püppchen [sic] et Fallet, avant de soumettre Georges à la torture des séances de photographie [pour les pochettes de disques]. Le pauvre, il avait horreur de ça et comme je n’étais qu’un « faux-tographe » [selon l’expression de Degas et de Nadar], je souffrais avec lui.
Heureusement, certaines photos sont réussies et le montrent tel qu’il était: tour à tour joyeux, malicieux, angoissé…"[Cordier P. – Je me souviens de Georges… (1998)]
Ainsi naquit une très belle série discographique qui propose l’intégralité des chansons enregistrées et publiée par Georges Brassens jusqu’en novembre 1964, période de sortie de l’album Brassens (Philips 77.894 L). Dans sa préface pour l’ouvrage Je me souviens de Georges… (1998), Julos Beaucarne exprime très joliment la rencontre entre deux artistes d’exception et qui enfantera entre autres les pièces de collection décrites plus bas: "(…) Georges était un inventeur des mots, au-delà des mots. Pierre est un inventeur de l’image, au-delà de l’image. Ce n’est pas étonnant que ces deux alchimistes se soient rencontrés.
(…) L’alchimiste des mots avait frappé le jeune photographe qu’était, à cette époque, Pierre Cordier.
Celui-ci, plus tard, a voulu aller plus loin, a voulu passer la limite et révéler l’ "aura" des photos. Il a voulu en savoir plus long sur l’image, pénétrer ses secrets: il a inventé le chimigramme, une façon de traverser le miroir de la photographie. Il est devenu alchimiste de la vision."
Sur les labels, de couleur bleu indigo avec un centreur cerclé de blanc, on observe deux particularités:
- la lettre capitale ‘D’ imprimée juste derrière le sigle B.I.E.M. encadré, à gauche du centreur;
- le numéro de référence, imprimé dans l’encadré situé juste au-dessus, commence par la lettre ‘B’ et non ‘P’, comme sur la pochette.
La liste des chansons est imprimée sur la moitié inférieure, en petits caractères de couleur gris clair, sur chacune des deux faces: La mauvaise réputation - Le fossoyeur - Le gorille - Le petit cheval - Ballade des dames du temps jadis - Hécatombe - La chasse aux papillons - Le parapluie - La marine - Corne d'aurochs - Il suffit de passer le pont - Comme hier
Voici le détail des autres disques:
- Georges Brassens 2 – Philips P 77.848 L
Les amoureux des bancs publics - Brave Margot - Pauvre Martin - La première fille - La cane de Jeanne - Je suis un voyou - J'ai rendez-vous avec vous - Le vent - Il n'y a pas d'amour heureux - La mauvaise herbe - Le mauvais sujet repenti - P... de toi
- Georges Brassens 4 – Philips P 77.850 L
Je me suis fait tout petit - L'amandier - Oncle Archibald - La marche nuptiale - Les lilas - Au bois de mon cœur - Grand-Père - Celui qui a mal tourné - Le vin - Les philistins
- Georges Brassens 5 – Philips P 77.851 L
Le vieux Léon - La ronde des jurons - À l'ombre du cœur de ma mie - Le pornographe - Le Père Noël et la petite fille - La femme d'Hector - Bonhomme - Les funérailles d'antan - Le cocu - Comme une sœur
- Georges Brassens 6 – Philips P 77.852 L
La traîtresse - Tonton Nestor - Le bistrot - Embrasse-les tous - La ballade des cimetières - L'enterrement de Verlaine - Germaine tourangelle - À Mireille dite Petit Verglas - Pénélope - L'orage - Le mécréant - Le verger du roi Louis - Le temps passé - La fille à cent sous
- Georges Brassens 7 – Philips P 77.853 L
Les trompettes de la renommée - Jeanne - Dans l'eau de la claire fontaine - Je rejoindrai ma belle - La marguerite - Si le bon Dieu l'avait voulu - La guerre de 14/18 - Les amours d'antan - Le temps ne fait rien à l'affaire - Marquise - L'assassinat - La complainte des filles de joie
- Georges Brassens 8 – Philips P 77.894 L
Les copains d'abord - Les 4 z'arts [sic] - Le petit joueur de flûteau - La tondue - Le 22 Septembre - Les deux oncles - Vénus Callipyge - Le mouton de Panurge - La route aux quatre chansons - Saturne - Le grand Pan
À noter qu’une seconde série fut publiée en France, avec un numéro de référence commençant cette fois par la lettre ‘B’, sur la pochette. Ce qui donne, pour les huit disques : B 77.847 L, B 77.848 L, B 77.849 L, B 77.850 L, B 77.851 L, B 77.852 L, B 77.853 L et B 77.894 L.
De plus, au verso, dans le coin droit du rabat supérieur, la lettre capitale ‘D’ est remplacée par la mention ‘STANDARD’.
Quant aux labels des disques, ils sont noirs, cette fois. Et la lettre capitale ‘D’ imprimée juste derrière le sigle B.I.E.M. encadré, à gauche du centreur, est remplacée par la lettre capitale ‘S’.
La série dite Photo-chimigramme de Pierre Cordier fit également l’objet de pressages canadiens, italiens et japonais, entre autres. N’ayant pas été étendue ni rééditée, la série s’arrêta au volume 8, pour être remplacée par la célébrissime collection "faux bois", dont la parution débuta peu de temps après.
Près de quinze années plus tard, Georges Brassens rédigea une préface pour le catalogue de l’exposition de son ami à la Bibliothèque Nationale; Pierre Cordier, chimigrammes, qui se tint du 15/02 au 31/03/1979. [Source : Bibliothèque nationale] Aussi, c’est à lui que revient de conclure cet article discographique en hommage au créateur du chimigramme, qui vient d’aller le rejoindre tout récemment…
(…) Pierre Cordier quoique encore jeune, est un de mes vieux amis. En fait, ses culottes courtes étaient encore dans l’armoire quand j’ai connu ses parents. Des amis parfaits.
La famille Cordier tout entière me soutint de tout cœur à mes débuts, me donna son affection et me prêta sa maison lors de mes premiers séjours en Belgique (…) Je ne raconte pas ma vie, n’ayez pas peur. Je vous dis toutes ces choses pour que vous sachiez que le responsable du fait que Pierre Cordier ait lâché l’entreprise familiale et prospère ou sa voix était toute tracée, c’est moi. Il n’avait pas tellement envie, à cette époque de ses dix-huit – vingt ans, de rouler sur les rails où le sort l’avait placé… Il était habité par le démon de la recherche photographique, et m’a demandé des conseils. Moi qui n’en donne jamais, qui considère que l’on en n’a pas le droit, j’ai fait une entorse à mon principe, je lui ait dit de se lancer dans cette aventure et il l’a fait (il l’eût sans doute fait quand même).
(…) Pierre Cordier a pris une route non fréquentée encore et pleine d’escarpements. Je pense qu’il a eu raison et je souhaite que vous soyez du même sentiment; et que ses "Chimigrammes" vous apportent un plaisir jamais encore ressenti au-delà de la peinture et de la photographie.
Georges Brassens
Afin d’élargir le champs de cette étude, il est intéressant de retrouver le dossier de presse ainsi que les nombreuses ressources pour la Saison photographique à la BnF 2023-2024, qui replace l’œuvre de Pierre Cordier dans l’histoire de l’art que fit naître Nicéphore Niépce !
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