A propos de ce blog

C'est durant ma petite enfance que j'ai découvert l’œuvre de Georges Brassens, grâce à mon père qui l’écoute souvent durant les longs trajets en voiture. Sur la route des vacances estivales, j'ai entendu pour la première fois Le Petit Cheval alors que je n'avais que 4 ans. C'était en août 1981. Au fil des années, le petit garçon que j'étais alors a découvert bien d'autres chansons. Dès l'adolescence, Georges Brassens était ancré dans mes racines musicales, au même titre que Jacques Brel, Léo Ferré, Barbara et les autres grands auteurs-compositeurs de la même génération. M’intéressant plus particulièrement à l’univers du poète sétois, je me suis alors mis à réunir ses albums originaux ainsi que divers ouvrages et autres documents, avant de démarrer une collection de disques vinyles à la fin des années 1990. Brassens en fait bien entendu partie. Cet engouement s’est accru au fil du temps et d’évènements tels que le Festival de Saint-Cyr-sur-Morin (31/03/2007) avec l’association Auprès de son Arbre. À l’occasion de la commémoration de l’année Brassens (2011), j’ai souhaité créer ce blog, afin de vous faire partager ma passion. Bonne visite... par les routes de printemps !

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"Chaque fois que je chante une chanson, je me fais la belle." Georges Brassens

vendredi 17 avril 2020

"Je ne crois pas en Dieu, je ne l’ai pas rencontré."

Et maintenant même où sont mes vieilles tristesses
De l’an dernier ? A peine si je m’en souviens.
Je dirais : laissez-moi tranquille, ce n’est rien
Si, dans ma chambre, on venait me demander qu’est-ce ?


Georges Brassens dit Il va neiger…, lors d'une des émissions de la série poétique Pirouettes réalisée par Claude Wargnier sur Europe 1, à la fin de l’année 1979.

Ces vers, les premiers que Georges Brassens lut de Francis Jammes et qu'il cite amicalement dans une lettre à Roger Toussenot datée du soir du vendredi 26/11/1948 [Marc-Pezet J., 2001. Georges Brassens - Lettres à Toussenot 1946-1950 - p. 96], sont issus du poème Il va neiger…, lui-même tiré du recueil De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir publié au Mercure de France en 1898. Tout comme J'aime l'âne..., également dit par Brassens dans la même émission Pirouettes, après avoir évoqué Jammes et son initiation à la poésie de celui-ci.*1 De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir est la première œuvre majeure de l’écrivain tournayais qui alla s'affirmer assez rapidement comme l'un des poètes les plus importants de l'après-symbolisme. Parmi celles qui suivirent figurent Le Deuil des primevères (1901), Le Triomphe de la vie (1902), Pensée des jardins (1906) et Clairières dans le ciel (1906), témoins d’une évolution progressive du style d’écriture de l’auteur du Jammisme (1897). Sous l’influence de son ami Paul Claudel, qu’il rencontra en 1900, Francis Jammes affina son style d’écriture, fixa sa versification - à l’origine libre - en optant majoritairement pour l’alexandrin. Une exception, toutefois: le Rosaire que Brassens adapta moins d’un demi-siècle plus tard pour créer sa chanson La Prière, évoquée plus loin.

On peut également noter que durant la période abordée précédemment, qui est celle de l’installation de Jammes à la Maison Chrestia (1897-1907) - où naquirent des romans comme Almaïde d'Étremont ou l'histoire d'une jeune fille passionnée (1901), Le Roman du lièvre (1903), Pomme d'Anis ou l'histoire d'une jeune fille infirme (1904), le poète revint à la foi et à la pratique religieuse (le 07/07/1905 à La Bastide-
Clairence (64), Paul Claudel*2, de retour de Chine, sert la messe qui marque l’évènement) qu’il avait abandonnée dans sa jeunesse. Sa poésie entra alors dans une mouvance plus religieuse et dogmatique. En attestent bien sûr les trois tomes des Géorgiques chrétiennes dont la publication au Mercure de France s’est étalée sur 1911 et 1912. Mais c’est surtout le recueil Clairières dans le Ciel, composé entre le 05/08/1905 et le mois de novembre de la même année, paru pour la première fois en 1906, qui va nous intéresser plus particulièrement. On y trouve, entre autres la série de poèmes intitulées Tristesses, inspirée à Jammes par la douleur liée à l’échec d’une histoire d’amour à l’âge de trente-cinq ans; également le Rosaire - retenu par Georges Brassens - qui conclut la dernière section de l’ouvrage: L'Église habillée de feuilles. Dans l’Œuvre poétique complète de Francis Jammes éditée en 1996, Michel Haurie indique que le titre d’origine de cette dernière - que l’on retrouve dans la table des matières de l’édition de 1906 de Clairières dans le Ciel - est La Chapelle habillée de feuilles. Le monument ayant inspiré Jammes est l’église de Maupas (32), entouré d’un cimetière dans lequel repose Marguerite Caillebar, sœur du poète.


Établir un rapprochement entre ce dernier et l’auteur-compositeur-interprète sétois n’est à première vue pas chose aisée. Il est vrai que Brassens, élevé entre la foi catholique de sa mère très pieuse et l’anticléricalisme de son père, homme généreux, tolérant, libre-penseur, se veut selon toute apparence, agnostique. Il s’en expliqua lui-même:

Georges Brassens: "Personnellement, je déplore de ne pas avoir la foi. Malheureusement. Je la cherche. Et je n’ai rien contre les chrétiens. J’avais beaucoup d’admirateurs parmi eux. Depuis Le mécréant, je ne sais pas. Mais je n’ai rien contre eux.
Je ne crois pas en Dieu, je ne l’ai pas rencontré. Je serais plutôt à tendance anticléricale. Tout en étant moins virulent que dans le temps, parce que je me suis aperçu que là aussi, certains étaient bien."
[Charpentreau J., 1960. Georges Brassens et la poésie quotidienne de la chanson - p. 62]

Plus tard, dans un entretien avec André Sève, Brassens affirma de nouveau ces mêmes propos qu'il approfondit en évoquant en détail l'éducation partagée qu'il eut reçue de ses parents. De surcroît, il argumenta - tout en exprimant sa peine de froisser son interlocuteur et ami - d'une analyse très critique sur la foi chrétienne ainsi que sur certains éléments et faits liés à l'Église catholique et ses représentants (évoqués dans des chansons telles que Tempête dans un bénitier). [Sève A. - Brassens "Toute une vie pour la chanson" - pp. 115-120] 


Au-delà de ces éléments, il est important de souligner que les écrits de Jammes, que Georges découvrit vraisemblablement durant la seconde moitié des années 1940 où il passe des journées entières à la bibliothèque du 14e arrondissement, sont caractérisés par un style plein de fraîcheur, avec des descriptions des choses naturelles (vues comme l’œuvre du Père éternel) empreintes d’enthousiasme. Il y a dans ces vers un souffle nouveau qui suscita discussions et divergences de points de vue dans le milieu.*3 Pour exemple, les points de vue respectifs de deux écrivains par ailleurs également appréciés de Brassens: Jules Renard estima les poèmes de Jammes candides voire mièvres, tandis que Paul Léautaud en fit des commentaires élogieux, y décelant une "sincérité [qui] touche à la naïveté", et "un sentiment d’immense humilité face à la nature et de foi ingénue en Dieu". [Vassal J., 2006. Brassens, le regard de "Gibraltar" - p. 172] Dans La poésie nouvelle (1902), André Beaunier s’exprime ainsi: Très loin de Paris, dans une petite ville pyrénéenne, un poète se cache*4 dont l’œuvre est la plus sincère, la plus touchante, et la plus singulière peut-être de ce temps. Il a son esthétique à lui. La voici : faire simple, absolument simple ; — c’est tout. Brassens fut très certainement sensible à tout cela. Plus globalement à la grande humanité du poète, proche des gens humbles. Ne sont-ce pas des éléments que l’on retrouve dans sa propre production ? Rappelons-nous de ce qu’exprime Pierre Mac Orlan dans son texte inclus au programme édité pour le passage de Georges à Olympia du 03/11 au 03/12/1961:

"Il me paraît difficile de définir en deux lignes l'art de Brassens. L'homme et le poète ne font qu'un. Il en est de même pour l'honnêteté et la bonté qui deviennent les éléments d'une poésie profondément humaine: l'art de Brassens si proche des trouvères du XIII
e siècle, ceux de Picardie et de champagne, en pensant à Rutebeuf et à la misère dans sa pureté."

Une autre piste de réflexion, abordée et développée par Bertrand Dicale dans Brassens ? (1991) : il semble que l’auteur-compositeur de la Chanson pour l’Auvergnat eut une affinité avec la théologie de Jammes. Sans pour autant qu’il soit question de foi, ni de la seule expression d’une interrogation spirituelle. Mais, selon le spécialiste de la chanson française, plutôt d’un sentiment proprement religieux, attaché à des rites, à des pratiques, à des mots et au pouvoir des gestes religieux d'agir sur la réalité du monde.
Dicale parle de nostalgie liée à l'Église catholique de la période de la jeunesse de Georges dans sa région natale et aux alentours. Le lecteur est ici laissé libre d'analyser ce point de vue intéressant (à croiser avec les propos tenus par Brassens à André Sève, dont l'ouvrage est cité plus haut) selon ses propres convictions.

Lorsque, lisant Clairières dans le Ciel, Georges Brassens s’arrêta plus particulièrement sur le Rosaire, il l’étudia de manière approfondie. Cette œuvre se divise en trois pièces poétiques dont le corpus est composé de cinq strophes construites comme suit: cinq alexandrins en rimes plates, suivis d’un hexasyllabe répété à la manière d’un refrain: Je vous salue, Marie. Sur le site de l'association L’Amandier, Philippe Borie explique que Brassens s’intéressa à la seconde pièce, dont le titre initial fut Les Mystères douloureux. Toutefois, André Tillieu, qui posséda l’exemplaire du recueil ayant appartenu à son ami sétois, constata que ce titre - auquel Jammes dût renoncer après la parution de l’édition de luxe - n’y figure pas. [Sermonte J.-P., 2011. Brassens et les poètes - p. 71] Georges sélectionna quatre des cinq strophes des Mystères douloureux: celles intitulées Agonie, Flagellation, Portement de croix et Crucifiement. Ensuite, c’est dans la première pièce poétique - Les Mystères joyeux - qu’il choisit comme conclusion la cinquième, dont le titre est Invention de Notre Seigneur au Temple. Ainsi naquit une chanson au texte plus dépouillé, plus léger, gagnant en efficacité. Brassens la baptisa La Prière.

Dans Brassens - le mécréant de Dieu (2004), Jean-Claude Lamy analyse la construction de la chanson à partir des vers de Francis Jammes. Il explique que sur le fond, les strophes choisies par le sétois moustachu correspondent à sa sympathie envers les plus faibles et les plus démunis. Elles reflètent le fait que Georges fut touché par la sincérité de la compassion, de l'espoir dont Jammes eut voulut témoigner à travers ses écrits. Citant la biographie de l’écrivain - Francis Jammes. Le Ciel retrouvé (2001) - élaborée par l’abbé Joseph Zabalo, Lamy fait le lien avec une définition du poète selon l'auteur du Rosaire: "Un pèlerin de Dieu habité par l’amour des autres et qui aspire au bonheur malgré la souffrance et la cruauté du monde." L’évolution de ses convictions, suite à son retour à la foi en 1905, se lit dans un texte intitulé Le Poète et l’Inspiration, issu de l’opus Champêtreries et méditations (1930). Jammes caractérise alors le poète qu’il voit comme un passeur investi d’une mission divine.

 

Afin d’habiller sa Prière d’une musique qui puisse lui convenir, Brassens fit un choix pour le moins particulier. Il réutilisa la mélodie même qu’il eut composée à l’origine pour Il n’y a pas d’amour heureux, de Louis Aragon. Pourquoi deux chansons sur une même mélodie ? Parce que pour Georges, qui eut l’œcuménisme dans la peau, il n’y a pas d’incompatibilité musicale voire poétique entre les deux auteurs. Leurs textes ont une versification similaire et l'unique partition s'adapte très bien à l'un comme à l'autre, ainsi qu’il le fit remarquer à Jacques Charpentreau au cours d’un entretien dans le cadre de l’élaboration du livre Georges Brassens et la poésie quotidienne de la chanson (1960). Il est très à propos de préciser que Brassens n’eut pas ignoré qu’au XIXe siècle circulaient des mélodies de base sur lesquels les chanteurs pouvaient faire coller les paroles qu’ils avaient composées. Ces mélodies appelées "timbres", que l’on retrouve également dans l’histoire du blues et du jazz, et que le Littré définit ainsi: Premier vers d'un vaudeville connu, qu'on écrit au-dessus d'un vaudeville parodié pour indiquer sur quel air ce dernier doit être chanté. En France, les timbres furent régulièrement utilisés jusque dans les années 1950, notamment par les chansonniers de l’émission de Jean Lec Le Grenier de Montmartre, sur France Inter, qui écrivirent ou même improvisèrent des couplets d’actualité sur des airs standards dont le public eut pour habitude de reprendre les refrains. Du côté de Brassens, l’expérience à laquelle il s’adonna avec les timbres (que Robert Le Gresley relate longuement au fil d'un hommage virtuel de Francis Jammes - Par le baiser perdu - dans Pour vous Monsieur Brassens, d'affectueuses irrévérences, publié en 2011) resta unique. Du fait, selon certaines sources, de quelques vives critiques. Toutefois, la mélodie commune à Il n’y a pas d’amour heureux et La Prière fut employée itou dans une version de travail de l’adaptation de Sur la mort d’un cousine de sept ans, d’Hégésippe Moreau. Ce document fut révélé au grand public par l’intégrale de 2011 - Le temps ne fait rien à l’affaire. Du vivant de Brassens, la chanson resta inachevée et n’eut jamais l’honneur de la publication.


La Prière fut enregistrée le 17/11/1954 au Studio Apollo. La séance se tint de 17H30 à 19H30, supervisée par Claude Appel, qui remplaça André Tavernier ce jour-là. Pierre Fatosme s’affaira à la prise de son. [Sallée A., 1991. Brassens - p. 68] Pour accompagner Georges, Pierre Nicolas à la contrebasse et Victor Apicella à la seconde guitare. Deux prises furent effectuées, le choix se porta sur la première. Dans la seconde, Brassens chante un couplet supplémentaire, placé en avant-dernière position : dans le Rosaire, il s’agit de la troisième strophe (intitulée Nativité) des Mystères joyeux, qui eut retenu son attention lors de ses lectures détaillées. Restée inédite durant plus d’un demi-siècle (bien que toutefois chantée dans l'émission Brassens par lui-même, diffusée en décembre 1956 sur Radio Montpellier), c’est, là aussi, l’intégrale de 2011 - Le temps ne fait rien à l’affaire - qui nous permet de la connaitre aujourd’hui. La création de La Prière valut à Brassens de recevoir, le 13/02/1956, un Choix de poèmes, avec une dédicace de Geneviève Goedorp, veuve de Francis Jammes: "À Georges Brassens, en reconnaissance de la belle chanson "Prière" sur un poème de Francis Jammes." [Lonjon B., 2021. Brassens l'enchanteur - p. 500]


Si, dans la discographie de Georges Brassens, La Prière parut à la fin de l’automne 1954 sur le 78T Polydor 560492, couplée avec Gastibelza (L'Homme à la carabine), c’est Patachou qui, la première, popularisa cette chanson, comme le montre un article de Paul Guth dans la rubrique Cirque, music-hall, cinéma de La Revue des deux mondes daté du 01/06/1954. En effet, suite à la rencontre du 24/01/1952 grâce à laquelle tout commença réellement pour le sétois moustachu, La Prière fit partie des titres que "Tyranette" choisit pour les enregistrer. Ainsi, elle publia un 78T sous la référence Philips N 72.122 H, issu de la séance du 21/10/1952 qui se déroula à la salle Pleyel, "Chopin-Pleyel", de 14H à 19H. Deux prises de La Prière furent mises en boîte; le choix se porta sur la seconde. Il en fut de même pour Le bricoleur (Boîte à outils).

C’est à ce moment qu’il est intéressant de revenir sur l’épineux problème posé par l’utilisation de la même mélodie pour Il n’y a pas d’amour heureux puis pour La Prière. Dans la presse écrite puis dans la littérature brassénienne, des confusions sont nées autour de ce sujet qui fit débat, d’autant plus que les parutions originelles de ces deux chansons sur 78T (octobre 1953 pour Il n'y a pas d'amour heureux, novembre 1954 pour La Prière) ont eu lieu dans l'ordre inverse des dépôts à la Sacem (1953 pour La Prière, 1954 pour Il n'y a pas d'amour heureux). Cette dernière régularisa la situation quelques années après. Lors de l’émission Radioscopie du 30/11/1971, qui lui fut consacrée, Brassens fit une mise au point en présence de Jacques Chancel. Il apporta également un éclaircissement en ce qui concerne le point de vue de Louis Aragon.

Georges Brassens: "J'ai mis un jour en musique le poème d'Aragon Il n'y a pas d'amour heureux. Et je me suis aperçu que le poème de Francis Jammes, La Prière, avait le même mètre et qu'elle marchait sur la même musique. J'ai chanté les deux à Patachou, et Patachou a choisi La Prière de Francis Jammes. On a donc déclaré aux Auteurs [à la Sacem] cette chanson, avec le poème de Francis Jammes et puis j’ai chanté, moi, parce qu’il me plaisait, le poème d’Aragon sur cette même musique. Et c’est la Société des Auteurs qui, pendant quelques années, n’a pas accepté cela. Ce n’est pas du tout de ma faute. Ce n’est pas moi qui ai oublié de le déclarer aux Auteurs. Ce n’est pas du tout mon genre. J’ai… Je me suis simplement borné à demander à la Société des Auteurs d’enregistrer cette chanson et ils n’ont pas voulu pendant quelque temps. Enfin je ne sais pas exactement comment cela s’est passé, c’est arrangé d’ailleurs depuis longtemps. Et Aragon le sait très bien."

Lorsque La Prière fut révélée au public, il est à noter que la frange anarchiste du public de Brassens n’admit pas qu’il exprimât des sentiments chrétiens. La Chanson pour l’Auvergnat, présente sur le même 33T 25 cm - Georges Brassens sa guitare et les rythmes - n°3 (Polydor 530.033), ajouta à cette dissension. Jacques Vassal commente ces faits, avec à l’appui un témoignage de Pierre Onténiente racontant la décision de Brassens de modifier intentionnellement (par provocation) la liste de ses chansons pour les galas au bénéfice de la Fédération Anarchiste.

Jacques Vassal: "Aragon, poète communiste ; Francis Jammes, poète chrétien ; pour tous deux, une même mélodie signée Brassens, chanteur anarchiste ! C’est bien dans son esprit de brouiller ainsi les cartes, de déranger les certitudes les mieux établies. Même s’il est le dernier à céder à la tentation de réduire une œuvre à une seule caractéristique, qu’il s’agisse des autres ou de la sienne propre." [Vassal J., 2006. Brassens, le regard de "Gibraltar" - p. 172]

Selon les analystes, c’est avec ce disque que l’œuvre de Georges fut acceptée de manière plus consensuelle. Du reste, le choix de créer puis de chanter La Prière peut relever, comme le note Salvador Juan dans Sociologie d'un génie de la poésie chantée: Brassens (2017), de la volonté du sétois de contrebalancer son inclination anticléricale, lui permettant ainsi de toucher positivement un plus large public dans une France encore majoritairement croyante à l’époque. A noter que La Prière est très fréquemment reprise dans les églises ou lors de rassemblements religieux. En guise de conclusion l'on peut, comme André Sallée, s'interroger sur la pensée de son confrère et ami Jacques Brel (ce que Robert Le Gresley n'a pas manqué de faire avec une pointe d'humour dans
Pour vous Monsieur Brassens, d'affectueuses irrévérences). Compte tenu des idées qu'ils partagèrent, celui qui, à ses débuts, fut surnommé "L'abbé Brel" par Brassens, n'eut sans doute pas été insensible lui aussi à certains messages qui se dégagent des poèmes de Francis Jammes...
 

*1Brassens s'exprima également sur Francis Jammes et son œuvre dans l'émission de Roland Bernard Les Bonnes adresses du passé, diffusée le 02/01/1971 sur la première chaine de l’ORTF. Il y chanta également La prière.

*2Parue en 1952 chez Gallimard, la Correspondance de Paul Claudel avec Gabriel Frizeau et Francis Jammes (1897-1938), accompagnée de lettres de Jacques Rivière, constitue un riche complément en ce qui concerne les connivences et les liens entre Claudel et Jammes. Il en est de même pour l'ouvrage de Sylvie Gazagne, Claudel et Jammes, Réflexion sur deux poètes en quête du sacré (2005).

*3Selon l'analyse de Jean-Paul Sermonte, Francis Jammes amorce un renouveau poétique qui met fin à une certaine préciosité symboliste et qui dérange sans doute par sa fraîcheur. Il propose un dialogue plus direct, plus authentique entre l’âme et le monde. [Sermonte J.-P., 2011. Brassens et les poètes - p. 69]

*4Au regard du monde artistique et littéraire parisien, Francis Jammes resta toujours un provincial un peu solitaire, vivant retiré dans ses montagnes pyrénéennes. Néanmoins, il fit de multiples séjours dans la capitale et fréquenta certains salons littéraires. Il tissa de nombreux liens et entretint des correspondances avec ses contemporains issus de divers milieux. Outre Paul Claudel, citons parmi ceux-ci André Gide (que Brassens lut beaucoup), Alexis Leger dit Saint-John Perse, Henri de Régnier, l'ingénieur Arthur Fontaine ou bien encore le le viticulteur, collectionneur et amateur d'art Gabriel Frizeau. Pour ce qui se rapporte à ce dernier, voir l'ouvrage Francis Jammes-Gabriel Frizeau, Correspondance (1997), dont le texte est établi et annoté par Victor Martin-Schmets.

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