L’an 1954 est celui de la consécration pour Georges Brassens qui vient de sortir son second 33T 25 cm, Georges Brassens interprète ses dernières compositions - 2e Série (Polydor 530.024). Il tourne dans près de soixante villes de France tout en passant aussi par la Belgique, la Suisse et, pour la première fois, l’Afrique du Nord. Plus précisément au Maroc, avec un récital programmé dans le cadre de la Foire Internationale de Casablanca. Parmi la presse locale, on note entre autre Le Petit Marocain qui, via un encart publié dans la rubrique Spectacles de son édition du 03/05/1954, annonce l’évènement sis à la Brasserie-Restaurant de la Foire: Georges Brassens - La plus grande vedette de Paris. Deux dates sont indiquées : les 04 et 05/05/1954. Toutefois, la seconde est à considérer avec une extrême prudence car, à ma connaissance, la littérature brassénienne n’en fait pas mention, ni même les autres sources qui ont été mises à ma disposition. Il ne m’a donc pas été possible, à ce jour, de la vérifier. Un même encart figure également dans l’édition du lendemain, dont la rubrique Les nouvelles du monde rapporte l’ouverture d’une galerie d’art par le peintre Xavier Dumas. L’article, signé Albert ABT., a pour titre Les artistes …et les arts - Un coup d’épée dans l’eau. Les connaisseurs de l’œuvre de Georges penseront au recueil manuscrit que celui-ci eut constitué en 1942 avec intention de publication: Des coups d’épée dans l’eau. Mais ces poèmes restèrent inédits jusqu’à leur révélation par André Larue dans son ouvrage Brassens - Une vie (1982). Le récital de Brassens fait la une du Petit Marocain du 05/05/1954, qui relate l’évènement comme suit :
"Georges Brassens, enfant terrible de la chanson est pour la première fois au Maroc. Le compositeur et interprète de "Brave Margot", "Gare au gorille", "La chasse aux papillons" qui sont déjà sur toutes les lèvres se produit au restaurant de la Foire."
L’entrefilet, illustré d’une photo de l’artiste, est marqué des initiales de son rédacteur: 'Ph. P.M.'. Plus loin, à la page consacrée aux évènements de Casablanca, est retranscrite une interview accordée par le sétois moustachu le jour même du spectacle, lors d’un apéritif dans le hall de l’hôtel où il fut logé, l’El Mansour. Cependant, l’intégralité de l’entretien n’a pas été rapportée: seules figurent les réponses à des questions dûment sélectionnées, qui permettent de retracer les débuts de Brassens dans la chanson et de faire connaître au public quelques traits de sa personnalité. L’article, signé P.P.D., est intitulé L’anarchiste de la chanson Georges Brassens doit à la police de chanter à Casa. On y apprend que son arrivée se trouva avancée d’une journée, suite à une erreur logistique. Georges débarqua alors le lundi 03/05/1954 à l’ancien aéroport de Casablanca-Anfa, plus connu jadis dans l’aviation civile sous le nom de Camp Cazes. Voici son témoignage:
Georges Brassens: "J’ai failli repartir par le premier avion, ne sachant pas où je devais descendre et qui m’avait engagé. Cela ne m’ennuyait pas tant que cela. Je suis un chanteur qui déteste chanter. Le commissaire du port aérien m’a finalement reconnu et dépanné. Un comble ! Moi qui ridiculise la police en chansons ! Elle comporte des "types bath", je l’avoue."
Ainsi s’explique alors le titre de l’article ! Plus loin, dans la rubrique Spectacles, on trouve un encart annonçant une dernière fois le supposé second récital évoqué plus haut: Irrévocablement - Dernier jour de Georges Brassens - La plus grande vedette de Paris.
Dans L’Écho d’Alger du 18/05/1954, mention est faite de l’important succès obtenu par le Festival du Disque Philips, mettant à l’honneur Jacqueline François. L’interprète de C’est le printemps chanta le soir du samedi 15/05 au cinéma Le Majestic (aujourd’hui devenu la salle Atlas), situé dans le quartier populaire Bab El-Oued de capitale algérienne. La nouvelle, signée A.M., indique sa prochaine destination pour le 18/05: le cinéma Le Régent (aujourd’hui devenu la salle Maghreb), à Oran. En outre, sont signalées les tournées respectives de Georges Brassens et de Juliette Gréco.
Le Petit Marocain - 05/05/1954 [© Bibliothèque Nationale] |
Georges Brassens: "J’ai failli repartir par le premier avion, ne sachant pas où je devais descendre et qui m’avait engagé. Cela ne m’ennuyait pas tant que cela. Je suis un chanteur qui déteste chanter. Le commissaire du port aérien m’a finalement reconnu et dépanné. Un comble ! Moi qui ridiculise la police en chansons ! Elle comporte des "types bath", je l’avoue."
Ainsi s’explique alors le titre de l’article ! Plus loin, dans la rubrique Spectacles, on trouve un encart annonçant une dernière fois le supposé second récital évoqué plus haut: Irrévocablement - Dernier jour de Georges Brassens - La plus grande vedette de Paris.
Dans L’Écho d’Alger du 18/05/1954, mention est faite de l’important succès obtenu par le Festival du Disque Philips, mettant à l’honneur Jacqueline François. L’interprète de C’est le printemps chanta le soir du samedi 15/05 au cinéma Le Majestic (aujourd’hui devenu la salle Atlas), situé dans le quartier populaire Bab El-Oued de capitale algérienne. La nouvelle, signée A.M., indique sa prochaine destination pour le 18/05: le cinéma Le Régent (aujourd’hui devenu la salle Maghreb), à Oran. En outre, sont signalées les tournées respectives de Georges Brassens et de Juliette Gréco.
Le sétois moustachu effectue par la suite deux tournées en Afrique du Nord. Ces dernières sont organisées par Jacques Canetti qui, depuis l’Occupation, y dispose de nombreux contacts privilégiés. Et ce, dans plusieurs pays. En effet, on se souvient que le 11/11/1942, date à laquelle il fut parti pour Alger après avoir rejoint la zone libre avec Pierre Dac, Jeanne Sourza, Raymond Souplex et Françoise Rosay, il prit la direction de Radio-Alger à laquelle il donna le nom de Radio France. Après avoir quitté rapidement son poste puis rencontré René Capitan, représentant la France Libre et le Général de Gaulle en Afrique du Nord, Canetti fonda à Alger le théâtre des Trois Ânes avec Clairette May, Geneviève Mesnil, Lucienne Vernay et les chansonniers Georges Bernardet, Pierre-Jean Vaillard et Christian Vebel, ainsi que Simone Delaroche au piano. Toute la troupe tourna alors de l’Algérie à l’Égypte et, grâce aux fonds collectés, contribua à la création du mouvement de résistance Combat.
Revenons à présent au début de l’année 1955 et plus précisément en février, où Brassens retrouve l’autre côté de la Méditerranée pour les dates suivantes (indiquées par lui-même dans son agenda "Moderne" [Brassens G., 2014. - Journal et autres carnets inédits - pp. 326-327]) : 01/02 à Tunis, 02 et 03/02 à Alger, 04/02 à Oran, 05/02 à Casablanca, 06/02 à Rabat, 07/02 à Marrakech et 08/02 de nouveau à Oran. Dans un entretien avec Jacques Vassal à Paris le 13/10/1990, Jacques Canetti revient sur le succès qui en a découlé:
Jacques Canetti: "En Afrique du Nord, ça a très bien marché. C’était le public français de là-bas. Il y avait un excellent public, qui adorait sortir." [Vassal J., 2011. - Brassens, homme libre - p. 386]
Le mardi 01/02/1955, Brassens arrive à Alger depuis Marseille où il vient d’effectuer trois récitals les 28, 29 et 30/01. Il accorde une interview à la presse le matin à l’hôtel Aletti-Palace, avant de prendre un nouvel avion pour Tunis en début d’après-midi. Les journalistes lui parlent d’El Bahdja, qu’il ne connait pas encore.
Georges Brassens: "C’est en effet la première fois que viens à Alger. Je ne connaissais que Casablanca jusqu’à ce jour. Je suis heureux d’être ici car rien de ce qui touche aux hommes ne me laisse indifférent. Mais il n’empêche que je déteste quitter Paris. C’est au fond là que l’on se sent le mieux."
Il parle ensuite de l’écriture de ses chansons, de ses inspirations. Outre la retranscription de l’interview, on notera que l’article paru dans L’Écho d’Alger du 02/02/1955 et signé Robert-Yves Quiriconi évoque d’entrée de jeu la réputation d’ours mal léché qui le poursuit depuis ses débuts (et qui fera le tour des journaux durant l’intégralité de la tournée). Pour autant, elle est rapidement contredite, comme l’indique le titre: Georges Brassens a (pourtant) détruit le mythe de l’"homme gorille". Remarquons un chapeau révélant une anecdote croustillante: Un comble… il a voyagé en avion aux côtés d’un gendarme ! Mais, en effectuant la réservation des billets d’avion, Pierre Onténiente ne pouvait savoir…
Le premier récital a donc lieu à Tunis le soir du 01/02 à 21H15 dans la salle Le Colisée, un des plus anciens cinémas du pays, fondé en 1932. L’évènement est annoncé dès le 29/01/1955, par un encadré inséré dans La Presse de Tunisie. Dans son édition du 01/02/1955, le même quotidien rappelle l’information, en précisant l’horaire ainsi qu’un aperçu de ce qui attend le public en première partie: Unique soirée de gala - Pour la première fois à Tunis: Georges Brassens - La plus grande vedette du Music-Hall avec huit attractions internationales. Plus loin, on découvre un article présentant le sétois moustachu: Les grandes soirées du Music-hall - Georges Brassens, le "gorille de la chanson". Le chapeau fait allusion à Patachou qui s’adressa ainsi à la presse, après avoir découvert Georges: "Je viens d’engager quelqu’un de formidable dans mon cabaret. Vous en entendrez parler bientôt, il s’appelle Georges Brassens." On apprend par la suite que Brassens succède à Gilbert Bécaud qui triompha à Sfax l’année précédente. À la suite du corpus de l’article sont citées les impressions de plusieurs journalistes en France sur le sétois. On peut relever des noms comme Henry Magnan (Le Monde), Guy Dormand (Libération) ou encore François Holbane (Comédia).
Par ailleurs, deux annonces sont également publiées dans la rubrique Spectacles de Tunisie-France et dans Tunis-Soir du 01/02/1955: Georges Brassens sur la scène du Colisée à 21H15. Et la soirée rencontre un franc succès, comme le montre le message qui évoque les réservations: "Hâtez-vous de louer ! Il reste encore quelques places." D’autres informations figurant dans les quotidiens précédemment cités vont dans le même sens: la feuille de location du Colisée indique que les meilleures places sont parties très rapidement. De plus, les transports en commun sont organisés spécialement afin de permettre aux spectateurs de la banlieue de Tunis d’assister au spectacle: les derniers Tunis-Goulette-Marsa (TGM) et trains de la Banlieue Sud ne quitteront Tunis qu’après la fin du gala.
Le spectacle est présenté par Louis Bugette qui est au programme de la première partie avec Dominique Dali, Les Shivers (acrobates qui exécutent un numéro de mains), la fantaisiste acrobatique Germaine Richleys, le jongleur Tolly Berr, le fantaisiste Pierre Laurent et André Vallon. Ce dernier est souvent comparé à l’acteur, chanteur et danseur américain Danny Kaye, dont Pierre Richard s’inspira et qui lui fit découvrir sa vocation. Lors d'une conférence à la Cinémathèque française, l’acteur-vedette du Grand Blond avec une chaussure noire (1972) indiqua que le visionnage du film Un fou s'en va-t-en guerre (Up in Arms), d’Elliott Nugent, le marqua par l'humour et la gestuelle de Danny Kaye qui correspondent au type de burlesque qui l’intéressa pour le développement de son propre jeu. Pour en revenir à Brassens, voici la liste des chansons de son récital et de ceux à venir pour le reste de la tournée (telle que notée par l’artiste lui-même pour janvier à septembre 1955 dans son agenda "Pensées" [Brassens G., 2014. - Journal et autres carnets inédits - p. 329]): J’ai rendez-vous avec vous, Une jolie fleur, Le parapluie, P… de toi, Les sabots d’Hélène, Le gorille, La prière ou Il n’y a pas d’amour heureux, Hécatombe, Chanson pour l’Auvergnat, Je suis un voyou, Le fossoyeur, Brave Margot, La cane de Jeanne et Le mauvais sujet repenti.
Le 02/02/1955, La Presse de Tunisie et Tunisie-France se font l’écho de cette soirée mémorable avec deux articles respectivement titrés Au Colisée - Georges Brassens et Georges Brassens au Colisée (par G. P.). Brassens, lui, se dirige vers Alger pour deux dates: 02 et 03/02. Et c’est au Majestic à partir de 21H que le spectacle continue. On apprend, par L’Écho d’Alger, que les artistes de la première partie sont accompagnés par le pianiste Jean-Pierre Michel. Le 04/05/1955, c’est à Oran qu’à lieu la représentation suivante. Plus précisément dans la salle de cinéma Le Colisée (aujourd’hui devenue Es-Saâda), située dans le centre-ville d'Oran. Le lendemain, dans L’Écho d’Oran, on trouve une annonce dans la rubrique L’écho de la ville pour la soirée du 08/02 à 21H, dans la même salle. Il en est de même pour les deux éditions suivantes du même quotidien. Au passage, on note les mentions qui donnent une idée du succès que Georges et les artistes de sa première partie obtiennent durant cette tournée: 'La plus grande vedette du Music-Hall - L’auteur et compositeur Georges Brassens' ; 'Avec un programme sensationnel de variétés'. Puis arrive le fameux 08/02. L’Écho d’Oran publie une nouvelle annonce dans la rubrique L’écho de la ville ainsi qu’une manchette intitulée Gala Georges Brassens au "colisée". Par son art, Brassens y est considéré comme "l’homme qui occupera la place que Prévert occupa pendant ces dix dernières années". Le court article note la manière dont le sétois établit instantanément avec son public dès lors qu’il entame son tour de chant. Sont cités quelques titres de chansons parmi les plus appréciées: La mauvaise réputation, Le gorille, Brave Margot et La chasse aux papillons. Le lendemain 09/02, toujours dans L’Écho d’Oran, un nouvel article est publié, rendant compte du spectacle de la veille: Georges Brassens, le chanteur "maudit" à la guitare nostalgique a triomphé au Colisée. Mention est faite de Pierre Nicol [sic], qui l’accompagne sur scène à la contrebasse.
Après la Tunisie et l’Algérie, c’est le Maroc que Brassens parcourt. Il revient tout d’abord à Casablanca pour la soirée du 05/02 à 21H15 au Grand Théâtre. Lors de son arrivée la veille à 17H au Camp Cazes, Il est accueilli par nombre de journalistes et de curieux. À leur demande, le "gorille" au cœur tendre (c’est son surnom dans la presse locale) interprète une chanson sur l’aire d’atterrissage. L’anecdote, illustrée d’une photo, fait la une du Petit Marocain du 05/02/1955, sous la signature de Ph. PM. Dans ce même quotidien, un article de Pierre Dufour présente l’artiste et retranscrit une courte interview: À Cazes, entre deux avions et deux accords - Georges Brassens, le "gorille" au cœur tendre. Outre Le Petit Marocain, il faut également compter Le Courrier du Maroc, qui annonce l’arrivée de Georges dans son édition du 04/02/1955. Dans la rubrique Spectacles de L’Écho du Maroc et du Petit Marocain du 05/02/1955, des encarts annoncent les dates des spectacles. Deux représentations sont annoncées pour le lendemain 06/02 à Rabat, respectivement à 15H et 21H15. Enfin, celle du Théâtre Royal de Marrakesh (07/02) à 21H30. Figurent également la mention 'Grand Prix du Disque - Exclusivité Polydor', en référence à la récompense décernée à Brassens en 1954 pour son 78T Polydor 560.436, comportant Le fossoyeur et Le parapluie. Signalons également l’édition du 06/02/1955 de L’Écho du Maroc dans laquelle est publiée, à la page Rabat, une manchette intitulée Ce que la presse française pense de Georges Brassens. Y sont essentiellement rassemblés des extraits d’écrits de journalistes de l’hexagone, sensiblement identiques à ceux cités plus haut pour La Presse de Tunisie. La photo d’illustration n’est autre que celle d'Henri Guilbaud, utilisée pour les pochettes des deux premiers super 45T de Brassens chez Polydor. Le logo de la firme figure d’ailleurs en bas à droite du cliché.
Cette tournée s’inscrit dans une période marquée par le début des évènements de la guerre d'Algérie, qui se sont déroulés entre le 01/11/1954 et le 03/07/1962 (la proclamation officielle de l’indépendance du pays eut lieu deux jours plus tard). Si Georges Brassens et ses confrères artistes n’y furent pas confrontés sur le moment, il en fut différemment lors de la Tournée Festival du Disque 1959. En outre, le Maroc accéda à son indépendance le 02/03/1956, et la Tunisie, dix-huit jours après.
Quatre dates en Afrique du Nord (en Tunisie et en Algérie) sont au programme pour l’auteur-compositeur de La mauvaise réputation au printemps 1959: le 31/03 à Tunis, le 01/04 à Bône (actuelle Annaba), le 02/04 à Alger et le 03/04 à Oran. Les communiqués de presse de cette tournée de la toute fin des années 1950 nous donnent un certain nombre d’informations. Tout d’abord en ce qui concerne la liste des chansons interprétées par Brassens. Il apparaît que sont mises en avant les huit nouvelles qui constituent le 33T 25 cm Georges Brassens - Volume 6 (Philips B 76.451 R), paru fin novembre 1958: Le pornographe, Le vieux Léon, Comme une sœur, À l’ombre du cœur de ma mie, Le cocu, La ronde des jurons, Le femme d’Hector et Bonhomme. On peut en ajouter six autres, cités dans la presse locale: Au bois de mon cœur, Hécatombe, La marche nuptiale, Le vin, Marinette et Oncle Archibald.
Dans le spectacle proposé par Jacques Canetti pour la Tournée Festival du Disque 1959 (dont Pierre Onténiente est l’administrateur), six artistes passent en première partie : Jean Bertola (Grand Prix du Disque 1957 avec Capitaine d'Aquitaine et qui partagea également l’affiche de l’Olympia avec Georges en octobre-novembre 1958), Roger Comte, qui officie également en tant que présentateur, la chanteuse Nadine Claire, l’humoriste Maurice Vamby, Pierre Maguelon dit Petit Bobo, et Pia Colombo (qui figura elle aussi au programme de l’Olympia de Brassens en automne 1958). Sans oublier Oswald d’Andréa, qui accompagne les artistes au piano.
Le voyage aller de Marseille (où toute la troupe donna trois spectacles les 28, 29 et 30/03) vers Tunis se fait en avion DC6, quadrimoteur Constellation à hélices. Dans Mon équipée avec Georges Brassens (1999), Roger Comte se souvient que le vol dura presque six heures. À l’arrivée le 31/03 à 14H à la base aérienne de l’Aouina, Brassens est accueilli par de nombreux journalistes. Le soir, dans la salle du Colisée, le public applaudit à tout rompre. Dans la presse locale, Georges est décrit comme un authentique troubadour. Toujours un peu rural, un peu chansonnier, un peu joueur de vielle du Moyen-Âge. Parmi les quotidiens qui couvrent l’évènement, citons tout d’abord La Presse de Tunisie du 02/04/1959 avec un article intitulé Brassens, poète de la chanson: "L’air ne compte pas chez moi…", qui évoque en outre le tournage du film Porte des Lilas (1957). Plus loin, un second article qui propose une rétrospective du spectacle: Une soirée avec Brassens …est trop peu. La Dépêche tunisienne du 02/04/1959 publie une photo prise juste après l’atterrissage de l’avion qui transportait les artistes. On y reconnait Georges Brassens avec Nadine Claire, Roger Comte, Pierre Maguelon et Pia Colombo. L’article ainsi illustré a pour titre L’énigme Georges Brassens. Dans le même journal, on trouve une courte revue du récital du sétois et sa première partie: Georges Brassens au Colisée. Enfin, Tunisie-France du 02/04/1959 comporte également un assez long article signé V. N., qui revient sur la fameuse soirée: Hier au Colisée, Georges Brassens n’a pas "mâché ses mots".
Après le spectacle, tout le monde se retrouve chez les parents d’Oswald d’Andréa autour d’un excellent couscous tunisien. Des amis de la famille, des voisins ainsi que quelques photographes se joignent à la tablée. Dans Mon équipée avec Georges Brassens (1999), Roger Comte se remémore avec amusement ce repas, marqué par un défi gourmand que Brassens gagne haut la main ! De son côté, Oswald d’Andréa se souvient également de ce qu’il décrit, selon ses propres termes, comme un repas-débat sur la littérature, un souper-procès sur la chanson, une bouffe "satirico-critique" sur le métier.
Oswald d’Andréa: "(…) Maman avait bien du mal à servir cette assemblée affamée, assoiffée et braillarde. De mon côté, je parvenais difficilement à calmer mon père, désireux de s’exprimer vaillamment sur la voix insuffisante de Georges, la monotonie de sa ligne mélodique, et la longueur éprouvant de la seconde partie du spectacle ! L’appréciation paternelle quant aux qualités vocales de Brassens, était des plus réservée. Le poète semblait s’en amuser ! Sa mère étant, elle aussi, d’origine italienne, il avait dû déjà entendre parler du Bel Canto. A l’aide d’autres anecdotes, on réussit à museler papa. On passa, grâce à Dieu (et à quelques Saints musiciens) aux desserts et aux signatures du Livre d’Or de maman." [d’Andréa O., 2002. - L’oreille en fièvre - p. 167]
Le 01/04/1959, tout le monde se dirige vers Bône, par un vol avec escale à Constantine. Dans la ville du malouf, Brassens et ses acolytes changent d’appareil pour monter dans un Junkers Ju 52, un avion de transport allemand conditionné pour les parachutistes, récupéré à la Libération. Le voyage est difficile. Dans Mon équipée avec Georges Brassens (1999), Roger Comte relate l’arrivée à Bône en plein conflit. Tous reçoivent pour consigne de ne pas quitter l’hôtel, avant de rejoindre le Théâtre Municipal en soirée pour un nouveau succès époustouflant. Le lendemain, c’est vers la capitale algérienne que se poursuit la Tournée Festival du Disque 1959. Déjà, L’Écho d’Alger du jour publie un entrefilet dans sa rubrique Spectacles, annonçant un Unique Gala Georges Brassens. Outre le prix des places, compris entre 500 et 1800 francs de l’époque, il est indiqué que le spectacle n’est ni télévisé, ni radiodiffusé. L’édition du 03/04 nous dévoie une photo de Georges Brassens descendant de l’avion qui le transportait. Une brève, intitulée Georges Brassens à Alger, donne les informations suivantes: "Par l’avion régulier de la Compagnie Nationale Air France, en provenance de Bône, sont arrivés hier, Georges Brassens et sa troupe. Ils ont été accueillis sur l’aire d’atterrissage par M. Leclaire, des établissements Seiberras et les représentants de la compagnie Air France."
Le spectacle programmé pour Alger se déroule le soir du 02/04 à 20H30 au Majestic. Le succès, encore plus important qu’à Tunis et à Bône, impose la mise en place d’un service d’ordre sur les lieux. Les artistes se font délivrer des laissez-passer. La salle affiche complet, des personnes sont refusées. Dans L’Écho d’Alger du samedi 04/04, un article J.P. Dejean revient sur l’évènement: Jeudi soir, dans un Majestic archicomble, Georges Brassens a été avec Pia Colombo et Jean Bertola le triomphateur du Festival du Disque.
Enfin, reste la représentation du soir du 03/04/1959 au Colisée d’Oran à 21H. Dans son édition de la veille, le quotidien L’Écho d’Oran publie une annonce dans sa rubrique Spectacle. Il en va de même pour le numéro du jour, cette fois via un court article de Michel Perez dans la rubrique L’Écho de la ville. Georges Brassens et Jean Bertola y sont mis en avant. Lors de l’atterrissage de la troupe à la base aérienne 141 Oran-La Sénia. L’accueil est assuré par M. Marcel Cagnon, chef de la promotion "Ventes" d’Air-France. Brassens se prête à une exhibition fantaisiste en montant sur un chariot à bagages poussé tant bien que mal par Pia Colombo et Nadine Claire. La scène est immortalisée d’un cliché que l’on retrouve dans la presse locale et que Roger Comte nous montre dans Mon équipée avec Georges Brassens (1999). Arrive l’heure du spectacle. Comme à Alger, la salle du Colisée, pleine à craquer, doit refuser du monde. Pour l’ensemble des artistes, le retour dans l’hexagone se fait dans la journée qui suit.
Dans le cadre de l’élaboration de son ouvrage Brassens, homme libre (2011), Jacques Vassal s’est entretenu avec la chanteuse franco-algérienne de musique kabyle Djouhra Abouda Lacroix dite Djura. La fondatrice de l’ensemble Djurdjura (du nom de la plus longue chaîne montagneuse de la Kabylie) regrette que, durant les tournées de Georges Brassens en Afrique du Nord, le contact n’ait pu se faire avec les populations arabes ou berbères. En prenant l’exemple de l’Algérie, elle appuie son discours en faisant référence à Léo Ferré qui avait rencontré le succès auprès de ce public dans les années 1980. Ce qui lui fait supposer qu’il eut pu en être de même avec le sétois moustachu. Selon Djura, celui-ci aurait chanté devant "(…) un public de jeunes, de facs, très sévère. Quand ils n’aiment pas, ils tournent le dos et font leur spectacle à eux." Néanmoins, la chanteuse précise qu’au pays de Kateb Yacine, les connaisseurs de l’œuvre de Brassens sont, d’après elle, surtout des étudiants, des enseignants, des médecins. Jacques Vassal analyse les différentes raisons pour lesquelles Georges n’a pas noué contact avec le public algérien pourtant jeune, très ouvert, dynamique et curieux. Il pointe une information très canalisée, ainsi qu’une distribution du disque presque inexistante.
La musique et les textes de Georges Brassens ont très tôt résonné en Djura, qui compare celui-ci à l’auteur-compositeur-interprète, poète et fabuliste kabyle Slimane Azem. Elle met en exergue les similitudes entre les images véhiculées par l’écriture de Brassens et celles de la langue kabyle. À ce sujet, il est intéressant d’évoquer sa reprise de Pauvre Martin en langue berbère (sur une adaptation du poète et dramaturge Mohya), réalisée avec l’ensemble Djurdjura dans le cadre de la création de l’album Asirem (Kondo Râ KRA 3002), paru en 1980. Le titre en question est Muḥ n Muḥ - Pauvre Moh:
Djura: "(…) ça me rappelle l’homme humble universel, pas seulement le paysan de chez moi. Comme une sœur me donne l’impression d’une chanson kabyle ! Si je la chante à ma manière, cela sonne kabyle [elle chante à sa manière, et en effet…]. Les kabyles aiment beaucoup notre version de Pauvre Martin. Ils ne savent pas qu’elle est de Brassens, ni même parfois son nom ; il faut le leur dire, mais elle parle des gens de la terre comme chez eux. Le type qui creuse toute sa vie et qui creusera toujours, c’est toujours ce secret… Car j’ai l’impression que Brassens avait un secret, qu’il savait des choses que les autres ignorent, et qu’il est mort avec. En plus, je sens la percussion chez lui au point que j’ai envie de lui mettre de la derbouka ! J’ai tendance à "kabyliser" toutes ses chansons. Il y a aussi chez lui une forme de mélodie qui semble venue du Moyen Âge. Je sens, par exemple, dans celle du Verger du roi Louis quelque chose de kabyle et d’universel. Il a réussi à prendre des poèmes de Villon ou d’autres, mais on dirait que c’est du Brassens." [Vassal J., 2011. - Brassens, homme libre - pp. 386-387]
Des liens artistiques entre Georges Brassens et l’Afrique du Nord se retrouvent chez d’autres auteurs-compositeurs-interprètes. Ainsi en est-il de Djamel Djenidi, musicien algérien vivant à Montpellier qui a consacré un album tout entier au répertoire de Brassens joué et chanté dans le style chaabi, musique citadine née dans la casbah d'Alger au début du XXème siècle. Musique savante, non écrite mais très codifiée, centrée sur la poésie et le chant, le chaâbi dérive du patrimoine arabo-andalou, auquel il emprunte l'essentiel de son répertoire, sous une forme plus populaire et plus festive.
Djamel Djenidi: "Le chaâbi est très populaire de l'autre côté de la Méditerranée, ça permet de faire découvrir Brassens aux jeunes générations. Ici, on connaît Brassens mais pas le chaâbi, c'est donc un bon échange."
Djamel Djenidi avec l'orchestre El Djamila au festival Brassens de Charavines (2015)
Lors de sa venue en France, Djamel assista à deux récitals de Brassens, dont un à Bobino. Grâce à un minutieux travail de traduction et d'adaptation musicale, il propose aux publics arabophones de découvrir les mélodies et les textes de Georges Brassens, et aux francophones de succomber au charme exquis du chaâbi algérien. Six années de travail furent nécessaires à la traduction des chansons afin de respecter au mieux l’écriture de Georges. Jusque-là, le sétois moustachu fut traduit dans presque toutes les langues du monde, et Djamel s'étonna légitimement d'apprendre que "c'était la première fois qu'il était traduit en arabe" !
De Sète à Alger - c’est le titre de l’album ainsi créé avec l’aide de l’association Auprès de son arbre - parut en août 2013. Il comporte neuf titres interprétés en français et deux en arabe dialectal algérien. En lieu et place de la guitare, Djamel joue de la mandole, accompagné par les rythmes de la derbouka et du tar. Aux arrangements musicaux typiques du chaâbi s’ajoute ici exceptionnellement l'utilisation de la contrebasse, instrument cher à Brassens. Nadia Khouri-Dagher chronique le disque sur le site afrik.com: Brassens en Chaâbi algérien, une jolie fleur déguisée en warda ! (12/11/2013).
Le comédien et metteur en scène Ghassan El Hakim dit Cheikh Ghassens a, lui, traduit Brassens en darija, l’arabe dialectal marocain. Quatorze chansons adaptées dont onze qui ont été interprétées lors du spectacle Cheikh Ghassens a rendez-vous avec vous, programmé au début de l'année 2016. Elles ont été mises en scène de manière à reconstituer tout un environnement adéquat pour la première rencontre de Brassens avec le public darijophone présent à l’Institut français de Casablanca le 23/01/2016.
Cette tournée s’inscrit dans une période marquée par le début des évènements de la guerre d'Algérie, qui se sont déroulés entre le 01/11/1954 et le 03/07/1962 (la proclamation officielle de l’indépendance du pays eut lieu deux jours plus tard). Si Georges Brassens et ses confrères artistes n’y furent pas confrontés sur le moment, il en fut différemment lors de la Tournée Festival du Disque 1959. En outre, le Maroc accéda à son indépendance le 02/03/1956, et la Tunisie, dix-huit jours après.
Quatre dates en Afrique du Nord (en Tunisie et en Algérie) sont au programme pour l’auteur-compositeur de La mauvaise réputation au printemps 1959: le 31/03 à Tunis, le 01/04 à Bône (actuelle Annaba), le 02/04 à Alger et le 03/04 à Oran. Les communiqués de presse de cette tournée de la toute fin des années 1950 nous donnent un certain nombre d’informations. Tout d’abord en ce qui concerne la liste des chansons interprétées par Brassens. Il apparaît que sont mises en avant les huit nouvelles qui constituent le 33T 25 cm Georges Brassens - Volume 6 (Philips B 76.451 R), paru fin novembre 1958: Le pornographe, Le vieux Léon, Comme une sœur, À l’ombre du cœur de ma mie, Le cocu, La ronde des jurons, Le femme d’Hector et Bonhomme. On peut en ajouter six autres, cités dans la presse locale: Au bois de mon cœur, Hécatombe, La marche nuptiale, Le vin, Marinette et Oncle Archibald.
Dans le spectacle proposé par Jacques Canetti pour la Tournée Festival du Disque 1959 (dont Pierre Onténiente est l’administrateur), six artistes passent en première partie : Jean Bertola (Grand Prix du Disque 1957 avec Capitaine d'Aquitaine et qui partagea également l’affiche de l’Olympia avec Georges en octobre-novembre 1958), Roger Comte, qui officie également en tant que présentateur, la chanteuse Nadine Claire, l’humoriste Maurice Vamby, Pierre Maguelon dit Petit Bobo, et Pia Colombo (qui figura elle aussi au programme de l’Olympia de Brassens en automne 1958). Sans oublier Oswald d’Andréa, qui accompagne les artistes au piano.
Le voyage aller de Marseille (où toute la troupe donna trois spectacles les 28, 29 et 30/03) vers Tunis se fait en avion DC6, quadrimoteur Constellation à hélices. Dans Mon équipée avec Georges Brassens (1999), Roger Comte se souvient que le vol dura presque six heures. À l’arrivée le 31/03 à 14H à la base aérienne de l’Aouina, Brassens est accueilli par de nombreux journalistes. Le soir, dans la salle du Colisée, le public applaudit à tout rompre. Dans la presse locale, Georges est décrit comme un authentique troubadour. Toujours un peu rural, un peu chansonnier, un peu joueur de vielle du Moyen-Âge. Parmi les quotidiens qui couvrent l’évènement, citons tout d’abord La Presse de Tunisie du 02/04/1959 avec un article intitulé Brassens, poète de la chanson: "L’air ne compte pas chez moi…", qui évoque en outre le tournage du film Porte des Lilas (1957). Plus loin, un second article qui propose une rétrospective du spectacle: Une soirée avec Brassens …est trop peu. La Dépêche tunisienne du 02/04/1959 publie une photo prise juste après l’atterrissage de l’avion qui transportait les artistes. On y reconnait Georges Brassens avec Nadine Claire, Roger Comte, Pierre Maguelon et Pia Colombo. L’article ainsi illustré a pour titre L’énigme Georges Brassens. Dans le même journal, on trouve une courte revue du récital du sétois et sa première partie: Georges Brassens au Colisée. Enfin, Tunisie-France du 02/04/1959 comporte également un assez long article signé V. N., qui revient sur la fameuse soirée: Hier au Colisée, Georges Brassens n’a pas "mâché ses mots".
Après le spectacle, tout le monde se retrouve chez les parents d’Oswald d’Andréa autour d’un excellent couscous tunisien. Des amis de la famille, des voisins ainsi que quelques photographes se joignent à la tablée. Dans Mon équipée avec Georges Brassens (1999), Roger Comte se remémore avec amusement ce repas, marqué par un défi gourmand que Brassens gagne haut la main ! De son côté, Oswald d’Andréa se souvient également de ce qu’il décrit, selon ses propres termes, comme un repas-débat sur la littérature, un souper-procès sur la chanson, une bouffe "satirico-critique" sur le métier.
Oswald d’Andréa: "(…) Maman avait bien du mal à servir cette assemblée affamée, assoiffée et braillarde. De mon côté, je parvenais difficilement à calmer mon père, désireux de s’exprimer vaillamment sur la voix insuffisante de Georges, la monotonie de sa ligne mélodique, et la longueur éprouvant de la seconde partie du spectacle ! L’appréciation paternelle quant aux qualités vocales de Brassens, était des plus réservée. Le poète semblait s’en amuser ! Sa mère étant, elle aussi, d’origine italienne, il avait dû déjà entendre parler du Bel Canto. A l’aide d’autres anecdotes, on réussit à museler papa. On passa, grâce à Dieu (et à quelques Saints musiciens) aux desserts et aux signatures du Livre d’Or de maman." [d’Andréa O., 2002. - L’oreille en fièvre - p. 167]
Le 01/04/1959, tout le monde se dirige vers Bône, par un vol avec escale à Constantine. Dans la ville du malouf, Brassens et ses acolytes changent d’appareil pour monter dans un Junkers Ju 52, un avion de transport allemand conditionné pour les parachutistes, récupéré à la Libération. Le voyage est difficile. Dans Mon équipée avec Georges Brassens (1999), Roger Comte relate l’arrivée à Bône en plein conflit. Tous reçoivent pour consigne de ne pas quitter l’hôtel, avant de rejoindre le Théâtre Municipal en soirée pour un nouveau succès époustouflant. Le lendemain, c’est vers la capitale algérienne que se poursuit la Tournée Festival du Disque 1959. Déjà, L’Écho d’Alger du jour publie un entrefilet dans sa rubrique Spectacles, annonçant un Unique Gala Georges Brassens. Outre le prix des places, compris entre 500 et 1800 francs de l’époque, il est indiqué que le spectacle n’est ni télévisé, ni radiodiffusé. L’édition du 03/04 nous dévoie une photo de Georges Brassens descendant de l’avion qui le transportait. Une brève, intitulée Georges Brassens à Alger, donne les informations suivantes: "Par l’avion régulier de la Compagnie Nationale Air France, en provenance de Bône, sont arrivés hier, Georges Brassens et sa troupe. Ils ont été accueillis sur l’aire d’atterrissage par M. Leclaire, des établissements Seiberras et les représentants de la compagnie Air France."
Le spectacle programmé pour Alger se déroule le soir du 02/04 à 20H30 au Majestic. Le succès, encore plus important qu’à Tunis et à Bône, impose la mise en place d’un service d’ordre sur les lieux. Les artistes se font délivrer des laissez-passer. La salle affiche complet, des personnes sont refusées. Dans L’Écho d’Alger du samedi 04/04, un article J.P. Dejean revient sur l’évènement: Jeudi soir, dans un Majestic archicomble, Georges Brassens a été avec Pia Colombo et Jean Bertola le triomphateur du Festival du Disque.
Enfin, reste la représentation du soir du 03/04/1959 au Colisée d’Oran à 21H. Dans son édition de la veille, le quotidien L’Écho d’Oran publie une annonce dans sa rubrique Spectacle. Il en va de même pour le numéro du jour, cette fois via un court article de Michel Perez dans la rubrique L’Écho de la ville. Georges Brassens et Jean Bertola y sont mis en avant. Lors de l’atterrissage de la troupe à la base aérienne 141 Oran-La Sénia. L’accueil est assuré par M. Marcel Cagnon, chef de la promotion "Ventes" d’Air-France. Brassens se prête à une exhibition fantaisiste en montant sur un chariot à bagages poussé tant bien que mal par Pia Colombo et Nadine Claire. La scène est immortalisée d’un cliché que l’on retrouve dans la presse locale et que Roger Comte nous montre dans Mon équipée avec Georges Brassens (1999). Arrive l’heure du spectacle. Comme à Alger, la salle du Colisée, pleine à craquer, doit refuser du monde. Pour l’ensemble des artistes, le retour dans l’hexagone se fait dans la journée qui suit.
Dans le cadre de l’élaboration de son ouvrage Brassens, homme libre (2011), Jacques Vassal s’est entretenu avec la chanteuse franco-algérienne de musique kabyle Djouhra Abouda Lacroix dite Djura. La fondatrice de l’ensemble Djurdjura (du nom de la plus longue chaîne montagneuse de la Kabylie) regrette que, durant les tournées de Georges Brassens en Afrique du Nord, le contact n’ait pu se faire avec les populations arabes ou berbères. En prenant l’exemple de l’Algérie, elle appuie son discours en faisant référence à Léo Ferré qui avait rencontré le succès auprès de ce public dans les années 1980. Ce qui lui fait supposer qu’il eut pu en être de même avec le sétois moustachu. Selon Djura, celui-ci aurait chanté devant "(…) un public de jeunes, de facs, très sévère. Quand ils n’aiment pas, ils tournent le dos et font leur spectacle à eux." Néanmoins, la chanteuse précise qu’au pays de Kateb Yacine, les connaisseurs de l’œuvre de Brassens sont, d’après elle, surtout des étudiants, des enseignants, des médecins. Jacques Vassal analyse les différentes raisons pour lesquelles Georges n’a pas noué contact avec le public algérien pourtant jeune, très ouvert, dynamique et curieux. Il pointe une information très canalisée, ainsi qu’une distribution du disque presque inexistante.
La musique et les textes de Georges Brassens ont très tôt résonné en Djura, qui compare celui-ci à l’auteur-compositeur-interprète, poète et fabuliste kabyle Slimane Azem. Elle met en exergue les similitudes entre les images véhiculées par l’écriture de Brassens et celles de la langue kabyle. À ce sujet, il est intéressant d’évoquer sa reprise de Pauvre Martin en langue berbère (sur une adaptation du poète et dramaturge Mohya), réalisée avec l’ensemble Djurdjura dans le cadre de la création de l’album Asirem (Kondo Râ KRA 3002), paru en 1980. Le titre en question est Muḥ n Muḥ - Pauvre Moh:
Djura: "(…) ça me rappelle l’homme humble universel, pas seulement le paysan de chez moi. Comme une sœur me donne l’impression d’une chanson kabyle ! Si je la chante à ma manière, cela sonne kabyle [elle chante à sa manière, et en effet…]. Les kabyles aiment beaucoup notre version de Pauvre Martin. Ils ne savent pas qu’elle est de Brassens, ni même parfois son nom ; il faut le leur dire, mais elle parle des gens de la terre comme chez eux. Le type qui creuse toute sa vie et qui creusera toujours, c’est toujours ce secret… Car j’ai l’impression que Brassens avait un secret, qu’il savait des choses que les autres ignorent, et qu’il est mort avec. En plus, je sens la percussion chez lui au point que j’ai envie de lui mettre de la derbouka ! J’ai tendance à "kabyliser" toutes ses chansons. Il y a aussi chez lui une forme de mélodie qui semble venue du Moyen Âge. Je sens, par exemple, dans celle du Verger du roi Louis quelque chose de kabyle et d’universel. Il a réussi à prendre des poèmes de Villon ou d’autres, mais on dirait que c’est du Brassens." [Vassal J., 2011. - Brassens, homme libre - pp. 386-387]
Des liens artistiques entre Georges Brassens et l’Afrique du Nord se retrouvent chez d’autres auteurs-compositeurs-interprètes. Ainsi en est-il de Djamel Djenidi, musicien algérien vivant à Montpellier qui a consacré un album tout entier au répertoire de Brassens joué et chanté dans le style chaabi, musique citadine née dans la casbah d'Alger au début du XXème siècle. Musique savante, non écrite mais très codifiée, centrée sur la poésie et le chant, le chaâbi dérive du patrimoine arabo-andalou, auquel il emprunte l'essentiel de son répertoire, sous une forme plus populaire et plus festive.
Djamel Djenidi: "Le chaâbi est très populaire de l'autre côté de la Méditerranée, ça permet de faire découvrir Brassens aux jeunes générations. Ici, on connaît Brassens mais pas le chaâbi, c'est donc un bon échange."
Djamel Djenidi avec l'orchestre El Djamila au festival Brassens de Charavines (2015)
Lors de sa venue en France, Djamel assista à deux récitals de Brassens, dont un à Bobino. Grâce à un minutieux travail de traduction et d'adaptation musicale, il propose aux publics arabophones de découvrir les mélodies et les textes de Georges Brassens, et aux francophones de succomber au charme exquis du chaâbi algérien. Six années de travail furent nécessaires à la traduction des chansons afin de respecter au mieux l’écriture de Georges. Jusque-là, le sétois moustachu fut traduit dans presque toutes les langues du monde, et Djamel s'étonna légitimement d'apprendre que "c'était la première fois qu'il était traduit en arabe" !
De Sète à Alger - c’est le titre de l’album ainsi créé avec l’aide de l’association Auprès de son arbre - parut en août 2013. Il comporte neuf titres interprétés en français et deux en arabe dialectal algérien. En lieu et place de la guitare, Djamel joue de la mandole, accompagné par les rythmes de la derbouka et du tar. Aux arrangements musicaux typiques du chaâbi s’ajoute ici exceptionnellement l'utilisation de la contrebasse, instrument cher à Brassens. Nadia Khouri-Dagher chronique le disque sur le site afrik.com: Brassens en Chaâbi algérien, une jolie fleur déguisée en warda ! (12/11/2013).
Le comédien et metteur en scène Ghassan El Hakim dit Cheikh Ghassens a, lui, traduit Brassens en darija, l’arabe dialectal marocain. Quatorze chansons adaptées dont onze qui ont été interprétées lors du spectacle Cheikh Ghassens a rendez-vous avec vous, programmé au début de l'année 2016. Elles ont été mises en scène de manière à reconstituer tout un environnement adéquat pour la première rencontre de Brassens avec le public darijophone présent à l’Institut français de Casablanca le 23/01/2016.
Enfin, n’oublions pas Idir, dont l’œuvre a contribué au renouvellement de la chanson berbère tout en apportant à la culture amazighe une audience internationale. Son album Deux rives, un rêve (2002) comporte une très belle reprise des Trompettes de la renommée:
Puisse l’œuvre de Georges Brassens continuer son chemin de l’autre côté de la Méditerranée et se parer d’autres couleurs orientales qui continuerons d’en souligner la richesse et l’universalité. Car, ainsi que le disait Roger Comte dans sa présentation du spectacle de la Tournée Festival du Disque 1959: "Nous sommes tous ici parce que nous sommes des amis de Brassens exactement comme vous-mêmes, chers spectateurs."
- Un grand merci à Jacques Vassal, dont l'ouvrage Brassens, homme libre (2011) m'a donné l'envie d'explorer de nouveaux horizons brasséniens, à Philippe Borie de l'association L'Amandier ainsi qu'à Pierre Schuller (Auprès de son Arbre) pour leurs recherches ainsi que tous les échanges passionnants qui m'ont beaucoup aidé dans le cadre de mes travaux. Leur collaboration, ainsi que les collections de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) furent précieuses pour l'élaboration de cet article ! -
Puisse l’œuvre de Georges Brassens continuer son chemin de l’autre côté de la Méditerranée et se parer d’autres couleurs orientales qui continuerons d’en souligner la richesse et l’universalité. Car, ainsi que le disait Roger Comte dans sa présentation du spectacle de la Tournée Festival du Disque 1959: "Nous sommes tous ici parce que nous sommes des amis de Brassens exactement comme vous-mêmes, chers spectateurs."
- Un grand merci à Jacques Vassal, dont l'ouvrage Brassens, homme libre (2011) m'a donné l'envie d'explorer de nouveaux horizons brasséniens, à Philippe Borie de l'association L'Amandier ainsi qu'à Pierre Schuller (Auprès de son Arbre) pour leurs recherches ainsi que tous les échanges passionnants qui m'ont beaucoup aidé dans le cadre de mes travaux. Leur collaboration, ainsi que les collections de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) furent précieuses pour l'élaboration de cet article ! -
Je trouve cela tres interressant
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