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"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

jeudi 4 septembre 2025

Georges Brassens à l'Olympia - 1961

Si les quatre premiers mois de l’année 1960 furent fastes pour l’Olympia, il n’en fut pas de même pour la suite. En effet, des mauvais choix de programmation et autres aléas finirent par provoquer des difficultés financières pour l’établissement. Paulette Coquatrix et Jean-Michel Boris nous donnent plus de détails, respectivement dans Les coulisses de ma mémoire (1984) et Olympia Bruno Coquatrix - 50 ans de music-hall (2003). Tout d’abord, la "Revue Nègre" programmée en mai 1960 se révéla être un échec au bout d’une semaine. Suite plausible au spectacle de Joséphine Baker, à savoir la revue "Paris mes amours", à l’affiche du 12/05/1959 au 18/01/1960, il ne fonctionna pas sans celle qui incarna la princesse Tam-Tam dans Moulin-Rouge, film d’Yves Mirande et André Hugon arrivé sur les écrans français le 15/01/1941. Cette dernière fut donc rappelée pour une nouvelle mouture de "Paris mes amours" programmée en juin-juillet-août 1960. Ceci permit à Bruno Coquatrix de limiter les pertes de trésorerie. Puis vient le tour de Gilbert Bécaud de s’installer sur la scène du 28, boulevard des Capucines. Prévu pour 3 ou 4 semaines, il ne resta que du 21/09 au 01/10, ayant un agenda chargé par un grand nombre de dates en province. "Monsieur 100 000 volts" fut alors remplacé par François Deguelt qui connût un succès moindre. Par la suite, le spectacle de Petula Clark à l’affiche en novembre ainsi que le Radio Circus emmené par Roger Lanzac, furent eux aussi des échecs. Le second, qui mêlait cirque traditionnel et enregistrements radiophoniques (dont le Jeu des mille nouveaux francs), eut un succès bon enfant en province, mais pas à Paris, la concurrence artistique y étant trop forte. Programmé du 01/12 au 14/12, le spectacle fut arrêté le 04/12.

Plongé dans la détresse financière, l’Olympia baissa le rideau et Bruno Coquatrix s’enferma chez lui, entrant dans une belle dépression. Son équipe fit passer le mot qu’il souffrait d’un "infarctus du portefeuille." Aussi, par amitié, Georges Brassens prêta une importante somme d’argent. C’est Jean-Michel Boris qui vint chercher le chèque Impasse Florimont. Cela lui permit de découvrir le logis du troubadour sétois, qu’il décrit ainsi: "Une sorte de pavillon de banlieue en plein Paris, la maison d’un ouvrier spécialisé, pas d’une vedette." Sur le moment, Brassens parle du problème financier mais s’inquiète aussi de l’avenir de Boris. Celui-ci y va de son témoignage.

Jean-Michel Boris: "Mais alors, gamin – il m’appelait gamin –, si Bruno s’arrête, qu’est-ce que tu vas faire ?" Je lui ai répondu que je trouverai bien un travail de régisseur, de machiniste, il semblait très concerné, très gentil…"

Georges fit plusieurs prêts par chèques, tous vite remboursés, mais qui permirent à chaque fois de faire face aux urgences: "Je faisais de la cavalerie.", indiqua Jean-Michel Boris. [Vassal J. – Brassens, homme libre - p. 429] De son côté, Bruno Coquatrix émergea progressivement et commença à reprendre des contacts. Tout particulièrement avec Édith Piaf, avec qui il échangeât longuement sur divers sujets, dont leur santé réciproque. L’Olympia fut bien entendu au cœur des discussions et, avec l’appui de Louis Barrier, impresario de Piaf, cette dernière, tout d’abord réticente, finit par accepter la proposition de se produire pour venir en aide au compositeur de Clopin-clopant qui put ainsi rouvrir son music-hall. À partir du 29/12/1960 et jusqu’au début du mois d’avril 1961, Édith Piaf donne une série de concerts parmi les plus mémorables et émouvants de sa carrière et que retrace Robert Belleret, auteur de Piaf – Un mythe français (2013), dans une interview intitulée Édith Piaf : 50 ans après sa mort, la vérité sur "La Môme" ! et publiée sur le site Allociné le 10/10/2013. Elle interprète une trentaine de chansons dont Non, je ne regrette rien, qui lui colle à la peau et que Charles Dumont et Michel Vaucaire viennent d'écrire pour elle, éclipsant ainsi Marguerite Monnot, sa compositrice de prédilection. Piaf a du mal à se tenir debout et à se mouvoir, du fait de sa polyarthrite très invalidante, et ne réussit à chanter que grâce à une injection de morphine. Dans la salle se trouvent ses amis, le Tout Paris des célébrités comme Michèle Morgan, Alain Delon et Romy Schneider, Jean-Paul Belmondo, Arletty, Dalida, Georges Brassens (convié à la générale du 02/01/1961 à 20H45, selon le carton d’invitation envoyé par Bruno Coquatrix et dont un visuel est publié dans Brassens au bois de son cœur (2001) par Jean-Paul Sermonte), Michel Simon, Mouloudji, Claude Chabrol, Marlene Dietrich et des artistes américains comme Paul Newman, Duke Ellington ou encore Louis Armstrong.

L’Olympia est sauvé de la faillite tandis que pendant ce temps, Georges Brassens, dont Paris Inter diffuse des extraits du dernier Olympia le 05/01/1961 dans l’émission Dimanche dans un fauteuil, finalise de nouvelles chansons les mois suivants et s’apprête à entamer une tournée estivale de dix-neuf dates qui démarre le 02/08 à Dieppe et passe par Deauville le 06/08 où, présents dans la salle, Bruno Coquatrix et Ray Ventura viennent le féliciter dans sa loge après son tour de chant. La tournée s’étalera jusqu’au 29/08 et un récital donné au Lavandou. Suit l’aventure québécoise en septembre-octobre, puis retour en France. Le 02/11/1961, Brassens teste son nouveau tour de chant au Cyrano à Versailles, puis effectue sa première le lendemain à l’Olympia où, succédant à Jacques Brel, il restera jusqu’au 03/12. Trois sources majeures concordent autour la date de la première: les archives de Pierre Onténiente, l’affiche à l’en-tête de l’Olympia dont un visuel a été publié par Jean-Paul Sermonte dans Brassens au bois de son cœur (2001) et l’ouvrage Olympia Bruno Coquatrix - 50 ans de music-hall (2003). Un recoupement peut même être effectué avec plusieurs coupures de presse dont l’article du quotidien Libération du 01/11/1961 intitulé À l’Olympia – BRASSENS et les filles de joie et qui retranscrit une courte interview obtenue par une journaliste – dont le nom n’est pas cité – à l’impasse Florimont. Georges est interrogé sur ses nouvelles chansons ainsi que leur préparation, puis exprime l’idée suivante: "Je suis un poète mineur, mais un poète quand même. Les signes abîmeraient… Les mots volent tous seuls."

De nombreux cartons d’invitation en première exclusivité sont envoyés par Bruno Coquatrix à l’occasion du lancement de ce nouveau spectacle dont Brassens est la vedette et qui a pour titre Aux quatre coins du music-hall, comme indiqué sur le programme qui sera abordé et commenté plus bas. Chose curieuse: l’existence de cartons d’invitations d’invitation à la "première de gala" sur lesquels figure la date du 06/11/1961, suivie de l’horaire de 20H45. L'un deux est apparu récemment sur le site d'enchères Ebay. À ce jour, il ne m’a pas été possible d’approfondir mes recherches sur ce sujet, faute de pouvoir consulter les documents liés à la fabrication de ces derniers. Il en est de même pour le contrat passé entre Brassens et Coquatrix. L’examen desdites pièces et autres complémentaires pourrait peut-être permettre de révéler des éléments d’information plus précis. 


Deux grands hommes de lettres sont présents dans le programme, leurs mots présentant la vedette du moment:

"Brassens. Il ne demandait rien à personne. Tout le monde l'a écouté. Il avait quelque chose à dire, à rire, à chanter et même quelquefois à pleurer. La plupart lui en ont su gré." Jacques Prévert

"Il me paraît difficile de définir en deux lignes l'art de Brassens. L'homme et le poète ne font qu'un. Il en est de même pour l'honnêteté et la bonté qui deviennent les éléments d'une poésie profondément humaine : l'art de Brassens si proche des trouvères du XIIIe siècle, ceux de Picardie et de champagne, en pensant à Rutebeuf et à la misère dans sa pureté." Pierre Mac Orlan 


À noter que l’auteur du Quai des brumes (1927) fait cette même déclaration depuis sa maison de Saint-Cyr-sur-Morin, alors qu’il est interviewé par François Chalais dans le cadre du Journal Télévisé du 03/11/1961, auquel Georges Brassens se trouve invité.

Les deux pages centrales du programme donnent le détail du spectacle présenté par Lucette Raillat et Bernard Dumaine. En voici les artistes de la première partie: The Fabulous Rudas Girl (danseuses acrobates), Claude Cérat, Bob Markworth (tireur à l’arc) et Mayana, Les 3 Solistes (dont Éric Zimmermann), les comédiens comiques Lauri Lupino Lane et George Truzzi, Norman Cryder (jongleur), Les Double-Six, Lucette Raillat. À l’accompagnement: Daniel Janin et son orchestre.
 

Les 3 Solistes viennent de sortir leur super 45T EP RCA Victor 76.507 avec Peut-être un jour, En souvenir, Les feux de l’été et Si je dois. Du côté des Double-Six, qui sont présentés par Daniel Humair, ce sont trois disques qui sont mis en avant. Tout d’abord, le 33T 25 cm Les Double-Six Meet Quincy Jones (Columbia FPX 188), paru en 1960. Il s’agit du second pressage de l’album, le premier portant la référence Columbia SGXF 105. Mentionné également: le 33T 30 cm sobrement intitulé Les Double-Six (Columbia SGXF 108), à paraître en 1962. On n’oubliera pas la présentation du super 45T Columbia ESDF 1350, tout juste arrivé dans les bacs et qui comporte Fascinating Rhythm (Le pas qui plaira), Boplicity (La légende du troubadour), Early Autumn (Finalement l'automne est arrivé) et Moanin' (La complainte du bagnard).

Concernant Georges Brassens, un encart met en lumière la seconde édition (novembre 1957) de son recueil La mauvaise réputation, tandis que la quatrième de couverture du programme fait la part belle au 33T 25 cm Georges Brassens N°8 (Philips B 76.512 R), dont la publication est prévue en ce mois de novembre 1961. Les huit chansons qu’il propose seront défendues sur scène: Le temps ne le fait rien à l’affaire, Dans l’eau de la claire fontaine, La traîtresse, La ballade des cimetières, La complainte des filles de joie, Tonton Nestor (La noce de Jeannette), Le temps passé et La fille à cent sous. On remarque également, dans la partie basse, un rappel pour le 33T 25 cm Georges Brassens N° 7 (Philips B 76.488 R).
 

Voici la liste des chansons interprétées par le sétois moustachu sur scène et que l’on peut reconstituer précisément grâce aux documents publiés dans le N°137 de la revue Les Amis de Georges (janvier-février 2014), mais aussi aux archives audiovisuelles de la Collection Théâtre de l'Olympia de la Bibliothèque Nationale et dont les supports originaux (bandes magnétiques 9,5 cm/s) sont conservés au département  Son, Vidéo, Multimédia: Le temps passé, La fille à cent sous, L’orage, La traitresse, Le mécréant, La complainte des filles de joie, La marche nuptiale, Le vieux Léon, Tonton Nestor, Celui qui a mal tourné, Dans l'eau de la claire fontaine, Le mauvais sujet repenti, La ballade des cimetières et Le temps ne fait rien à l'affaire. Sur la bande conservée sous la cote ASPBAN 4862 et datée de novembre 1961, on entend clairement l’engouement du public qui rappelle Brassens après son récital. Celui-ci interprète alors quatre autres chansons: Pénélope, Les funérailles d'antan, Bonhomme et Le gorille. On notera deux variantes, que révèle l’écoute d’une autre bande magnétique (cote ASPBAN 4863) datée du 25/11/1961: La première fille se trouve incluse au récital. Quant aux rappels, ils sont identiques aux précédents, à l’exception de Chanson pour l'Auvergnat qui remplace Pénélope.

Pour les plus passionnés, l’intégralité des chansons du récital (hors les rappels) est disponible depuis 2012 via l’album numérique Georges Brassens – November 4, 1961, issu de la collection Live In Paris dirigée par Michel Brillié au sein de la maison d’édition Frémeaux & Associés. Il se pourrait, sans que dans l’état actuel des connaissances, il soit possible de l’affirmer, qu’il s’agisse d’un enregistrement correspondant à un Musicorama, spectacle musical créé en octobre 1956 sous l’impulsion de Lucien Morisse qui en assure la programmation avec Bruno Coquatrix et Pierre Delanoë. Le lundi, jour de relâche de l'Olympia, la scène est alors occupée par un récital unique produit par Europe N°1 et retransmis soit en direct, soit en différé, en partie ou dans son intégralité, permettant à la station de promouvoir ses vedettes.

En 2014, une édition au format disque compact a vu le jour, agrémentée de neuf autres chansons. Son titre, Georges Brassens – 3 Novembre 1961 (FA 5455), est inexact, car la captation a bel et bien été réalisée le 04/11/1961. Pour ce qui concerne les neuf titres supplémentaires, ils proviennent d’enregistrements de quatre parties du conte radiophonique de René Fallet Jean Le Loup, diffusées en novembre et décembre 1955 sur 
Europe N°1. Ainsi, La cane de Jeanne, Les croquants et La chasse aux papillons sont issues de la seconde émission (28/11/1955), Le petit cheval et Brave Margot de la troisième émission (05/12/1955), Je me suis fait tout petit et Une jolie fleur (dans une peau d' vache) de la quatrième émission (12/12/1955), La marine et La légende de la nonne de la sixième (26/12/1955).

De nombreuses coupures de presse mais aussi des témoignages permettent de retracer le passage de Georges Brassens à l’Olympia en 1961. À commencer par celui de Jean-Michel Boris, croisé avec l’analyse de Michel Brillié que l’on peut lire dans le livret du disque précédemment cité. Tous deux soulignent la sobriété, la pudeur voire la timidité dont l’artiste fait preuve, enchaînant les chansons sans ajouter aucun commentaire. 

Jean-Michel Boris: "Il reste là, palpitant, immobile. Quelque part, le bourdon d’une contrebasse… Alors sa patte se déclenche, gratte sa guitare (…) Première chanson: il est toujours joli le temps passé [Le temps passé]. Deuxième chanson: Du temps que je vivais dans le troisième dessous [La fille à cent sous]. Troisième chanson: parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps [L’orage]. Entre chaque chanson, Brassens s’avance vers son public, puis il fait volte-face, tenant sa guitare comme un gourdin. Il va se rafraîchir à la source du piano (le verre d’eau posé sur le couvercle), boucle le cercle et redevient ce gros insecte dans la lumière." [Boris J.-M., Brieu J.-F., Didi É., 2003. Olympia Bruno Coquatrix - 50 ans de music-hall – pp. 48-49]

Entre chaque chanson, il plaque quelques accords pour vérifier la justesse du son de sa guitare, se tournant parfois vers Pierre Nicolas. Ce dernier le soutient durant tout le spectacle, le renseignant parfois pendant les pauses sur la suite du tour de chant pour pallier un trou de mémoire. En aparté, tous deux échangent quelques mots sur le public du soir et même rient, sans que Brassens n’en laisse rien paraître lorsqu’il revient sur le devant de la scène. Il ne dialogue pas ou peu avec les spectateurs qui l’écoutent avec respect et attention, l’applaudissant généreusement mais sans démesure, toutefois. De même qu’après la dernière chanson, toute la salle exprime son enthousiasme, refusant de laisser Georges quitter la scène et lui demandant de chanter de nouveau.

Jean-Michel Boris: "Pendant trente-et-un jours, Brassens emmène un programme d’où émerge la facétieuse Lucette Raillat, qui présente la soirée et qui interprète son unique succès populaire, La môme aux boutons, une chanson écrite par Pierre Louki, un des "amis de Georges" parmi les plus fidèles.
Curiosité éphémère que l’on retrouvera à plusieurs reprises boulevard des Capucines, Le chanteur Claude Cérat invente des "chansons flash" dont il justifie la brièveté avec des arguments que la postérité a négligé de retenir: "À notre "époque vitesse", les chansons qui durent trois minutes sont des anachronismes rappelant la lampe à huile et la marine à voile." Du coup, ce sympathique hurluberlu s’essaie à un lifting du répertoire, en tentant d’improviser des comptines d’une cinquantaine de secondes. Tout y passe: chansons d’amour, chansons réalistes, folklore et, dans la salle, on ne boude pas son plaisir. Ce n’est pas tous les jours qu’on a devant soi le Dali de la chanson française" [Boris J.-M., Brieu J.-F., Didi É., 2003. Olympia Bruno Coquatrix - 50 ans de music-hall – p. 49] 

Ce spectacle dans lequel tout s’enchaîne parfaitement bien est brièvement évoqué dans deux premiers articles, à commencer par celui intitulé Brassens l’anar’ chéri de Paris nous revient, une présentation de l’artiste et de sa carrière, publiée dans le N°9 de la revue Music-Hall en novembre 1961. En seconde position, la retranscription de l’interview accordée par Georges à Jean Marcilly tandis qu’il se trouve dans sa loge de l’Olympia et que Pierre Nicolas le presse car approche l’heure pour eux d’entrer sur scène. Cette série de questions-réponses sur le thème de l’amour paraît dans Ici Paris, également en novembre 1961, sous le titre Il parle cru… mais il parle franc – BRASSENS: l’amour c’est meilleur quand c’est… discret.

Par ailleurs, Bernard Lonjon nous permet de découvrir un récit plus qu’intéressant: celui de Jean Ferrat, consigné dans une lettre datée du 12/09/2004. L’auteur-compositeur-interprète vaucressonnais y mentionne sa chanson À Brassens, à paraître deux ans plus tard.

Jean Ferrat: "Je suis allé l’applaudir pour la première fois à la fin de l’année 1961. Je venais de sortir "Deux enfants au soleil" et "Ma Môme". Sa manière d’entrer en scène m’a littéralement envoûté. Il traînait son tabouret et sa guitare, tranquillement depuis les coulisses jusqu’au centre de la scène. Puis le père Nicolas est arrivé. Dès lors, Brassens a commencé à balancer avec sa "Mauvaise Réputation". Il crachait les mots et ses notes claquaient dans l’espace. Il y avait un silence dans la salle. Pas un murmure. Pas un mouvement. Entre chaque chanson, les applaudissements redoublaient, les gens souriaient, ils étaient ravis. Il m’a mis du baume au cœur ce soir-là. J’ai compris ce qu’il fallait être sur scène. Simplicité, émotion et complicité. J’ai retrouvé ma confiance quelque peu émoussée. En rentrant, j’ai écrit cette chanson. D’un jet. Comme un remerciement de ce qu’il venait de me donner." [Lonjon B., 2021. Brassens l’enchanteur - pp. 277-278]

Au lendemain de deux passages radiophoniques de Georges Brassens le 04/11/1961 depuis sa loge de l’Olympia (Rendez-Vous A Cinq Heures et Inter Actualités – spectacles, où il est interviewé par Micheline Sandrel avant que la chanson Le vieux Léon ne se fasse entendre), deux courts articles (dont l’un n’est pas signé) rendent compte en particulier des nouvelles chansons qu’il propose dans son tour de chant: Après deux années d’absence, Georges Brassens sort de sa retraite pour lancer à l’Olympia les huit succès de demain, dans Paris Presse, suivi de Georges Brassens – Des chansons qu’on entend sans jamais se lasser, par André Légé dans L’Humanité Dimanche. La date du 05/11/1961 est aussi celle de la diffusion d’un nouveau numéro de Dimanche dans un fauteuil, qui propose à ses auditeurs quatre chansons extraites du récital de Georges: La traîtresse, Dans l’eau de la claire fontaine, Celui qui a mal tourné et Chanson Pour l'Auvergnat.                
    
Pour revenir vers la presse écrite, deux brèves datées du 07/11/1961 nous communiquent une information très intéressante: Charles Trenet et Johnny Hess ont assisté ensemble au spectacle de Georges Brassens la veille au soir. Tandis que L’Aurore titre Deux galas cette nuit à Paris et se penche sur le dilemme qui s’est présenté aux nombreuses célébrités qui avaient le choix entre applaudir le troubadour sétois au music-hall de Bruno Coquatrix et assister à l’avant-première du film de Léonide Moguy Les hommes veulent vivre au palais de l’UNESCO, Philippe Bouvard signe un papier plutôt grinçant dans Le Figaro avec ses Huit constatations pour le retour de Brassens. Le ton est nettement différent du côté de Claude Sarraute qui, dans son compte-rendu intitulé Georges Brassens à l’Olympia et publié dans la rubrique Les variétés du Monde du 08/11/1961, se montre bien élogieuse, analysant les nouvelles chansons de Brassens tout en pointant certaines d’entre elles, à l’exemple du Temps passé, placé en première position dans le récital et donc, plus facilement oubliée par les spectateurs alors qu’elle mérite plusieurs écoutes pour être comprise de manière approfondie. La journaliste note en outre quelques changements chez Georges, lorsqu’il occupe la scène. Le fait qu’il lui soit apparu plus maigre, plus sec, pourrait probablement être lié aux crises de coliques néphrétiques qui le font régulièrement souffrir…
 
 
 
Dans Le Figaro Littéraire du 11/11/1961, la retranscription d’une interview menée par Maurice Chapelan le soir de la première, soit le 03/11. Ayant pour titre Le bon ours Brassens: Ma voix n’a pas une importance capitale, l’article nous apprend qu’à l’approche de l’heure pour Brassens de monter sur scène subsistent des incertitudes sur l’ordre des chansons. Pour autant, notre troubadour héraultais paraît moins nerveux que lors de son premier passage en 1954. Par ailleurs, on apprend que parmi les copains présents dans la loge de l’artiste figure Éric Battista. De son côté, Jean Jouquey publie dans Le Parisien du 11/11/1961 un compte-rendu intéressant – Georges Brassens égal à lui-même et du nouveau à l’Olympia – en particulier pour les détails donnés sur les artistes de la première partie. Puis il aborde la qualité des chansons de Brassens tout en regrettant que le thème de la mort y soit de nouveau trop présent à son goût. Dans La Semaine Radio Télé N°46 du 12 au 18/11/1961, Jacqueline Cartier porte à notre connaissance un court extrait d’interview sous un titre un tantinet exagéré: Brassens revient du Canada avec cent nouvelles chansons. Dans les propos que Brassens a tenu à la journaliste, on retiendra une citation de Patachou qui lui a donné des conseils sur ses nouvelles chansons à offrir progressivement à son public: "Une bonne chanson, c’est un placement de père de famille. Faut pas le gaspiller !" Jacques Borgé, lui, propose dans Paris-Match du 13/11/1961 trente questions qui confrontent Georges Brassens et Léo Ferré. Précisons que ce dernier se produit à l'Alhambra pendant que son confrère passe à l’Olympia. De nombreux points communs (à la question que pose le titre – Ferré Brassens: êtes-vous toujours anar ?, leur réponse sera bien sûr positive) mais aussi quelques divergences apparaissent: sur le jazz par exemple, que Brassens adore et dont Ferré dit que les fans ont une mentalité de boy-scouts. Où sur Johnny Hallyday, que Ferré qualifie de produit d’importation, mais que Brassens trouve sympathique. À ce sujet, Bernard Lonjon rappelle à juste titre que lors de ses débuts, l'idole des jeunes a interprété deux chansons du sétois moustachu: Le petit cheval et Le parapluie. [Lonjon B., 2021. Brassens l’enchanteur - pp. 278-279] À l’Olympia – En écoutant Brassens, c’est sous ce titre que Paul Carrière signe, dans Le Figaro du 15/11/1961, un article qui met l’accent sur les nouvelles chansons de Brassens tout en pointant, comme l’a fait Jean Jouquey, la place importante qu’y tient la Camarde. Une rétrospective de la première partie du programme est également proposée.

Dans Candide, Paul Giannoli publie en date du jeudi 16/11/1961 (le 15/11 est cependant plus probable, car ce journal paraît le mercredi et le samedi de chaque semaine) Deux anarchistes qui enchantent les bourgeois, un article qui, comme celui de Paris-Match, oppose Georges Brassens et Léo Ferré. On y apprend qu’à eux deux, nos auteurs-compositeurs-interprètes attireraient six mille spectateurs chaque soir ! Leurs carrières respectives, l’argent, l‘anarchie, Dieu… tous ces sujets sont abordés au fil de l’article et illustrés par les propos des intéressés. À noter qu’en annexe, les paroles d’une nouvelle chanson de Léo Ferré récemment tombée sous le couperet de la censure, Les temps sont difficiles, sont proposées in extenso. Dans Ciné Revue, une brève paraît également le 16/11, illustrée d’une photo prise le soir de la première et montrant Brassens entouré des actrices Pascale Petit, Mylène Demongeot et Marie-Josée Nat. Le lendemain, la rubrique Arts – Lettres- Spectacles de l’hebdomadaire Témoignage chrétien nous emmène suivre Brassens dans sa loge, avant le début de son récital, puis dans la salle de l’Olympia, cependant qu’il se trouve devant son public. Intitulé Georges Brassens tel qu’en lui-même, l’article est rédigé à quatre mains: Claude Fléouther [sic] pour la première partie, Claude Gault pour la seconde.

Le 17/11/1961 est une date particulière puisqu’il s’agit de celle du Gala annuel du Monde Libertaire. Georges Brassens fait donc une infidélité à Bruno Coquatrix pour aller se produire au palais la Mutualité rejoindre Jean Bériac, Léon Campion, Serge Farkas, Les 3 Horaces, Le Trio Math Samba, René Paul, Michel et Christian ainsi que Francesca Solleville. L’affiche, qui paraît dans Le Monde Libertaire de novembre 1961, mentionne aussi la présence d’un grand ballet espagnol. Le spectacle, qui débute à 20H45, est présenté par Simone Chobillon.

Pour clôturer cette revue de presse, quatre autres articles, dont le premier est daté du 18/11/1961 et nous donne une vision de la chanson au début des années 1960, tout en passant en revue les artistes majeurs du moment et leurs performances scéniques. La chanson, même de qualité, a ses fans, c’est son titre, est publié dans Jours de France, sans signature. L’une des photos qui illustrent l’ensemble montre Brassens en compagnie de Trenet. Près d’un mois et demi plus tard (le 30/12/1961), dans la rubrique Disques du même magazine, Yves Salgues présentera trois des opus les plus récents, dont le 33T 25 cm Georges Brassens N°8 (Philips B 76.512 R), mis en regard de celui d’Yves Montand Rengaine Ta Rengaine… (Philips B 76.536 R). Ceci est d’ailleurs mis en avant par le titre de l’article: Brassens et Montand au sommet de leur forme ce Noël. Le troisième disque cité est Chansons pour l'automne (La voix de son maître – FDLP 1101), de Jean-Claude Pascal. Le 26/11/1961, la revue Top Réalités Jeunesse ratissait plus large en mettant un coup de projecteur sur toutes les nouveautés du moment en matière de chanson. L’article en question, intitulé Disques au top, s’intéresse bien sûr au 33T 25 cm Georges Brassens N°8 et se trouve illustré, comme le précédent, par une photo du troubadour sétois sur la scène de l’Olympia. Enfin, un entrefilet paru dans La Vie Parisienne en décembre 1961 sous le titre très sobre À l’Olympia – Georges Brassens propose un rapide compte-rendu du spectacle en défendant quelque peu Brassens vis-à-vis des reproches – musiques toutes semblables, thème de la mort trop présent dans les textes – qui ont parfois été faits à son tour de chant. Quelques mots sont dévolus à certains des artistes de la première partie.

Alors que Georges est cité parmi les chanteurs les plus demandés avec Gilbert Bécaud et Sacha Distel, selon un sondage réalisé par Europe N°1 sur 26000 de ses auditeurs [Sermonte J.-P., 2001. Brassens au bois de son cœur - p. 104], sans compter les échanges lors des jeux téléphoniques qui se déroulent sur la station tous les soirs à 18H, une séquence de neuf chansons – La marche nuptiale, Le vieux Léon, Tonton Nestor, Celui qui a mal tourné, Dans l'eau de la claire fontaine, Le temps passé, L’orage, La traitresse et Le mécréant – enregistrée à l’Olympia le 27/12/1961 (le 21/11 paraît plus probable) est diffusée dans l’émission de Claude Dufresne Le spectacle est permanent, sur Paris Inter le jour de l'an 1962. C’est à la fin de cette nouvelle année que Brassens donnera, mais il ne le sait pas encore (et son public non plus), son dernier récital sur la scène du 28, boulevard des Capucines…

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