A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

J'ai rendez-vous avec vous

"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

dimanche 15 janvier 2023

"J’avoue que si les canadiens ont un climat froid, ils compensent largement par la chaleur de leur accueil." (Georges Brassens)

Nous sommes au tout début des années 1960, à Vaudreuil-Dorion, ville québécoise située dans la MRC (Municipalité régionale de comté) de Vaudreuil-Soulanges dans la région de la Montérégie. À l’étage de sa fermette du 186, chemin de l’Anse, dans une pièce qu’il nomme son "grenier", Félix Leclerc est à sa table de travail et se concentre sur l'écriture, comme il le fait tous les matins. Quelques nouvelles chansons naissent, notamment Je cherche un abri, Chanson en russe et La vie, l'amour, la mort. La première figurera sur l'album Le roi heureux (Philips B 77.389 L) à venir dans les bacs en 1962, tandis que les deux autres paraîtront deux ans plus tard sur Félix Leclerc (Philips B.77.801 L). En parallèle, l’auteur de la pièce Le P’tit Bonheur, présentée par la compagnie de théâtre VLM au centre des loisirs de Vaudreuil et à l’auditorium du collège Bourget à Rigaud en 1948, peaufine Le Calepin d’un flâneur, un recueil dans lequel il compile des réflexions sur divers sujets, notamment la nature, la pauvreté ou encore son rapport au Québec. L’année 1960 est aussi, pour Félix Leclerc, celle d’un passage au célèbre cabaret-restaurant Chez Gérard qui va être le point de départ d’une histoire suscitant un grand intérêt auprès des passionnés de chanson francophone. L’agent artistique et restaurateur Gérard Thibault, propriétaire de l’établissement situé à Québec, rue Saint-Paul, face à la gare, en évoque ses souvenirs dans son ouvrage Chez Gérard (1988), coécrit avec Chantal Hébert.

Gérard Thibault: "Lors de son dernier passage Chez Gérard en 1960, Félix Leclerc m’avait fortement recommandé d’entrer en communication avec Jacques Canetti, son imprésario parisien, qui était aussi directeur du théâtre Les Trois Baudets, pour inciter Georges Brassens, un autre de ses protégés, à faire une tournée au Canada. Je suivis ce judicieux conseil et pris rendez-vous avec M. Canetti. Déjà, il connaissait bien nos établissements pour leur excellente réputation propagée en France dans les milieux artistiques par les grandes vedettes, Particulièrement Félix Leclerc et Charles Trenet, et il n’hésita aucunement à tenter de convaincre Georges Brassens, le solitaire, de traverser l’Atlantique pour rendre visite aux québécois."

Outre Jacques Canetti, Jacques Brel et Raymond Devos n’ont aucun mal à encourager leur ami à entreprendre ce périple, eux qui sont revenus enchantés d’une tournée les ayant amenés à se produire à la Comédie canadienne à Montréal du 13 au 19/03/1961. Le sétois moustachu, poussé par la curiosité malgré ses réticences lorsqu’il s’agit de voyager, accepte donc de s’engager dans cette aventure de plus de trois semaines, sous l’égide de Jacques-Gérard Productions Inc., société que Gérard Thibault a fondée en 1960 avec l’acteur et imprésario Jacques Lorain, lui permettant de maintenir la qualité et d’assurer la rentabilité des spectacles présentés dans son cabaret (ainsi que d’autres établissements qu’il possède) malgré l’augmentation des coûts. Il loue ainsi des salles à Montréal et en province pour pouvoir signer des contrats à long terme avec les vedettes. Au fil de vingt dates, Brassens se produira au Théâtre de la Comédie canadienne, à l’Université de Montréal pour un récital organisé par Stéphane Venne, Chez Gérard, sans oublier quelques jours en province ainsi que des passages radiophoniques et télévisés. Pour ces derniers, une rémunération de 3500 $ CA est budgétée.

Gérard Thibault: "En mai, un contrat fut signé pour un bon cachet (11500 $ CA, soit environ 8300 € actuels). Je devais, en plus, assumer le coût des billets d’avion de Brassens, Mme Heiman, sa secrétaire (sic) et Pierre Nicolas son contrebassiste, son accompagnateur (…) La venue de Brassens suscitait bien des controverses dans le public. J’étais préoccupé par l’incertitude de l’accueil que lui réserveraient les critiques et le public, quoi que l’ayant vu deux fois à Bobino et aux Trois Baudets, j’avais bien analysé la réaction possible de certains québécois. Puis finalement je fis confiance à la majorité de notre public qui était, me semblait-il, apte à accepter une certaine gauloiserie non coutumière sur nos scènes. Par ailleurs, de nombreux journalistes à qui j’avais annoncé la visite de Brassens au Canada m’avaient manifesté leur enthousiasme. Enfin, le contrat était signé: "l’ours" s’en venait et le public l’attendait."

Il est également  important de souligner le contexte politico-économico-culturel de l’époque, chez nos cousins que l’on appelle encore "les Canadiens français". La Révolution tranquille, qui en est à ses prémices, va peu à peu imprimer des transformations à la société. L’idée de "nation québécoise" est appelée à s’imposer devant l’opinion mondiale. L'affirmation collective des francophones est le vecteur principal de ce tournant majeur. Aussi, la venue prochaine de Georges Brassens suscite un engouement non négligeable, comme le montre un article intitulé Georges Brassens à Montréal et paru dans La Presse le 16/09/1961 (soit six jours après la diffusion sur Radio-Canada de l’émission Terre Nouvelle animée par l'abbé Marcel Brisebois et qui propose des extraits de chansons de Jacques Brel et Georges Brassens). De ce sentiment découlera plus que probablement l’accueil chaleureux et enthousiaste qu’il recevra durant toute sa tournée dans la Belle Province la même année où Félix Leclerc est invité à signer le livre d'or de sa ville natale, La Tuque, par le maire Lucien Filion, un ancien camarade de classe.

Le 21/09/1961, l’émission radiophonique de Janine Paquet Métro Magazine, diffusée sur Radio-Canada Montréal, se fait le relais de l’arrivée de l’auteur-compositeur de La mauvaise réputation le lendemain. Pierre Onténiente ne fait pas partie du voyage mais, n’aimant pas prendre l’avion, il n’insiste pas auprès de Jacques Canetti. Dans Brassens, le regard de "Gibraltar" (2006), il expliquera à Jacques Vassal que Socrate n’avait pas voulu lui payer ses billets. Georges, qui regrettera par la suite l’absence de l’ami Gibraltar, voyage donc seul avec Püpchen – qu’il a fait passer pour sa secrétaire – et Pierre Nicolas. Lorsque, après une heure et demie de retard, il atterrit à l’aéroport de Dorval, aujourd’hui devenu aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal, quelques artistes sont présents pour l’accueillir et lui souhaiter la bienvenue: le comédien, humoriste et chanteur Jacques Desrosiers, Jacques Lorain et la comédienne, metteuse en scène, directrice de théâtre, scénariste et réalisatrice Denyse Filiatrault (qui sont en ce temps-là mari et femme) et, bien sûr, Félix Leclerc, venu à sa rencontre.

Arrivée de Georges Brassens à l’Aéroport de Dorval (21/09/1961) © Robert Millet. P179-Y-01-02-D006-P125 Archives de la Ville de Montréal

Entrevue de Georges Brassens et Félix Leclerc à l’aéroport de Dorval (21/09/1961) © Robert Millet. P179-Y-01-01-07-D016-P017 Archives de la Ville de Montréal

Les deux compères engagent une conversation autour de la guitare, de leurs chansons et de François Villon. De nombreux journalistes et photographes sont massés dans une des salles d’attente de l’aérogare où quelques curieux sont de passage. Georges apparaît fatigué – il est 3H du matin (donc le 22/09/1961), heure française – mais répond volontiers aux questions qui lui sont posées. Dans son édition du 22/09/1961, le quotidien La Presse titre Brassens est arrivé. Jacques Keable présente l’auteur-compositeur de Marinette, avant de retracer son atterrissage sur le sol montréalais puis de donner quelques informations sur la tournée qui se profile. Un entretien est diffusé dans le cadre du numéro de Métro Magazine daté du même jour. À ce sujet, il est intéressant d’écouter un extrait de celui accordé à Andréanne Lafond pour la mouture télévisée de l'émission Carrefour et rediffusé dans la capsule Félix Leclerc, à l’origine de la chanson d’auteur – "Brassens et la leçon de simplicité de Félix Leclerc" sur ici.radio-canada.ca le 23/09/2014:

Ces mots pourraient être complétés par la fameuse allocution  de Félix Leclerc "Pas de grimaces, voici mes chansons de vous à moi, en copains…" que Brassens aime citer. [Lamy J.-C., 2004. Brassens, le mécréant de Dieu - p. 226] Il se souvient de Leclerc se présentant au public accompagné uniquement de sa guitare, sans orchestre, une première en France au tout début des années 1950. Ainsi, l’auteur-compositeur de Moi, mes souliers est-il devenu une source d'influence pour lui comme pour ses confrères Jacques Brel et Guy Béart, entre autres. À la Une de Radiomonde en date du 30/09/1961 figure une photo de Georges Brassens et de Félix Leclerc en pleine conversation. Dessous, le court texte suivant vient en commentaire: "Quand Georges Brassens est arrivé à Montréal, le premier ami qu’il a embrassé fut Félix Leclerc, qui s’était porté à sa rencontre. À qui voulait l’entendre, à l’aérogare, Brassens a fait le commentaire suivant, en montrant Félix: "Voici l’homme qui, en 1950, m’a ouvert le chemin. Il fut le premier, en Europe, à déchirer la robe fleur-bleue de la chanson. À chanter vrai. Après qu’il fut parti, j’ai pu démarrer…" Le compliment n’était pas mince."

Du 23/09 au 01/10/1961, le sétois moustachu est à Montréal et se produit au Théâtre de la Comédie canadienne. Chaque spectacle est présenté par Jacques Lorain. En première partie se succèdent Margot Lefebvre, Joël Denis, les acrobates Willy et Jo puis les danseurs-mimes Benny et Judy. À son entrée en scène, Brassens est longuement et chaleureusement applaudi. La presse écrite se fait bien évidemment le relais de l’évènement, avec deux articles élogieux sur la soirée du 24/09/1961 et parus le lendemain: À la Comédie-Canadienne – Au music-hall: Georges Brassens, par Jean Béraud dans La Presse et À la Comédie-Canadienne, Georges Brassens, par Jean Basile dans Le Devoir. À noter que tous les deux ne sont pas tendres avec les artistes de la première partie. Tandis que, dans Le Nouveau Journal du 25/09/1961, Jean Paré met en avant la connaissance que le public québécois a des chansons de Georges et que Jean-Paul Filion lui dresse un portrait tout en images dans un article de l’édition du 30/09/1961 et intitulé La tendresse du chêne, deux annonces paraissent dans La Presse du 30/09/1961 pour les derniers spectacles montréalais ainsi que le récital à l’auditorium de l’Université de Montréal, devant un public constitué uniquement d’étudiants. Il est précisé que Brassens sera seul – avec, bien sûr, Pïerre Nicolas – au programme. L’évènement, organisé sous le patronage de l’Association générale des étudiants de l'Université de Montréal (AGEUM), se tiendra le 04/10/1961.

Le jour de la dernière à la Comédie canadienne, un autre portait signé Jean Laurac paraît dans Le Petit Journal: Propos de vedettes – "J’adore Félix… et vos sandwiches" (Georges Brassens). On y découvre que le sétois moustachu, très heureux de son séjour, a émis le souhait de revenir au Québec. Malheureusement, cela ne se produira pas. Il nous restera toutefois de précieux enregistrements effectués à la Comédie canadienne et conservés durant cinquante ans, avant d’être redécouverts et publiés en 2011 grâce à Martin Duchesne, directeur artistique de XXI-21 Productions, et aux Archives Nationales du Québec (Fonds Gérard-Thibault), sans oublier la collaboration de Patrice Lozano. À l’écoute du document en question, on prend un immense plaisir, en écoutant le récital de Brassens, mais aussi ses apartés comme ce "Tu dérailles ce soir [...]" adressé à Pierre Nicolas à la fin d’Hécatombe et que Pierre Schuller (Auprès de son Arbre) évoque dans une interview pour le quotidien Le Devoir. Par ailleurs, lorsque Jacques Lorain clôture ce qui pourrait être la dernière soirée (il n’a pas été possible de dater précisément les enregistrements), il annonce que Les Compagnons de la Chanson succèderont à Georges Brassens. Dans les notes qu’il a rédigées pour le livret de l’album, Martin Duchesne nous fait part d’une anecdote intéressante: "À Montréal, malgré un agenda accaparé par les interviews radio, télé et journaux, on a voulu lui faire goûter l'exotisme local et une expédition fut organisée à la réserve amérindienne voisine de Caughnawaga [dont le nom actuel est Kahnawake 14] où un "pow-wow" était organisé au profit des touristes.  Cette soirée nous a laissé quelques photos inattendues." L’une d’elles est incluse dans le livret qui accompagne le disque.

Le 02/10/1961, un entretien de Brassens avec Lizette Gervais est diffusé sur Radio-Canada dans le cadre de l’émission des 25 ans de la station, réalisée par Marcel Henri et Marc Perron. Le sétois y évoque entre autre la réputation d’ours et d’enfant terrible qui lui a été faite dès le début de sa carrière. S’en suivent trente minutes de tour de chant, avec huit chansons: L'orage, Si le bon Dieu l'avait voulu, Les sabots d'Hélène, Le bricoleur (avec Eddie Barclay et son orchestre), La chasse aux papillons, Chanson pour l'Auvergnat, La cane de Jeanne et La mauvaise réputation. Et c’est le même jour que Georges fait une incursion hors du Québec pour aller chanter côté anglophone, à Ottawa, où une réception "intime" est donnée en son honneur à l’Ambassade de France.  Le concert se tient, lui, au Glebe Collegiate Institute (GCI). Dans le livret de l’album Georges Brassens - La Comédie-Canadienne - Montréal 1961, Martin Duchesne y va de son commentaire.

Martin Duchesne: "Il trouvait que la salle était bien grande, mais a vite compris lorsque quelque temps après son arrivée, il vit entrer un bataillon de diplomates, ministres, militaires, chargés d’affaires et industriels de tous crins. Sa seule consolation fut de constater que ces gens-là étaient heureux de faire la queue pour lui serrer la main et d’annoncer d’un air complice: "J’aime beaucoup ce que vous faites" !"

On notera par ailleurs que si Brassens se voit proposer de faire une incursion à New York où avaient émigré plusieurs de ses ancêtres italiens, il décline poliment l’invitation. Bien que Püpchen ait volontiers visité The Big Apple, elle perçoit que les habitudes casanières de son Georges sont bien ancrées en lui. De retour au Québec le 03/10 pour chanter à Trois-Rivières, il donne son récital pour les étudiants montréalais le lendemain. C’est peut-être à cette occasion qu’il accorde une entrevue (publiée dans le N°105 de la revue Les Amis de Georges (septembre-octobre 2008), il ne m’a pas été possible, à ce jour, d’en retrouver la source initiale) à quelques étudiants admiratifs et… bruyants, qui lui posent des questions parfois inattendues. Parmi les sujets abordés: Félix Leclerc et les autres artistes québécois, Jacques Brel et son œuvre, les rapports du sétois moustachu avec le public des deux côtés de l’Atlantique, le thème de la femme dans ses chansons, ses impressions sur le Québec et son envie d’y retourner un jour. À noter que Pierre Nicolas est interrogé sur sa rencontre avec celui qu’il surnommera le "Vieux". Une courte relâche s’en suit les deux jours suivants. Félix Leclerc qui veille au bon déroulement de la tournée, reçoit Georges chez lui, très amicalement, tandis que son Calepin d’un flâneur, qui vient de paraître, fait l’objet d’un article de Jacques Keable dans La Presse du 05/10/1961. Peut-être en parlent-ils tous les deux au fil d’une conversation.

Du 07 au 14/10, Brassens se produit Chez Gérard, équivalent des Trois Baudets à la Ville de Québec, et que Gérard Thibault a ouvert le 06/11/1948. Le restaurant, à l’époque nommé Chez Gérard – Soda Fountain, a connu une rapide évolution grâce à des musiciens engagés pour créer une atmosphère qui est devenue celle du café-concert parisien, du cabaret, dès lors que l'accordéoniste Frédo Gardoni, la chanteuse Michèle Sandry et l'animateur de radio Saint-Georges Côté ont rejoint l’équipe. Le lieu s’est alors mué en une boîte à chansons très prisée dès janvier 1949 sous l'impulsion de Charles Trenet qui a offert de s'y produire pour un cachet dérisoire après une visite inattendue. Il y a créé des chansons telles que Dans les rues de Québec, Voyage au Canada, Le Coupeur de bois, Dans les pharmacies et plusieurs autres dont Mon cinéma muet, qu’il a fait découvrir pour la première fois au public du célèbre établissement de la rue Saint-Paul. Un peu plus de dix ans après le Fou chantant, c’est Brassens qui y est chaleureusement applaudi. L’animatrice de radio et écrivaine Georgette Lacroix, qui anime une chronique à la station CHRC et reçoit à son micro les grandes vedettes de l'heure de passage à Québec, revient sur l’évènement. Elle est citée dans l’ouvrage Chez Gérard (1988).

Georgette Lacroix: "Le défi de Gérard Thibault était de permettre au public d’associer un visage à une voix. Mais les artistes qui ont fait les cabarets à l’époque, je pense à Brel ou Brassens, étaient avant tout des poètes qui chantaient et n’étaient pas toujours à l’aise devant un public. Cependant l’accueil des québécois les mettait à l’aise. L’époque des cabarets, ça a été une époque de poésie ; ça nous a révélé Vigneault, Brassens, Brel et les autres."

La première soirée, celle du samedi 07/10/1061, est commentée dans un article de La Presse du 10/10, signé R. D'A. Le titre en est Celui qu’on attendait depuis 10 ans – Les Québécois conquis par Georges Brassens. De plus, Gérard Thibault nous fait partager ses souvenirs du passage du troubadour sétois sur la scène dont il a forgé la célébrité.

Gérard Thibault: "Lorsqu’André de Chavigny le présenta, la foule qui remplissait la salle lui réserva une ovation debout. Aussi, dès ce moment, toutes mes craintes se dissipèrent. Le public voulait le voir et, même si on avait eu vent de ragots de temps à autre avant son arrivée, on s’aperçut dès son entrée en scène quel charisme il pouvait avoir sur l’auditoire (…) c’était un homme charmant qui, guitare à la main, glissant un mot à son contrebassiste, Pierre Nicolas, tournait un peu en rond pendant que les gens applaudissaient. Puis il posa le pied droit sur la chaise et gratta sa boîte. Dans la salle, personne ne respirait. Brassens, lui, regardait la salle, anxieux et grattant toujours le même accord. Il se décida, et voilà La chasse aux papillons, puis Le fossoyeur, Pénélope, Auprès de mon arbre, La marche nuptiale, Le cocu et Brave Margot."

Fait intéressant, les Compagnons de la chanson sont dans les mêmes temps à l’affiche d’un autre établissement: le restaurant À la Porte Saint-Jean, à l’étage duquel a été installée une salle de spectacle. Gérard Thibault en est également le propriétaire et dirigeant, comme c’est le cas pour La Boîte aux chansons, située juste à côté, sans oublier Chez Émile et À la Page blanche. Ainsi va avoir lieu la première véritable rencontre entre Fred Mella et l’auteur-compositeur du Gorille (bien que leurs tournées se soient croisées au moins une fois à l’époque des débuts de Brassens, nous indique Philippe Borie sur le blog de l’association L’Amandier), les amenant à tisser de forts liens d’amitié par la suite. Le fondateur et soliste du groupe révélé par la chanson Les Trois Cloches, enregistrée avec Édith Piaf en 1946, nous fera partager ses souvenirs, cités par Christian Deville-Cavelin dans le N°169 de la revue Les Amis de Georges (mai-juin 2019): "C’était à Québec, dans un cabaret où tous les grands artistes avaient chanté et dont Charles Trenet m’avait donné l’adresse." À Gérard Thibault, il déclare sur le moment: "C’est la première fois que je rencontre Georges Brassens ! C’est incroyable, il fallait que je vienne au Québec pour faire sa connaissance !"

Autre artiste qui va vivre une expérience toute particulière aux côtés du sétois moustachu: Gilles Vigneault, qui s’est fait connaître durant l’été 1960 à La Boîte aux chansons. C’est là qu’il donne des tours de chant en octobre 1961. Il témoigne dans l’ouvrage de François-Régis Barby, Passe l’hiver (1978).

Gilles Vigneault: "(…) Donc, je chantais à "La Boîte-à-Chansons" où l’on était "fou". Un propriétaire nous avait loué le local et tout cela marchait gentiment. On avait fait venir du monde: Pauline Julien, Catherine Sauvage, des artistes qui, eux, ne passaient pas dans les cabarets chics au milieu des danses et du strip-tease."

Brassens, lui, fait le bonheur des spectateurs de Chez Gérard. L’auteur-compositeur de Jos Montferrand (chanson qui n’échappe pas à la censure parce qu'elle contient le mot "cul" en ouverture du premier vers) en éprouvera plus tard des regrets.

Gilles Vigneault: "Il serait venu chez nous, il aurait fait un triomphe. Il était attendu par un public qui, sans bien connaître, aurait fait fête à ses chansons. Georges en garde un souvenir… "périssable". Quand on lui parle, il n’écoute pas, et il a raison. Il se souvient peut-être qu’après mon tour de chant, j’allais l’attendre chez Gérard et je l’accompagnais à l’hôtel, considérant comme un honneur de porter sa guitare. J’admirais beaucoup ce qu’il faisait. J’admire toujours, d’ailleurs."

Dans le livret de l’album Georges Brassens - La Comédie-Canadienne - Montréal 1961, Martin Duchesne aborde cette anecdote, précisant que le public de La Boîte aux chansons est majoritairement étudiant, donc sans doute plus familier avec le répertoire de Brassens. Des informations supplémentaires demandent toutefois à être obtenues afin d’en savoir plus sur le déroulement de chacun des tours de chants de notre troubadour héraultais dans le célèbre établissement de Gérard Thibault où l’attend chaque fois un public acquis et fidèle, mais restreint. Pour en revenir à Gilles Vigneault, il se trouve très souvent présent dans les coulisses en fin de soirée, au point que Brassens le croit d’abord être un régisseur de la maison. On le lui présente comme un enseignant (métier qu’il a exercé à la Garnison Valcartier de 1954 à 1956, puis à l'Institut de technologie de Québec (de 1957 à 1961), où il dispense des cours d'algèbre et de français, et enfin à l'Université Laval durant l'été en 1960 et en 1961) mais il découvrira vite, derrière cette façade, un tout jeune confrère débutant dans le métier et pour qui l’année 1961 est celle d’un premier grand récital au Chat Noir puis au Gesù (dont le soubassement a été aménagé en auditorium devenu par la suite l’un des plus anciens lieux culturels de Montréal). Dans un entretien avec Laurent Bourguignon pour un numéro de l’émission radiophonique D'un jour à l'autre le 20/08/1970, Gilles Vigneault parle de sa rencontre avec Brassens. En plus de nous apprendre qu’à cette époque, ce dernier est logé à l’Hôtel Clarendon, il révèle une pensée que le sétois lui a fait partager et qui exprime son sentiment sur le métier qu’ils exercent tous les deux:

Georges Brassens: "Tu sais, tout ce qu’on peut faire, nous autres, c’est montrer de temps en temps une petite lumière au bout du chemin."

Et Vigneault de rajouter poétiquement: "Même quand on ne la voit pas." On peut l’écouter dans La tournée de Georges Brassens au Québec racontée par Steve Normandin (Radio-Canada, 15/12/2017). Du côté de la presse écrite, on trouve une curiosité, dans Le Devoir du 11/10/1961: sous le titre Et l’on avait annoncé une soirée-musique-et-chant !, une lettre rédigée six jours auparavant, dans laquelle s’exprime une dame d’un certain âge, particulièrement offusquée par les "gros mots" contenus dans les paroles de certaines des chansons qu’elle a entendues lors du récital de Brassens à l’Université de Montréal. Signée "Tante Ida et ses trois compagnes", la missive rend toutefois compte du succès de la soirée: "Amphithéâtre archicomble, chaises dans les allées, gens debout, etc., malgré les lois qui régissent les lieux d’amusements publics."

Par ailleurs, dans Le Soleil du 14/10/1061, on trouve une interview de Georges par Paule France Dufaux. Republiée dans N°3 de la revue Les Amis de Georges (juillet-août 1991), elle nous permet de redécouvrir que, suite à une petite incompréhension des propos qu’il a tenus au sujet de son admiration pour Félix Leclerc et de ce qu’il lui doit, le sétois moustachu fait une mise au point: "Il y a eu un malentendu lorsqu’à Montréal, j’ai parlé de Félix Leclerc. Ce que j’ai dit de la guitare qui est notre seul point commun a engendré une suite d’histoires invraisemblables. Que je m’inspire de Leclerc, que je marche sur ses brisées etc… etc… J’aime ce que fait Leclerc en tant que Leclerc, mais s’il y a deux hommes au tempérament opposé, je crois que c’est bien lui et moi. Nous n’avons pas du tout la même conception de la vie, de l’amour, de l’homme… Ce que ce gars-là a fait et qui m’a aidé, c’est qu’il se soit présenté le premier sur une grande scène avec ses chansons, sa guitare et une chaise pour poser le pied. Voila…" Il tient de nouveau ce discours devant un groupe de jeunes qui l’interrogent également sur son style de chansons, sa façon d'interpréter celles-ci, ses débuts sur scène. Cette séquence, diffusée dans l’émission télévisée L'Écran des jeunes (Radio-Canada, 01/12/1961) animée par le jeune comédien Claude Laroche, voit Brassens se prêter avec simplicité et générosité aux questions des reporters en herbe puis conclure l’entretien  en chantant, à leur demande, Le petit cheval.


Des recherches supplémentaires seraient intéressantes à effectuer afin de déterminer la source d’origine de ce document. L’ultime émission à laquelle Georges participe est Music-Hall, réalisée par Pierre Morin et dans laquelle Jacques Normand l’accueille pour un récital de neuf chansons: L’orage, La Prière, Hécatombe, Brave Margot, Le Père Noël et la petite fille, Le vieux Léon, Les funérailles d’Antan, La balade des dames du temps jadis et La chasse aux papillons. C’est dernier grand rendez-vous québécois de Brassens, à Montréal, le dimanche 15/10/1961 à 20H30. Les autres artistes au programme de la soirée sont les danseurs Benny et Judy, la fantaisiste Clémence Desrochers, les danseurs de Michel Conte et le danseur fantaisiste Pierre Le Bon, comme indiqué dans l’article de la revue La semaine à Radio-Canada du 14 au 20/10/1061 qui nous apprend également qu’Estelle Caron fait sa rentrée le même jour. Dans Le Devoir du 17/10/1961, Monique Roy rend compte, au fil d’un article intitulé Télévision – Music-Hall, de ce qui aura été une sorte de final en apothéose pour Georges Brassens qui est retourné en France très content, puisqu’il a triomphé partout, en plus d’avoir rencontré des gens forts sympathiques. On remarquera que la journaliste pointe et déplore la vision étroite qu’ont eue certaines personnes des chansons du sétois moustachu, du fait des expressions et des termes familiers qu’elles recèlent.

Le bilan de cette tournée québécoise est donc très positif, puisque, malgré des appréhensions de départ, aussi bien du côté de Georges que de celui des producteurs et tourneurs d’outre-Atlantique, chaque spectacle aura été présenté à guichet fermé et marqué par un enthousiasme certain du public. Dans Pour vous Monsieur Brassens, d'affectueuses irrévérences (2011), Robert Le Gresley retrace l’épopée entière en se mettant dans la peau d’un admirateur québécois qui confie son ressenti. Du pays voisin, c’est le titre donné à ce témoignage virtuel qui montre bien les différentes réactions du public. Touché par la chaleur et la simplicité de l’accueil qu’il a reçu, le "pornographe du phonographe" garde de très agréables souvenirs de ce séjour, qu’il a immortalisé par une série de prises de vues… mais pas par des chansons, contrairement à Charles Trenet. Dans un entretien avec Jacques Vassal à Paris le 17/09/1990, le fidèle Gibraltar reviendra sur le fait que, comme dit plus haut, l’aventure de son ami dans la Belle Province est néanmoins demeurée unique.

Pierre Onténiente: "(…) il n’a jamais réussi à y retourner. Tous les ans, l’agent québécois, Guy Latraverse, quand il passait à Paris, me demandait de faire revenir Georges au Québec. À chaque fois, je devais lui répondre: "Pas cette année, Georges fait ci ou ça…" Il s’est accroché pendant je ne sais combien d’années." [Vassal J. - Brassens, homme libre - p. 390]

Toutefois, il va retrouver Félix Leclerc lorsque celui-ci s’installe en France à La Celle-Saint-Cloud en 1964 (selon un courriel de Jean Dufour daté du 04/07/2014 et cité dans l’ouvrage Félix Leclerc – Héritages et perspectives paru en 2019). Cette année est celle d’un évènement important pour l’auteur-compositeur de La complainte du pêcheur: son entrée au N°123 de la prestigieuse collection Poètes d’aujourd’hui des Éditions Pierre Seghers. Ce qui fait de lui le premier auteur québécois à être ainsi honoré. Le livre en question bénéficie d’une élaboration sous la direction de Luc Bérimont. Il contient une riche étude d’introduction à l’homme et son œuvre, à laquelle s’ajoute un choix de textes en prose ainsi que de paroles de chansons. Georges Brassens, lui, a vu le N°99 lui être consacré peu de temps avant, au cours du quatrième trimestre 1963.

Ses visites chez le créateur du P’tit bonheur, ainsi que les moments passés à flâner sur les terrains de sa ferme ou sur les berges du Saint-Laurent, Brassens ne les a pas oubliés. Il va pareillement le recevoir à son domicile, à Crespières, puis à paris, rue Santos-Dumont. Quant à Félix Leclerc, qui séjournera de temps en temps à Poigny-la-Forêt (78) dans une maison où s’installera, plus tard, Luc Bérimont, il aura la partie d’autant plus facile pour rejoindre le "Moulin de la Bonde". Tous deux s’estiment beaucoup, comme hommes et comme artistes. Ils aiment converser ensemble. La Camarde est l’un de leurs sujets de prédilection. Brassens ne se lasse pas d’entendre les anecdotes macabres de son confrère qui a exercé le métier d’aide-embaumeur durant quelques semaines en 1939. Tout cela nous est confirmé par Pierre Onténiente mais aussi par Jean Dufour, qui allait bientôt devenir agent, secrétaire, chauffeur et technicien de Félix Leclerc (via la signature d’un accord de collaboration en avril 1967, quelques mois après leur première rencontre à la fin de l’année précédente, sous l’impulsion de Jean-Pierre Ferland).

Jean Dufour: "Félix allait de temps à autre passer une journée chez Georges à Crespières. Je n’ai été présent qu’une seule fois à l’une de leurs rencontres, mais il existe une photo sur une pochette d’un disque de Félix où on les voit ensemble et qui, à mon sens, résume parfaitement la nature de leur relation. Vous savez que Félix, parmi ses métiers de jeunesse, avait été embaumeur. Il a raconté des tas d’anecdotes à Brassens sur la façon dont on embaumait les morts et Brassens était complètement fasciné en l’écoutant. Et le regard qu’il porte à Félix, sur cette photo, est très révélateur de ce qu’il voyait à travers lui." [Vassal J. - Brassens, homme libre - p. 371]

La photo en question*, pour laquelle une part d’inconnu subsiste quant au lieu où elle a été prise ainsi qu'à l’identité de l’auteur (le crédit ‘J.-L. FRUND et X…’ est mentionné pour l’ensemble des clichés utilisés), illustre le verso – en bas à gauche – de la pochette du 33T français Mes Longs Voyages (Philips 844.716), paru en 1968.


Au cours de leurs longues conversations, Georges et Félix parlent également de leurs croyances, du poids de l’Église dans la société. Comme Jean-Claude Lamy nous révèle dans son ouvrage Brassens - le mécréant de Dieu (2004), Leclerc fait part à son compère sétois de sa tristesse et de sa colère après son entretien à Paris avec Mgr Léger, l’évêque de Montréal. En plein désarroi conjugal (son couple avec Andrée Vien bat de l’aile), il cherchait à être réconforté mais, au contraire, l’évêque lui a fait une leçon de morale. Imprégné, comme Brassens par sa mère, d’une éducation catholique, il est sorti très frustré ‒ voire avec un sentiment de colère ‒ de cette rencontre.

Félix Leclerc: "Ils n’ont pas évolué depuis le Moyen Âge. La femme est toujours l’incarnation du pêché. Il faut se soumettre… avancer dans les ténèbres." [Lamy J.-C., 2004. Brassens - le mécréant de Dieu - p. 258]

L’auteur-compositeur de Mes longs voyages se lie aussi avec Jean-Pierre Chabrol, surtout à la fin des années 1960, comme le confirme Jean Dufour dans un courriel adressé aux auteurs de Félix Leclerc – Héritages et perspectives (2019) en date du 06/07/2014. Le chamborigaudois s’exprime au sujet de ses deux amis, dans un témoignage que l’on trouve au sommaire du N°73 de la revue Les Amis de Georges (mai-juin 2003).

Jean-Pierre Chabrol: "Il a été le premier de "l’Opération Guitare." Georges et Félix avaient les mêmes gestes câlins pour prendre au creux de leurs bras l’instrument femelle aux doubles rotondités. Dans la solitude voulue de leur loge, avant de monter sur scène, Georges et Félix tendaient l’oreille au cœur ouvert qui devait gémir juste: mi, la, ré, sol, si, mi, ils transpiraient, c’était fort, c’était capital, ces notes de la guitare maternelle derrière laquelle s’abritaient, quatre-vingt-dix minutes, ces deux timides."

À noter que, dans Félix Leclerc, d’une étoile à l’autre (1998), Jean Dufour n’a pas manqué de relater les liens entre Félix et Jean-Pierre… qui n’est autre que le préfacier du livre ! Un extrait a été inclus dans le N°2 de Passage de l'outarde – Le petit journal sympathique de l’Espace Félix-Leclerc (Printemps 2005).

Mais revenons-en à Brassens. Leclerc et lui se retrouvent également dans le milieu de la chanson, comme le montre par exemple une photo de Fred Mella datée de décembre 1964 et publiée dans Brassens au bois de son cœur (2001). On peut les y voir en compagnie de l’animateur de radio, humoriste et acteur Maurice Biraud, Charles Aznavour et le compositeur Georges Garvarentz. Il est possible que ledit cliché ait été pris au foyer du balcon de l’Alhambra. En effet, Brassens s’est produit dans la célèbre salle de music-hall du 50, rue de Malte (Paris 11e) le 03/12/1964. Également, une autre photo est connue, montrant nos deux troubadours en compagnie de Jean Ferrat dans les coulisses de Bobino, à l'occasion du Gala de La fine fleur de la chanson française 1967, retransmis sur la deuxième chaîne de l'ORTF et présenté par Luc Bérimont.

Si Félix Leclerc savoure ces moments partagés entre confrères, il n’en est pas franchement de même lors de réunions à caractère officiel comme par exemple, les réceptions organisées par Jacques Canetti. Gérard Davoust, président des Éditions Raoul Breton, qui a contribué au développement de sa carrière en Europe, nous le raconte.

Gérard Davoust: "Autour d’une table qui réunissait Fred Mella et Suzanne Avon, Georges Brassens, Jacques Brel, Raymond Devos, Félix et quelques autres, c’était tout un spectacle ! Entre Félix et Brel, le courant ne passait pas trop, mais Raymond et Félix étaient deux "magiciens", chacun à sa manière, qui s’appréciaient beaucoup.
Quand les rencontres étaient sans prétention, tout allait bien pour Félix. Mais dès que c’était plus officiel – les réceptions chez Jacques Canetti, par exemple, – il était moins à l’aise. Il en était venu à connaître les codes et à s’adapter, mais je crois qu’il préférait nettement les fêtes au Québec !"
[Giroux M., Gince P., 2022. Félix Leclerc et nous - p. 125]

Autre anecdote intéressante, narrée dans un article ayant pour titre Georges Brassens, Félix Leclerc et les imprésarios genevois recourent au Tribunal fédéral et publié dans l’hebdomadaire L’Express le 07/03/1967 : au début du printemps de cette année, les imprésarios genevois s’unissent pour protester contre une décision des pouvoirs publics de taxer à la source, à hauteur d’un tiers des gains bruts, les artistes étrangers qui se produisent dans les salles de spectacle de la ville. Ils déposent un recours au Tribunal fédéral, paraphé par des signatures prestigieuses, dont celles de Georges Brassens et de Félix Leclerc.

En 1970, de retour au Québec, le futur auteur-compositeur du Tour de l’île s’installe dans sa nouvelle maison de l’île d’Orléans avec Gaétane Morin, épousée l’année précédente en secondes noces et dont il aura deux enfants: Francis, qui deviendra réalisateur, et Nathalie, future directrice générale et artistique de l’Espace Félix-Leclerc et vice-présidente de la Fondation Félix-Leclerc. De nouvelles publications vont voir le jour. Musicales, mais aussi littéraires. Parmi ces dernières, on notera Le Petit Livre bleu de Félix ou Le Nouveau Calepin du même flâneur et Rêves à vendre, tous deux parus en 1978. Dans le second recueil, Georges Brassens est cité à deux reprises, comme l’indique le mémoire de Maîtrise en études littéraires élaboré par David Prince en 2010 et intitulé Les calepins de Félix Leclerc.

Lorsqu’il est de passage à Paris, l’auteur-compositeur de L’Ancêtre (Brassens a lui aussi enrichi son répertoire d’une chanson ainsi intitulée) profite de l’occasion pour rendre visite amicalement au sétois moustachu. Leur dernière rencontre remonterait à 1976, avant l’ultime rentrée de Georges à Bobino. En apprenant la nouvelle de la disparition de celui-ci, Leclerc est atterré. Dans le quotidien québécois Le Soleil du 31/10/1981, Louis-Guy Lemieux retranscrit l’expression de ses sentiments, de ses souvenirs. L’article, qui a pour titre Une grande blessure pour Félix, est élaboré à partir d’entretien téléphonique qui s’est tenu la veille, en début de soirée. Du dernier jour d’octobre 1981, citons également Le Devoir avec, en Une, un encadré titré Brassens meurt à 60 ans et dont le texte se poursuit page 20, puis La Presse, dont l’article Georges Brassens, le sauvage du music-hall français, "quitte la vie" après 30 ans de chanson est illustré d’une photo prise en 1961, montrant Félix et Georges lors de l’arrivée du second sur le sol québécois.

C’est à Félix Leclerc que revient donc le mot de la fin, celui qu’il écrira à Jean-Paul Sermonte le 19/09/1984 et qui prendra place dans Brassens au bois de son cœur (2001). Un hommage chaleureux à l’homme, mais aussi à son œuvre intemporelle:

"Brassens était un oublieux. Il lui arrivait d’oublier son cachet dans des maisons de jeunes qui avaient besoin d’argent (à la condition que personne ne le sache). Sur le coin de la table, il a aussi oublié quelques chansons éternelles. Mais ça, c’était difficile de le cacher."

 

*Il s'agit d'un cliché qui accompagnera également un court reportage destiné à la série en dix épisodes Heureux qui comme Félix, animée par Monique Giroux, produite par la Société Radio-Canada (Réal. Jacques Bouchard) et diffusée à l'été 1998.

4 commentaires:

  1. Quel travail de recherche ! Absolument impressionnant... Un grand BRAVO, Sébastien ! (Michel A.)

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  2. Avez vous le dernier enregistrement du concert donné par GB à la Comédie Canadienne ? J'en ai l'exclusivité en France, et peux vous offrir le CD. Patrice Lozano ( patrice-lozano@orange.fr)

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